Une femme capitaine de homardier, retrouvée noyée dans le golfe du Saint-Laurent… avec sa robe de mariée ? Roxanne Bouchard confronte son détective Joaquim Moralès au rude univers des marins-pêcheurs québécois.
Un jour, Roxanne Bouchard a pris la mer. Qui s’est emparée d’elle… C’est au large de l’île Bonaventure, dans le golfe du Saint-Laurent, que des pêcheurs l’ont initiée à la science des cages à homards, à l’ivresse d’horizons et de levers de soleil parfumés d’embruns. Expérience exaltante pour la romancière québécoise, qui y a puisé la matière d’un polar maritime… et poétique.
Nous étions le sel de la mer, publié en France en 2022, nous a révélé une autrice sensible et généreuse. L’enquête criminelle menée par son épatant sergent-détective Joaquim Moralès était un prétexte pour raconter la fascination pour l’océan, le désarroi d’une communauté côtière esseulée. Et les méfaits de la pollution sur la faune marine… Le roman a décroché à Lyon le prix Quais du polar-JDD.
Un bateau à la dérive… suicide ou meurtre ?
Au Québec, Roxanne Bouchard a fait vivre la péninsule de Gaspésie et Moralès dans deux autres titres. Bonne nouvelle : La Mariée de corail, le suivant sur la liste, nous parvient déjà ! Angel Roberts, une des rares femmes capitaine d’un homardier, est retrouvée noyée, loin de son bateau à la dérive. Suicide ou meurtre ? Détail troublant : son corps est revêtu de sa robe de mariée…
« Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d’une âme qu’au fond de la mer », a écrit Victor Hugo. Les mots du poète résonnent à la perfection avec l’intention de la romancière, qui affine les contours de son univers. Dans un récit exempt du moindre poncif, elle nous restitue l’âpreté d’une contrée, la rude condition de ses marins pêcheurs, dont l’amour fou du métier, quand il ne se heurte pas à des haines et rivalités intestines, subit le cynisme économique de quotas ou de moratoires sur la pêche.
« Métier d’homme », s’est-elle entendu rétorquer
On en apprend aussi davantage sur Joaquim Moralès, d’origine mexicaine, qui a échoué ici pour l’amour d’une Québécoise. Des années plus tard, au bord de l’immensité marine, son couple et sa famille partent… à la dérive. Toutes illusions perdues, le flic aux méthodes peu orthodoxes garde toutefois au fond de lui une farouche détermination à comprendre autrui. Chaque jour, sa bienveillance le conduit au chevet d’un vieil ami rongé par la maladie. Est-ce la même empathie qui le guide dans son enquête sur la mort d’Angel ? Prénom céleste d’une femme avide de s’émanciper des oukases machistes. « Métier d’homme », s’est-elle entendu rétorquer. Foutaises. La mer n’est l’apanage d’aucun sexe. Ses lois appartiennent à qui, par ferveur, aime à dompter ses flux et reflux. Et l’ardeur d’Angel était grande…
La Mariée de corail, par-delà ses ressorts maîtrisés du polar, est un roman d’atmosphère qui bouleverse parce qu’il s’ancre au plus profond de l’humain. Dans le cœur des femmes, surtout. Avec un bel altruisme, dont elle a aussi doté son enquêteur, d’une plume pittoresque mais grave, Roxanne Bouchard excelle à raviver des vérités enfouies. Et nous parle de l’incommunicabilité entre les êtres, de la cruauté du temps qui passe et use, parfois jusqu’à la trahison, les sentiments… Heureusement, le soleil se lèvera toujours sur la crête des vagues…
La manufacture de livres récompensée
Depuis quatre ans, sous l’égide de Livres hebdo, les Trophées de l’édition récompensent les meilleures initiatives au service du rayonnement du livre. Pierre Fourniaud, à la tête de La manufacture de livres, remporte le titre d’éditeur de l’année 2023. Ce dénicheur de talents, en particulier dans le domaine du polar, pour qui « ouvrir une enveloppe avec un manuscrit procure toujours la même sensation d’excitation » recueille les lauriers de son exigence à ne vouloir offrir que des textes de qualité, surtout s’ils sortent des sentiers battus.
En témoigne, parmi ses récentes publications, On dirait des hommes. Un terrifiant, émouvant et subtil roman noir de Fabrice Tassel, sur les fissures d’un couple, ravagé par sa part de ténèbres et la puissance du mensonge. Une œuvre saisissante, à l’écriture précise, qui vient d’obtenir le Prix découverte Claude Mesplède 2023…
Le manifeste du collectif Stop
En atteste aussi le manifeste du collectif Stop. Sous l’impulsion de l’écrivain Olivier Bordaçarre, 68 artistes francophones se sont associés pour, chacun à leur manière, dénoncer les ravages humains, sociaux et environnementaux du capitalisme. Comme le précise Sandra Lucbert, une des autrices du projet, « il y a des périodes de l’Histoire où la hauteur des enjeux, des urgences et même des périls nous requièrent ». Le but : ériger la littérature comme un acte de résistance, pour réveiller et attiser les consciences, alimenter des débats ici et là.
Les auteurs de polars ont été les plus prompts à réagir. En un patchwork effervescent, à lire forcément dans le désordre, se mêlent des nouvelles, des poèmes, de courts essais, des articles, et même des dessins et des photos qui naviguent, avec ironie, entre allégorie pessimiste et désespoir serein. Vivement demain ? Pas vraiment… Sauf si on retrousse nos manches.
Les 68 (chiffre emblématique ?) sont recensés ici. Leurs contributions sont bénévoles. Et l’éditeur, qui mérite décidément son trophée, reversera la recette à des associations dont le but est de tenter d’épargner le pire à notre avenir.
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