Avec le Radar travail-environnement, cap sur l’avenir  !

L’outil de l’Ugict pour aider les syndicats à agir sur l’empreinte environnementale de leur entreprise est désormais mis en œuvre. Bilan d’étape.

Édition 062 de [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Un tiers des syndicats utilisant le radar assurent avoir pu faire des propositions pour réduire l’empreinte environnementale de leur entreprise.© IP3 PRESS/MAXPPP

«  Au début, on l’a vécu comme un saut dans le vide  », raconte un responsable syndical au conseil régional d’Aquitaine. «  Nous ne savions pas si notre mandat nous rendait légitimes pour nous engager dans une telle démarche, ni si nous avions l’expertise pour réussir à collecter les informations indispensables à un diagnostic suffisamment précis des pratiques au sein des services. L’ampleur de la tâche nous semblait presque dissuasive. Finalement, on a pris le temps et on a appris en avançant.  » En effet, les modalités de mise en œuvre du Radar travail-environnement rendent ce travail long et complexe. Cela n’enlève rien aux réalités qu’il peut révéler, ni aux dynamiques qu’il engendre. 

L’outil a été développé par l’Ugict, avec l’aide de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), du cabinet Secafi et du collectif Pour un réveil écologique. C’est un atout à mettre entre les mains de toutes et tous les militants syndicaux, que ce soit pour améliorer l’empreinte environnementale des entreprises, pour impliquer les salariés dans des réflexions et des actions ou pour penser le travail du futur.

Une centaine de syndicats Cgt dans l’aventure

Une centaine de militants en ont témoigné lors d’un premier bilan d’étape des collectifs de «  déployeurs  » du radar, le 18 novembre, dans le patio du siège confédéral de la Cgt, à Montreuil. Étaient également présents des responsables syndicaux qui envisagent de se lancer, mais ont besoin d’être accompagnés pour s’approprier la démarche. L’outil est, par nature, améliorable – il a été ajusté plusieurs fois ces dernières années –, et sa vocation est d’être adapté  : dans chaque entreprise, les problématiques et les informations disponibles appellent une mise en œuvre particulière. La méthode préconisée permet à chaque syndicat d’avancer à son rythme et en se forgeant sa propre expérience.

Les participants sont là pour entrer «  dans le dur  » et échanger sur du concret. Dix-neuf fédérations et une centaine de syndicats de la Cgt se sont lancés dans l’aventure, et plus de 200 participants ont assisté aux six webinaires d’ores et déjà organisés par l’Ugict. Une majorité a passé l’étape 1, qui consiste à évaluer l’empreinte environnementale de leur entreprise. Un tiers des syndicats assurent avoir été en mesure de faire des propositions pour la réduire (étape 2) et avoir élaboré des stratégies pour leur mise en œuvre (étape 3). 

Le pari de la sensibilisation est gagné

Cette journée ne consiste donc pas seulement à écouter des experts mais bien à instaurer un dialogue entre militants, à exposer difficultés et réussites. Elle commence d’ailleurs par un «  débat mouvant  » où chacun, tout en se déplaçant, peut s’exprimer sur ses a priori ou ses premières interrogations. Premier constat  : le pari de la sensibilisation aux enjeux environnementaux est gagné. Toutes et tous les participants sont d’accord pour dire que «  défendre l’environnement aujourd’hui, c’est sauver les emplois de demain  ». 

Constats suivants  : il faut faire plus que mesurer l’empreinte carbone, et essayer d’envisager l’ensemble de l’impact environnemental d’une activité, en incorporant un plus grand nombre de données, ce qui ouvre l’éventail de revendications à avancer face aux directions. «  Même si c’est difficile de rassembler et d’analyser les documents que les directions sont tenues de rendre publiques ou de nous communiquer, même s’il n’est pas facile de distinguer le greenwashing de réelles politiques de transition écologique  », résume une participante. 

«  Vous êtes les premiers experts de votre travail  »

C’est complexe et chronophage, mais les militants ont fait l’effort, et franchi un pallier dans leur niveau d’information et d’implication. Les animateurs du collectif d’animation du Radar sont là, comme le rappelle Antoine Trouche, «  pour vous aider à démarrer et vous épauler à la moindre difficulté  ». Idem de Sandra Itier, qui incite les militants à ne pas se laisser balader par la technicité des documents  : «  Vous êtes les premiers experts de votre travail et les premiers susceptibles d’avoir des idées pour l’améliorer, y compris du point de vue de l’impact environnemental.  » Des webinaires sont régulièrement organisés.

