Chronique européenne -
Vu d’Europe – Les droits sociaux à l’ombre de la « simplification »
Par Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres
Pour la première fois depuis près de six ans, le programme de la Commission européenne ne contient aucune législation sociale, pour privilégier la compétitivité et la « simplification », le terme en vogue pour désigner la déréglementation.
Avant tout, nous voulons exprimer notre solidarité aux collègues de Ver.di, après l’horrible attaque qui a touché des syndicalistes, à Munich, ainsi qu’à la communauté kurde, à Paris, agressée par l’extrême droite. Nous ne laisserons pas la haine qui motive ces actions briser les liens entre les travailleurs.
Au niveau de la Commission européenne et de son orientation, une grande partie du débat s’est concentrée sur les règles régissant les affaires en Europe, avec peu d’attention accordée aux exigences imposées aux cadres. Malgré l’allongement du temps de travail, l’augmentation du nombre d’arrêts de travail, la récente crise du coût de la vie et l’aggravation des inégalités, le programme de travail s’en est tenu aux domaines pour lesquels certaines réglementations peuvent être réduites.
Cela concerne le retrait de 37 propositions (dont la directive sur l’adaptation des règles de responsabilité civile non contractuelle à l’intelligence artificielle – AI Liability Act) et l’abrogation de quatre autres, sur l’agriculture, les statistiques et le transport routier de marchandises. Parmi les propositions législatives déposées, 11 visent ou incluent des mesures de « simplification », ce qui éclaire encore davantage l’objectif unique qu’est s’est fixé cette Commission.
Sous le thème « Soutenir les personnes, renforcer nos sociétés et notre modèle social », les quatre initiatives – un plan d’action sur l’ensemble des droits sociaux, la feuille de route pour des emplois de qualité, l’union des compétences et l’agenda des consommateurs à l’horizon 2030 – sont toutes non législatives. Néanmoins, la Commission maintient son engagement à consulter les partenaires sociaux et les syndicats, ce qui nous offre un forum à travers lequel nous pouvons exprimer la nécessité d’agir davantage.
Aucun programme visant la compétitivité ne peut être complet s’il ignore la place centrale travailleurs. Ce serait une erreur que la Commission pourrait regretter si des opportunités sont manquées. L’avantage compétitif de l’Europe réside dans son niveau de vie élevé, ses opportunités de mobilité, ses garanties contre les mauvais traitements et son accès à la justice en cas d’actes répréhensibles. La simplification ne peut pas être la porte d’entrée vers une réduction de nos droits sociaux.
Nous devons réaliser nos transitions verte et numérique de manière à accroître non seulement la compétitivité des entreprises, mais aussi la prospérité des citoyens européens. Un programme de la Commission basé sur les seuls intérêts des entreprises manquera à maintes reprises d’occasions d’améliorer l’UE.
En Belgique, des mobilisations contre les réformes de la coalition « Arizona »
En ce mois de février, nos collègues belges sont également descendus dans la rue pour protester contre les réformes de la coalition « Arizona », avec plus de 80 000 travailleurs qui ont défilé avec nous le 13. Le nouveau gouvernement sera dirigé par des partis plus intéressés à réduire le déficit public qu’à protéger les travailleurs du pays. Avant même leur ratification, Bart De Wever (N-VA) et Georges-Louis Bouchez (MR) ont clairement indiqué que ce gouvernement ne bénéficierait qu’aux super-riches et s’attaquerait aux travailleurs de diverses manières. Cela s’explique en grande partie par les plans de la coalition visant à lutter contre le soi-disant « dérapage » des dépenses publiques. En réalité, leurs mesures semblent avant tout idéologiques et entraîneront une plus grande inégalité sociale à l’intérieur du pays.
Faisant écho aux tentatives de réformes en France, l’argent gagné après une vie de travail est clairement ciblé. Dans le cadre des nouveaux régimes, les pensions seront réduites de 20 % en cas de retraite anticipée (avant 67 ans ! ! !), ce qui touchera particulièrement les femmes (dont 80 % ont des carrières incomplètes) et les métiers les plus pénibles. Avec une espérance de vie moyenne de 81 ans en Belgique, les actifs sont invités à passer leur vie à travailler 3,5 fois plus qu’à profiter des récompenses de ces efforts – un total de 49 années d’emploi, avec moins d’économies que prévu.
D’autres mesures impliqueront que le travail sera désormais, en Belgique, plus dur avec des horaires plus longs, le tout en échange d’une augmentation minime, voire nulle, du portefeuille des travailleurs. Le gouvernement a par exemple décidé d’étendre la possibilité pour les entreprises de recourir au travail de nuit et de légaliser le travail du dimanche, affaiblissant ainsi le cadre juridique autour des horaires de travail. Par ailleurs, l’indexation automatique des salaires sera reportée à 2027, avec une augmentation moyenne de seulement 80 euros par travailleur d’ici-là.
Nous continuerons à faire preuve de solidarité avec nos collègues jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites.
Plus de 93 millions d’Européens pauvres et précaires
Enfin, les contradictions au cœur du modèle économique et social européen ont été mises à nu au Parlement européen, avec une audition impliquant le commissaire à l’emploi, le Directeur général chargé du même sujet et la commission parlementaire compétente.
Au sein de l’UE, le taux d’emploi, qui atteint un niveau record de 75 %, est en passe d’atteindre l’objectif de 78 % fixé par les dirigeants européens lors du mandat précédent. Celui des femmes dépasse pour la première 70 %, tandis que le taux de chômage avoisine 5,9 %. Les chiffres montrent toutefois que l’emploi ne garantit plus un niveau de vie élevé dans les États membres.
Pour des millions de travailleurs, la réalité en effet reste sombre, avec 93,3 millions d’Européens vivant dans la pauvreté ou l’exclusion sociale en 2023. Environ 20 millions d’enfants dans l’UE étaient en danger, ce qui représente 24,8 % des moins de 18 ans. La privation, malgré une légère diminution du risque de pauvreté, reste endémique.
Si Roxana Mînzatu, commissaire à l’Education, aux emplois de qualité et aux droits sociaux, a en partie reconnu la nécessité de changements sérieux dans le fonctionnement du marché du travail, aucune solution n’a été présentée dans le programme de travail de la Commission. Estelle Cuelemans (S&D, BE) a souligné la nécessité d’une législation sur la gestion algorithmique sur le lieu de travail et d’une directive sur les risques psychosociaux liés au travail, appels repris par les députés européens Maria Ohisalo (Verts, FI), Leïla Chaibi (Gauche, FR) et Kim Van Sparrentak (Verts, NL). Enfin, Alex Saliba (S&D, MT) a évoqué la nécessité de progrès dans les domaines du télétravail et du droit à la déconnexion, avec une proposition non présentée malgré les assurances données lors de la fin du mandat précédent.
La réponse à ces questions ainsi qu’à celle portant sur la transition juste ou la santé et la sécurité au travail se inscrite dans la feuille de route pour des emplois de qualité. Attendue pour la fin de l’année, celle-ci examinera les domaines dans lesquels des changements peuvent être apportés. Si la Commission a décidé de réduire le recours à la législation, Eurocadres continuera de réclamer une législation dans des domaines critiques pour les travailleurs européens.
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