L’existence de Joann Sfar, régie par l’amour du dessin
Au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj), l’auteur du Chat du rabbin, entre autres multiples réussites graphiques, est à l’honneur avec toutes ses bénéfiques obsessions.
Avec près de 250 planches et dessins, pour la plupart jamais exposés, ainsi que des carnets, des photographies et des films, la première rétrospective en France de l’œuvre de Joann Sfar permet de prendre acte, preuves à l’appui, de l’importance d’un artiste dont le talent se déploie avec éclat, depuis une trentaine d’années, dans la bande dessinée, le cinéma et la littérature.
Né à Nice en 1971, Joann Sfar, ainsi qu’il est dit en exergue de la manifestation, « trouve dans le dessin plus qu’un refuge, une façon de vivre et de voir le monde, une véritable “vie dessinée” ». Il est précisé qu’« il explore les thèmes du dessin comme “science humaine”, de l’enfance, du corps, de la sexualité, de l’amitié, de la joie et de la mort, tout en poursuivant un commentaire réflexif permanent sur ses propres pratiques au travers de carnets personnels ».
Le parcours met en évidence la cohérence de son œuvre, grâce à ses nombreux carnets personnels et à ceux concernant notamment la série Klezmer, qui raconte l’errance d’un groupe de quatre musiciens juifs et d’une chanteuse fuyant les pogroms dans la région d’Odessa en 1900. Il y a ses récits à destination de l’enfance (une salle est dévolue aux jeunes visiteurs) et ses planches érotiques autour de la vie du peintre Pascin, soit Julius Pincas (1885-1930), qui fut dessinateur insatiable et séducteur invétéré.
« J’aime ce qui fait du bien, ce qui est sexuel, gourmand… »
À ce propos, Sfar écrit : « Il y a en moi une volonté de célébrer l’amour entre les êtres et la joie de vivre. J’aime ce qui fait du bien : ce qui est sexuel, gourmand, enfantin, et je n’aime pas les interdits. » Au cœur de l’exposition se trouve la fameuse série, si souvent récompensée, intitulée Le Chat du rabbin (Dargaud), dont le douzième volume a été publié en 2023 et qui fit la célébrité de Joann Sfar.
Le parcours de l’exposition s’ouvre sur « Une enfance à Nice », dans une famille juive, avec une mère originaire d’Europe orientale et un père venu du Maghreb. Liliane Haftel, surnommée Lilou, chanteuse mariée à l’avocat André Sfar, meurt à l’âge de 26 ans. Joann se réfugie dans le dessin. Il effectue ses études secondaires au lycée Masséna, comme Joseph Kessel et Romain Gary, auteurs qu’il révère.
Joann Sfar raconte, dans La Synagogue (2022), son enfance niçoise sous la garde de deux fortes personnalités : son père et son grand-père. Il y rapporte son expérience de gardien de synagogue durant les offices, afin d’échapper au rituel qui l’ennuie. La suite de ce récit en images fondé sur l’intime est à paraître en 2024, sous le titre Les Idolâtres. La figure centrale en sera la mère, absente infiniment présente.
« La voix du judaïsme a une légitimité en France »
« Je ne veux pas être de ces auteurs dont le métier est d’être juif », déclare-t-il, avant de préciser : « En revanche, je pense que la voix du judaïsme a une légitimité en France et dans la polyphonie européenne, à côté de la voix du christianisme et d’autres. Je me sens heureux dans ce syncrétisme-là. »
Sont successivement traités et abondamment illustrés les thèmes suivants : la venue à Paris, l’école des Beaux-Arts et les amis et complices professionnels avec lesquels partager un vaste atelier où se fabrique la bande dessinée d’aujourd’hui. Son goût pour le fantastique, avec vampires et fantômes, est mis en lumière, ainsi que son sens du drame, flagrant dans les albums qu’il consacre à la dénonciation de l’antisémitisme.
Il y aussi son amour de la musique (il s’avoue musicien raté), son admiration pour Brassens et sa passion pour Serge Gainsbourg. Rappelons-nous que Joann Sfar est le réalisateur d’un beau film, Gainsbourg (vie héroïque), sorti en 2010, l’acteur Éric Elmosnino prêtant ses traits à celui qu’on identifia à L’Homme à tête de chou.
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