L’accès à certaines informations reste parfois limité, comme le raconte Bernard Dantec, secrétaire général Île-de-France de la Cgt-Caisse d’épargne  : «  Le secret bancaire permet aux banques d’imposer une certaine opacité sur nombre d’activités qu’elles financent – comme l’extraction de charbon ou de pétrole –, et donc sur leur impact environnemental. Mais, dans leurs informations publiques, les entreprises se contentent de prendre en compte le “scope 1”, c’est-à-dire le périmètre restreint au site. Notre direction s’est par ailleurs opposée à ce que nous échangions avec l’équipe chargée de la responsabilité sociale des entreprises, ce qui nous pousse à considérer qu’elle est consciente de ses lacunes dans ce domaine.  » 

Dénoncer le greenwashing de son propre employeur

Comme l’expliquent aussi des militants de Thalès, l’enjeu est d’élargir le diagnostic de l’impact écologique aux émissions de CO2 «  exportées  » par les sous-traitants à l’étranger, et d’agir, à l’échelle d’un territoire, sur l’usage de l’eau, la qualité de l’air par exemple, y compris en travaillant avec des associations locales, et quitte à dénoncer le greenwashing de son propre employeur. 

Ces obstacles n’ont pas empêché des avancées, même si elles peuvent paraître limitées, comme l’obtention d’indemnités pour ceux qui ont recours à des mobilités douces ou au covoiturage, des contacts avec les agriculteurs locaux et bio pour la restauration, une attention plus vigilante à la gestion des fournitures, des déchets, à l’usage du plastique, mais aussi une réflexion sur les avantages et inconvénients du télétravail au regard de l’environnement.

Une centaine de répondants au questionnaire

Tristan Fournet, responsable syndical au conseil départemental des Yvelines, témoigne aussi du fait que la démarche se révèle un bel exercice de démocratie syndicale  : «  Nous avons diffusé un questionnaire détaillé à nos 4 000 collègues, et nous avons reçu une centaine de réponses très détaillées, dont nous avons d’abord extrait 800 propositions. À l’issue de plusieurs réunions et débats, un groupe de volontaires a formalisé 21 revendications phares, puis 8 revendications prioritaires, précises et argumentées, portées par tous.  » 

La Direction de l’environnement l’a pris comme une remise en cause de l’efficacité de son travail mais, explique le militant, «  cela va nous faire avancer sur des problèmes du quotidien, voire sur les stratégies de développement que nous souhaitons encourager, au regard de la gestion des ressources en eau ou de l’artificialisation des sols par exemple. Et cela a montré que notre syndicat valorise le débat et l’implication des agents.  »

Utiliser le Code du travail pour verdir les activités des entreprises

Le juriste Arnaud Casado rappelle que les syndicats peuvent également s’appuyer sur un outil qu’ils maîtrisent  : le Code du travail. Depuis fin 2022, l’Union européenne a adopté une Directive – dite «  Csrd  » – relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises. «  Dès l’an prochain, elle la Csrd être appliquée, en France, aux entreprises de plus de 250 salariés. Mais, explique-t-il, le droit du travail donne déjà des moyens de verdir les activités des entreprises, que ce soit au nom de la santé, où au travers des activités sociales et culturelles des Cse.  »

Les syndicats sont légitimes pour œuvrer à la durabilité des emplois et des activités, d’autant plus quand les entreprises ne s’imposent pas de stratégies de long terme et n’envisagent l’emploi sur certains sites que comme une variable, voire un coût. L’ambition, avec le Radar, est de les contraindre à voir mieux et plus loin. «  Les contraindre à anticiper, à organiser les formations et les évolutions des métiers, c’est reprendre du pouvoir sur notre avenir, donner du sens à notre travail, souligne Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict. Ne sous-estimons aucune petite victoire, ni le fait que cent personnes aient répondu à un questionnaire. Cela représente cent personnes qui valident l’intérêt de notre démarche en y participant, ce n’est pas rien.  »

Pour une transition, ni contre les travailleurs, ni sans eux

Plusieurs militants ont d’ailleurs évoqué le fait que le Radar leur avait permis d’échanger avec des collègues, des jeunes, mais pas seulement, qui s’y intéressaient plus qu’à d’autres initiatives syndicales. «  Le Radar peut ouvrir une porte vers l’action syndicale, donner du sens à l’engagement des plus jeunes ou des plus qualifiés, qui parfois ont le sentiment d’un gâchis de leurs qualifications et ne souhaitent pas qu’elles contribuent à dégrader la planète  », a souligné la secrétaire générale de Cgt, Sophie Binet. Au moment où l’inaction des Cop illustre le manque de volontarisme de la communauté internationale et où en France, l’industrie opère une vague de licenciements, il est clair que les travailleurs ont tout intérêt à rappeler que la transition écologique ne pourra se faire ni contre eux ni sans eux…  »

Une étape est franchie et, pour aller plus loin, les déployeurs du Radar, réunis en ateliers par filières ou par métiers, listent les besoins  : davantage de formations, une meilleure mise en réseau pour échanger sur ce qui marche, notamment. La Cgt veut intégrer les problématiques environnementales à l’ensemble de ses formations, et déployer le Radar partout. «  Nous avons besoin d’une montée en compétences sur ces problématiques, reconnaît Fabienne Rouchy, responsable du dossier au niveau confédéral. L’environnement est un sujet structurant, il doit nous permettre de décloisonner nos organisations, en partant du terrain, et de réfléchir aux transformations de l’appareil productif avant d’avoir à les subir. Notre crédibilité syndicale est en jeu.  »