Le « reste à charge » pour les salariés torpille le Compte personnel de formation
Un amendement ajouté en catimini au projet de loi de finances 2023 veut imposer que les salariés recourant au dispositif financent eux-mêmes 20 à 30 % de leur formation.
Bonne nouvelle ? Emmanuel Macron est capable de renoncer à une de ses réformes, y compris après sa mise en œuvre ! Sauf que c’est pour enterrer l’une des rares avancées de son premier quinquennat : le Compte personnel de formation (Cpf), qui depuis fin 2019 a permis à 5 millions de salariés de suivre une formation de leur choix sans débourser un centime.
En effet, un amendement, introduit en toute discrétion le 20 décembre dans le projet de loi de finances 2023, prévoit que les salariés souhaitant bénéficier du dispositif devront désormais s’acquitter d’une partie des frais de formation – un « reste à charge » qui pourrait s’élever à 20 ou 30 % du montant total. Les seuls à en être dispensés seraient les demandeurs d’emplois et les salariés dont la formation s’intègre dans un plan en partie financé par leur entreprise !
Un dispositif souvent mal compris
Le gouvernement ne s’embarrasse pas davantage de concertation que de justifications, si ce n’est celle de vouloir lutter contre les fraudes engendrées par le dispositif. En taxant les salariés ? ! Le Cpf a certes aiguisé les appétits de nombreux escrocs et d’organismes de formation plus ou moins factices, prêts à tous les subterfuges pour siphonner les crédits alloués aux salariés.
Ces derniers ont quant à eux surtout manqué d’informations pour maîtriser le fonctionnement du dispositif. Il faut en effet comprendre que ce droit individuel à la formation est distinct des plans de formation relevant de la responsabilité de l’employeur, et qu’il se concrétise non plus en heures mais en argent, de 500 à 800 euros par an, dans la limite de 5 000 euros, abondés par les entreprises, les régions, et l’argent public (dont Pôle emploi).
Les escroqueries au Cpf, un prétexte
Libre à chacun d’en faire usage ou pas : des dizaines de milliers de salariés se seraient fait berner par des messages leur assurant que faute d’utiliser ces fonds au plus vite, ils allaient les perdre. le ministère du travail a d’ailleurs dû diffuser un guide contre toutes les arnaques rendues possibles par le dispositif, encore faut-il en connaître l’existence et s’avoir s’orienter dans la complexité des situations auxquelles on est confronté ! D’après le ministère de l’Économie, ces arnaques restent néanmoins mineures – 43,2 millions d’euros en 2021 par exemple – si on les rapporte à un dispositif qui a d’ores et déjà distribué 6,7 milliards d’euros en trois ans.
Le gouvernement ne se soucie pas non plus du fait que de nombreux salariés ont été contraints par leur entreprise de financer avec leur Cpf des formations qu’elles auraient dû leur payer dans le cadre d’un plan traditionnel de formation professionnelle, à la charge de l’employeur et sur le temps de travail.
Des salariés soupçonnés de « détourner » le Cpf pour leur plaisir
Le revirement du pouvoir résulte en fait d’un autre arbitrage, dénoncé par la Cgt. Le financement de ce dispositif est jugé trop coûteux, d’autant que les salariés sont soupçonnés de recourir au Cpf pour « se faire plaisir » plutôt que pour améliorer leur employabilité. On se retrouve ainsi face à une attaque inédite contre le droit à la formation acquis par le travail, pour faire sur le dos des salariés des économies difficiles à évaluer, mais qui seraient estimées à moins de 400 millions d’euros.
Rappelons que France compétences, organisme qui gère la participation de l’État à la formation professionnelle et donc au Cpf, cumulait un déficit de 9 milliards d’euros fin 2022, et ce malgré 6,5 milliards de dotations exceptionnelles de l’État ces deux dernières années. Mais la part du financement du Cpf (2,7 milliards prévus en 2023) reste bien moindre que celle distribuée aux entreprises dans le cadre des aides à l’apprentissage notamment (plus de 10 milliards en 2022). Il faut croire que les entreprises ont le « mérite » de sortir plus vite de nombreux jeunes des statistiques du chômage, au moins ponctuellement.
S’ils doivent payer, les salariés renonceront à toute formation
La formation reste ainsi envisagée comme un coût plutôt que comme un investissement pour l’avenir des individus et de l’économie. Ce qui met en colère même dans l’entourage du pouvoir ! L’ex-ministre du Travail en personne, Nicole Pénicaud, est ainsi montée au créneau pour défendre sa réforme. Pour elle, ce revirement est une « erreur sociale et économique, donc politique » incompatible avec la logique du Cpf, qui vise à inciter les salariés à utiliser leur droit à la formation. Que ce soit dans un but directement utilitaire, pour monter en compétences, pour se sentir mieux dans son travail et améliorer ses perspectives de carrière, pour marquer une pause et s’enrichir personnellement, pour envisager un nouveau parcours professionnel. Il dédouane un peu plus les entreprises : se former sera de la responsabilité du salarié, et à ses frais.
L’ex-ministre a par ailleurs rappelé que les premiers bilans du Cpf, disponibles sur le site de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), dépendant du ministère du travail, montrent que l’énorme majorité des salariés y ont eu recours pour améliorer leurs chances de trouver un emploi. Alors que, dans le privé, les formations proposées par les employeurs concernaient essentiellement les ingénieurs et cadres, le Cpf a modifié la donne. Le nombre de formations a quadruplé en trois ans, pour 80 % au bénéfice d’ouvriers et employés, pour 50 % des femmes, et pour 20 % des plus de 50 ans… des catégories qui accédaient moins à la formation auparavant.
Les moins de 30 ans et les demandeurs d’emploi ont également pu débloquer des obstacles à leur employabilité, notamment en finançant leur permis de conduire ou des formations dans le transport, la logistique, la manutention. Les langues étrangères, les bilans de compétence et d’insertion, les formations en informatique ont également été plébiscitées. Inutiles ? Reste que pour les plus précaires, une participation à leur formation, même de 50 euros, risque désormais d’être dissuasive.
Lutter vraiment contre les fraudes
Contre les fraudes, il aurait été possible de mieux accréditer les organismes et les formations disponibles, de mieux verrouiller les transferts de financements, d’interdire le démarchage via les réseaux sociaux – des amendes doivent enfin être instaurées. Une concertation doit avoir lieu en janvier pour préciser les modalités de mise en place du « reste à charge » éventuel pour les salariés.
En attendant, Nicole Pénicaud, citant Abraham Lincoln – « si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance » – a rappelé dans les médias que la France ne se classait qu’à la 25e place sur les niveaux de compétences de base et à la 13e sur les dépenses publiques de formation. En rabotant les droits à la formation, elle tourne le dos à l’avenir.
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