Office français de la biodiversité  : les raisons de la grève des contrôles

À l’OFB, 3000 agents assurent la protection de l’eau et de la biodiversité. N’en déplaise à certains syndicats agricoles et au Premier ministre qui les a attaqués frontalement lors de sa déclaration de politique générale. Ils étaient appelés à rester au bureau, le 31 janvier.

Édition 064 de [Sommaire]

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À l’OFB, deux agents sur trois exercent leurs missions sur le terrain. © PhotoPQR / Le Courrier de l’Ouest / Maxppp

« Ce qui me fait vibrer dans mon métier, c’est d’être au contact de la nature et d’apprendre tous les jours. Ce qui me fait vibrer aussi, c’est d’avoir la possibilité de faire le lien entre la nature et les hommes. C’est de pouvoir montrer qu’on peut cohabiter, vivre ensemble. » Ainsi débute le témoignage d’une technicienne de recherche de l’Office français de la biodiversité (OFB) dans une série de vidéos où l’institution fait la promotion de ses métiers.

Comment imaginer, dans ces décors naturels somptueux, que l’OFB et ses agents soient dans le collimateur de syndicats agricoles et d’une partie de la classe politique ? C’est pourtant bien le parlement qui a créé l’Office en 2020, en fusionnant l’Agence française pour la biodiversité et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Mission  : protection et restauration de la ressource en eau et de la biodiversité dans un contexte d’érosion de cette biodiversité et de pressions multiples sur les milieux naturels (changement climatique, pollution, artificialisation…). Presque vingt ans après, l’État apportait ainsi une réponse à l’interpellation du président Jacques Chirac en 2002, à Johannesburg  : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. » On pouvait alors espérer qu’appartienne au passé la saillie verbale de son successeur, Nicolas Sarkozy, lors du salon de l’agriculture 2011, selon lequel « l’environnement, ça commence à bien faire ».

L’OFB n’est pas une ONG !

De fait, le mariage de raison des chasseurs et des spécialistes de l’environnement s’est plutôt déroulé convenablement et le nouvel établissement a développé son activité autour de cinq piliers que sont  : la police de l’environnement et sanitaire ; la connaissance, la recherche et l’expertise sur les espèces et les milieux terrestres, aquatiques et marins ; l’appui à la mise en œuvre des politiques de l’eau et de la biodiversité ; la gestion et l’appui à la gestion d’espaces naturels ; enfin, la mobilisation de la société civile et des acteurs.

À ces fins, l’OFB emploie trois-mille agents, dont les deux tiers exercent leurs missions sur le terrain. « Nos métiers sont très variés, observe Olivier Ledouble, secrétaire général de la CGT de l’Environnement. Sur la connaissance, on collecte et on traite des données pour qualifier et suivre l’état des écosystèmes et comprendre les pressions qui s’exercent sur eux. On intervient aussi en appui sur les projets d’aménagement ou de restauration des milieux ; dans ce cas, on apporte, en amont des aménagements, un regard technique sur les enjeux biodiversité et eau », par exemple au sein des Commissions locales de l’eau (CLE).

C’est justement le travail de Camille (prénom d’emprunt), ingénieur, qui représente l’OFB dans les CLE et qui considère, en tant que représentant de l’État, y « porter la voix des milieux aquatiques ». Gare au contresens ! L’OFB n’est pas une ONG. « On doit toujours revenir aux données scientifiques pour étayer les décisions, témoigne Camille. Ça demande de l’agilité, du dialogue pour arriver à des décisions équilibrées. J’essaie d’éviter les affrontements, mais ça ne manque pas d’arriver. » Par exemple, quand les agriculteurs réclament d’épandre des pesticides sur des aires de captage d’eau alors que les collectivités veulent renforcer les règles de protection de la ressource. « Dans ce cas, je peux seulement rappeler les données relevées sur les cours d’eau et c’est aux collectivités d’argumenter, indique l’ingénieur. En réalité, on bute sur des changements de système agricole. Ce n’est pas toujours facile d’avoir un discours purement technique dans des instances aussi politiques.  » Agressions verbales en réunion, monopolisation du temps de parole, manifestations… depuis un an, des syndicats agricoles intensifient leurs pressions pour atteindre leur objectif de réduction des contraintes environnementales.

