Chronique juridique -  Santé, charge de travail et entretiens professionnels

L’employeur a une obligation légale de sécurité à l’égard de ses salariés. Il méconnaît cette obligation quand il n’organise pas les « entretiens professionnels » – à ne pas confondre avec des « entretiens d’évaluation du travail ».

Édition 058 de mi-octobre 2024 [Sommaire]

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Faits et procédure

M. [U] a été engagé en qualité de global key account manager (responsable monde grands comptes) par la société Sgs France, à compter du 2 avril 2012. Il a été licencié le 24 avril 2015.

Le 23 septembre 2015, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail contre son ancien employeur, la société Sgs France, société par actions simplifiée unipersonnelle, venant aux droits de la société Sgs Cts.

Ayant perdu devant la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 6), il a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu le 5 mai 2021, et a obtenu gain de cause devant la chambre sociale de la Cour de cassation.

Demande du salarié 

Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes au titre de la méconnaissance, par l’employeur, de son obligation de sécurité et de ses demandes subséquentes, alors qu’il résulte «  des énonciations de l’arrêt que l’employeur n’avait prévu d’instaurer qu’un suivi annuel du salarié pour veiller à ce que l’organisation du travail mise en place ne porte pas atteinte à sa santé, ce qui ne permettait pas de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé et qu’il n’avait même pas mis en place concrètement ce suivi  ; qu’en écartant toutefois la méconnaissance d’une obligation de sécurité de résultat, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour de cassation

12. Il résulte de ce texte que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.

13. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre de la méconnaissance, par l’employeur, de son obligation de sécurité, l’arrêt relève que, si sa responsable lui a effectivement adressé de nombreux mails pour lui demander d’accomplir des tâches, les délais impartis lors des demandes initiales étaient raisonnables et que, si les messages étaient adressés à des horaires tardifs ou lors des fins de semaine, ils correspondaient au rythme de travail de sa supérieure hiérarchique et n’appelaient pas de réponse immédiate. Il ajoute que, lorsque le salarié s’est trouvé en période de congés lors de l’expédition du mail, il a bénéficié d’un délai supplémentaire pour y répondre, que les réponses n’étaient demandées dans des délais plus courts que lorsque le délai initial n’avait pas été respecté, qu’à plusieurs reprises, sa responsable avait été sollicitée directement par d’autres personnes qui lui avaient signalé une urgence ou une absence de réponse du salarié.

14. L’arrêt retient que le rythme de travail important de l’intéressé n’est pas démontré par les éléments versés aux débats et qu’à deux reprises, sa responsable lui a indiqué que, s’il n’était pas en mesure d’assurer certaines tâches, il devait le signaler, lui proposant expressément de l’aide pour son activité.

15. Il constate encore que l’employeur produit la fiche d’aptitude du médecin du travail du 23 mai 2012 et une attestation de suivi infirmier de la médecine du travail du 21 janvier 2015 qui témoignent du suivi du salarié, qu’à l’issue du dernier rendez-vous, aucune autre visite n’a été organisée et que l’employeur n’a pas été destinataire d’une information particulière de la médecine du travail. Il relève également que le salarié produit un certificat médical de son psychiatre du 9 avril 2016, indiquant qu’il est suivi pour un trouble depuis huit ans, 2006-2007, qui s’est aggravé en février 2015 et a nécessité un arrêt de travail de février à juillet 2015. Il en déduit que ce seul certificat, mentionnant un état pré-existant du salarié, ne permet pas d’imputer au comportement de l’employeur l’état de santé de l’intéressé.

16. L’arrêt conclut à l’absence de manquement imputable à l’employeur.

17. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que, contrairement à ce qu’il soutenait, l’employeur ne justifiait pas avoir mis en œuvre des entretiens annuels au cours desquels étaient évoquées la charge de travail du salarié et son adéquation avec sa vie personnelle, le seul compte rendu d’entretien produit, en date du 26 avril 2013, dénommé « évaluation de la performance 2012 », ne contenant aucune mention relative à la charge de travail, ce dont il résultait que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d’appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté, a violé le texte susvisé (Cour de cassation, chambre sociale, 13 avril 2023).

Michel Chapuis