Des mégabassines à la gestion de l’eau : défendre un bien commun
Au cœur du marais poitevin, l’installation de mégabassines se heurte à des collectifs regroupant écologistes, agriculteurs, associations et syndicats. Parmi eux, la Cgt se mobilise pour défendre le cycle naturel de l’eau, en articulant les luttes sociale et écologique.
Une retenue d’eau d’une dizaine d’hectares, alimentée par le pompage des nappes phréatiques : le fonctionnement d’une mégabassine est simple. Si elle devait se concrétiser, celle de Sainte-Soline (Deux-Sèvres, 79) bénéficierait à une dizaine d’agriculteurs pour irriguer leurs exploitations en période de forte sécheresse. Mais dans le marais poitevin, le projet a provoqué une levée de boucliers. Acteurs associatifs, syndicaux et écologistes ont formé une coalition locale au sein de laquelle coopèrent Bassines non merci et d’autres organisations comme la Cgt, Solidaires, la Fsu, la Confédération paysanne, les Soulèvements de la terre ou encore France nature environnement.
David Bobin est secrétaire général de l’union départementale Cgt des Deux-Sèvres, et assume cette alliance : « Il ne s’agit pas d’un collectif Plus jamais ça en tant que tel, mais c’est bel et bien une alliance autour de l’appropriation de l’eau. » Si le 53e congrès confédéral a a retiré la mention du collectif dans le document d’orientation, le responsable syndical se veut positif : « Ce congrès n’a pas détruit les engagements écologiques de la Cgt », affirme-t-il. De fait, rien n’empêche les regroupements locaux de la Cgt avec des associations et des syndicats à propos des enjeux climatiques.
Mobilisation de la Cgt à Sainte-Soline
Dans le département voisin de la Vienne (86) les relations avec les collectifs écologistes ne sont pas aussi développées. Pour Julien Hemon, secrétaire général de l’union départementale Cgt, la moyenne d’âge y est élevée et ils sont moins en phase avec l’activité des syndiqués. Malgré tout, le dialogue existe. Une trentaine de mégabassines sont prévues sur le territoire.
Les militants de la Cgt de ces deux départements ont convergé vers Sainte-Soline le 25 mars. David Bobin a invité les syndiqués des Deux-Sèvres à faire nombre : « Il s’agit d’un engagement collectif contre l’appropriation de l’eau, qui doit rester un bien commun », explique-t-il. La Cgt 79 a prêté le matériel sono et a assuré l’impression de tracts.
Dans la Vienne en revanche, la priorité a été la lutte contre la réforme des retraites. « Nous avons préféré éviter le risque de confiscation de notre matériel en plein mouvement », justifie Julien Hemon, en référence à l’interdiction de la manifestation de Sainte-Soline et au périmètre d’exclusion imposé par les forces de l’ordre.
Des syndiqués sensibilisés aux problématiques de l’eau
Sur place, les organisateurs ont revendiqué 30 000 participants. Parmi eux, des militants locaux de la Cgt, mais aussi venus de toute la France. L’objectif de ce rassemblement était de faire pression sur la mégabassine et de mettre hors d’usage les pompes et tuyaux, ce qui a été partiellement réussi le 25 mars. Pour David Bobin, ce type de rendez-vous est un moment d’éducation populaire, et permet de créer le débat sur les mégabassines, leur fonctionnement et leur utilité. Il regrette la forte et violente répression policière.
Le département des Deux-Sèvres est rural : la plupart des syndiqués ont des cultivateurs dans leur famille. Beaucoup connaissent le cycle de l’eau, ce qui a facilité les échanges. Aussi, la commission exécutive de la Cgt 79 a rejoint le mouvement contre les mégabassines dès 2016. Un engagement renouvelé lors de deux congrès départementaux. « Cela nous semblait illogique qu’un bien commun comme l’eau se retrouve géré par le privé », explique David Bobin.
Traverser le Clain à pied
Dans la Vienne, la question de l’eau est aussi au cœur des préoccupations des syndiqués, mais la sensibilisation n’a pas forcément suivi le même cheminement. « Ici, de nombreux militants sont pêcheurs et connaissent déjà les désagréments d’un étang à sec… Ils voient bien que le problème existe », assure Julien Hemon. Chaque été, le département est confronté à une forte sécheresse. Localement, les collectifs écologistes alertent sur le débit du Clain, la rivière qui traverse Poitiers. En 2017, on pouvait traverser le cours d’eau à pied au mois d’août. En 2019, c’était dès la fin du mois de juillet. En 2022, dès le 21 mai.
Même constat dans le parc du comité d’entreprise de Safran, situé dans le département et possédant deux étangs. Ces derniers ont été asséchés l’été dernier et n’ont toujours pas retrouvé leur niveau habituel.
Entreprises sans eau, emploi menacé
Pour David Bobin, défense de l’eau et défense de l’emploi sont liées : « Créer des mégabassines dans les Deux-Sèvres signifie peut-être, à terme, détruire des emplois. » Car une éventuelle pénurie d’eau entraverait la vie des habitants, mais aussi l’activité des entreprises. Pour la société Pierre Guerin qui fabrique, à Niort, des cuves agro-alimentaires pour le vin et le lait, manquer d’eau serait aurait de graves répercussions sur la production. La Cgt l’a bien compris et cherche des solutions pour préserver la précieuse ressource.
Les représentants syndicaux dans l’entreprise ont donc porté la question du recyclage de l’eau servant à laver les cuves. Alerté, l’employeur a signé une convention avec la Ville de Niort : désormais l’eau ne sera plus jetée aux égouts, mais arrosera les espaces verts municipaux.
Des centrales nucléaires face au défi du climat
À une trentaine de kilomètres de Poitiers, le niveau de l’eau de la Vienne est également scruté de près par les salariés de la centrale nucléaire de Civaux. Christophe Vilain y est délégué syndical Cgt. Pour lui aussi, la gestion de l’eau est importante. Son syndicat a d’ailleurs combattu le projet Hercule qui, en 2020, cherchait à scinder Edf en plusieurs entités et à privatiser la production hydraulique d’électricité.
La gestion des barrages est pourtant essentielle dans la chaîne de production de l’industrie nucléaire. Ils permettent de contrôler le niveau des cours d’eau qui garantit le refroidissement des réacteurs. « L’été, le débit d’eau de la Vienne est juste. Si nous n’avons pas assez d’eau, nous ne pouvons plus produire d’énergie », s’alarme le délégué syndical. Une privatisation compliquerait le processus et mettrait en péril cette régulation.
Mégabassines : une alerte du Giec des Pays de la Loire
L’implantation des mégabassines questionne en profondeur le modèle agricole et l’usage de l’eau dans le contexte du dérèglement climatique. Le territoire de l’ancienne région Poitou-Charentes est désormais fortement impacté par des sécheresses estivales, ce qui doit conduire à modifier la consommation. Ces mégabassines signifieraient l’accaparement de l’eau par une minorité d’agriculteurs, pour la plupart producteurs de maïs, une plante qui consomme beaucoup d’eau, et en bonne partie destinée à l’exportation.
C’est cela que dénoncent les opposants aux mégabassines. De surcroît, elles-mêmes sont inadaptées au dérèglement climatique, car les nappes phréatiques se rechargent de plus en plus difficilement, faute de pluies hivernales. Et l’été, les eaux retenues dans les bassines s’évaporent sous l’effet des fortes chaleurs. En 2020 a été constitué un Giec Pays de la Loire, soutenu par le conseil régional. En avril 2023, il a publié un rapport qui, dans ses conclusions, réclame l’interdiction des mégabassines.
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