Des techniciens de l’environnement chargés de l’application de la règlementation

Les 1700 techniciens de l’environnement forment une partie importante du personnel. Dotés de prérogatives de police administrative et judiciaire, ils font partie de la « police de l’environnement » (4500 agents en France). À ce titre, ils prêtent serment et portent uniforme et arme. Dans les faits, ils font principalement de la pédagogie et de l’accompagnement technique. Mais parce qu’ils sont chargés de l’application de la règlementation, ils sont devenus, lors de la crise agricole de 2024, la cible privilégiée de deux syndicats agricoles (FNSEA et Coordination rurale) qui réclament l’allègement des contrôles et le désarmement des agents.

En 2024, le journal Libération a cartographié une cinquantaine de dégradations et d’insultes contre les locaux et employés de l’OFB. Cette stratégie trouve des relais politiques à droite, notamment dans les rangs du RN et de LR. En septembre, Jean Bacci, sénateur du Var (LR), publie un rapport à charge contre l’OFB, reprochant une « approche militante, parfois zélée, voire disproportionnée de certains inspecteurs » et mettant en cause le port d’arme de cette police. Le 15 janvier, Laurent Wauquiez, leader des députés LR, réclamait purement et simplement la suppression de l’OFB. Il faut dire que la veille, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre François Bayrou avait vertement reproché aux inspecteurs de la biodiversité le port de leur arme de service dans l’exercice de leurs missions d’inspection des fermes. Exaspérée, l’intersyndicale de l’OFB (Syndicat national de l’environnement de l’environnement, FSU, FO, CGT, Unsa, EFA-CGC) a alors appelé le personnel à se mettre en retrait, en restant au bureau.

Neuf exploitations sur dix ne sont pas contrôlées

Qu’en est-il sur le terrain ? Selon un rapport interministériel publié en décembre 2024, « le nombre global de contrôles [des exploitations agricoles] apparaît peu élevé au regard du ressenti d’une très forte pression de contrôle des exploitants agricoles ». En effet, même si 12 administrations sont susceptibles de contrôler les 389 800 exploitations françaises, 90  % ne sont pas contrôlées dans l’année, 10  % font l’objet d’un contrôle et 1  % de deux contrôles ou plus. Selon ce rapport, « le problème principal soulevé par les organisations professionnelles agricoles, lorsqu’elles s’expriment sur la multiplicité des contrôles, portait sur les contrôles administratifs réalisés physiquement dans l’exploitation agricole ».

En effet, il arrive que la situation dégénère. Ainsi, deux agriculteurs finistériens ont été condamnés après avoir intimidé des inspecteurs en décembre 2023. Ces derniers avaient craint de connaître le sort de Sylvie Trémouille et Daniel Buffière, assassinés en 2004 dans une ferme en Dordogne. Une affaire criminelle qui rappelle les assassinats de deux garde-chasses à Canjuers (Var) en 1996 et d’une jeune technicienne agricole à Mayran (Aveyron) en 2016.

En dépit des prises de parole du directeur de l’OFB en décembre dans Le Monde, d’une tribune de scientifiques et de parlementaires parue dans le même journal une semaine avant l’attaque du Premier ministre ou des déclarations successives d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique et de la Biodiversité, force est de constater que la voix des défenseurs de l’OFB ne porte pas autant que celles de ses pourfendeurs. « C’est dramatique d’en arriver là, déplore la CGT par la voix d’Olivier Ledouble. Il n’y a pas le début d’une analyse. Or, la base de la vie en société, c’est le respect de la loi. Et c’est d’autant plus vrai dans le contexte d’effondrement de la biodiversité. Le maintien des sociétés humaines repose aussi sur cet enjeu. »