Pour la CGT, il faut mettre fin à la « guerre aux seniors »

Après l’échec du « Pacte de la vie au travail », les négociations sur l’emploi des seniors pourraient bientôt reprendre. En continuant à porter les aspirations exprimées dans la lutte contre la réforme des retraites, la CGT y défendra la nécessité d’aménager les fins de carrière et d’empêcher les discriminations. Retour sur ses propositions.

Édition 057 de [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
L’intersyndicale appelle à une suspension immédiate de la réforme pour permettre son abrogation. ©PhotoPQR /La Montagne/Maxppp

Les négociations interprofessionnelles autour d’un « Pacte de la vie au travail » se sont achevées en avril 2024. Dans son document d’orientation, le gouvernement assumait d’inviter les organisations syndicales et patronales à négocier sur l’emploi des travailleuses et travailleurs expérimenté·es (dits « seniors ») « à contre-temps », c’est-à-dire après la réforme structurante des retraites, et quelques jours après la signature d’un accord régressif sur l’assurance chômage, qui prévoyait un report des bornes d’âge de sa « filière senior » (1). Dans les deux cas, la Cgt s’est mobilisée contre ce qui est une véritable « guerre aux seniors » visant à les faire travailler toujours plus longtemps, dans de mauvaises conditions et sans sécurité de l’emploi.

L’Ugict a participé à la délégation Cgt, dont le mandat de négociation était de gagner de nouveaux droits et de n’avaliser aucun recul. Il fallait aboutir à un accord qui reviendrait sur le vol des deux ans de nos vies par une réforme rejetée par 9 actives et actifs sur 10, combattue par une intersyndicale solide pendant plus de neuf mois de mobilisation, et finalement imposée sans vote à l’Assemblée nationale.

Mais quatre mois de négociation n’ont abouti à aucun accord national interprofessionnel. Le patronat, fracturé, a fini par présenter trois accords différents à la signature. Le premier, porté par le Medef et la Cpme n’a été signé par aucune organisation syndicale. Les autres, rédigés par l’U2P, n’ont pas été signés par la Cgt. L’accord sur le compte épargne-temps universel (Cetu) n’a été signé que par la Cfdt et par la Cftc.

Interférences gouvernementales

Le gouvernement a cherché à influencer les négociations en imposant un cadre budgétaire intenable, et en mettant sur la table une diversité de sujets dont certains, comme le Cetu, étaient fortement clivants au sein des organisations syndicales et patronales. Il a aussi manœuvré pour que le sujet essentiel des reconversions soit le prétexte à la réouverture de négociations sur le système de formation professionnelle. Le Medef en a profité pour en proposer une refonte en profondeur, si bien que les deux tiers du texte final étaient consacrés à ce thème. Or pour la Cgt, c’était l’emploi des seniors qui devrait être au cœur du projet d’accord.

Le gouvernement n’a cessé de perturber la négociation par ses silences ou par l’irresponsabilité de ses annonces. C’est dans la phase de diagnostic que les négociateurs et négociatrices ont découvert que l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) avait été missionnée par le ministère du Travail pour produire un rapport sur les dispositifs de formation professionnelle, sans que les organisations syndicales n’en soient informées.

Suppression annoncée de l’allocation de solidarité spécifique

Dans son discours de politique générale, trois jours avant que les négociations n’entrent dans le vif du sujet (2), le Premier ministre a annoncé la suppression de l’allocation de solidarité spécifique (Ass), un des maigres filets de sécurité des privé·es d’emploi en fin de droits au chômage.

Puis, à quelques jours de la fin des négociations, et alors que la possibilité d’un accord s’éloignait, le ministre de l’Économie a proposé un « contrat de travail senior » à temps partiel, dont le coût serait pris en charge par la suppression de la « filière senior » de l’assurance chômage. Enfin, quatre jours avant la dernière réunion de négociation et alors que le Cetu avait été écarté par le Medef, la Cpme, la Cgt, Fo et la Cfe-Cgc, la ministre du Travail a exprimé son « attachement » à ce dispositif figurant dans le programme d’Emmanuel Macron de 2022.

Même le Medef, pourtant en phase avec la plupart des orientations gouvernementales, a semblé irrité par ces méthodes. Il faut dire que la tentative de ponction des comptes de l’Agirc-Arrco, stoppée par l’accord du 5 octobre 2023, a détérioré les relations entre le grand patronat et le gouvernement.

Il faut une définition plus large de la pénibilité

La délégation Cgt était déterminée à faire résonner, dans les négociations, la colère exprimée par les salarié·es, par les grèves et dans la rue, entre octobre 2022 et juin 2023. Si l’opposition à la réforme des retraites reste aussi forte, aujourd’hui encore, c’est bien parce que les travailleuses et travailleurs savent qu’ils et elles ne pourront pas travailler plus longtemps. En 2019, 38 % des professions intermédiaires et 32 % des cadres indiquaient ne pas être capables de tenir sur leur poste jusqu’à la retraite.

Il faut donc faire reconnaître la pénibilité au travail bien au-delà de la vision étriquée imposée par les ordonnances Macron de 2017. Comment ? En élargissant ses critères de reconnaissance, notamment en prenant en compte les risques psychosociaux. Mais aussi en intégrant l’exposition aux longs horaires de travail induits notamment par le forfait-jours et par les heures supplémentaires. La veille de la première réunion de négociations sur le thème de l’usure professionnelle, le négociateur du Medef donnait cependant le ton en indiquant que la pénibilité ne faisait « pas partie » de son « vocabulaire ».

Unité syndicale sur dix mesures phares

La Cgt a ensuite pris le gouvernement au mot. Dans son document d’orientation, il invitait les négociateurs et négociatrices à « identifier les mesures favorables au maintien et au retour en emploi des seniors afin d’atteindre un objectif d’un taux d’emploi de 65 % des 60-64 ans à l’horizon 2030 ». La Cgt a donc proposé que les entreprises et les branches soient tenues au respect de cet objectif, à raison d’une hausse de 5 % des effectifs seniors par an, sous peine de sanction, par exemple par la suppression des aides publiques versées aujourd’hui sans contrôle ni contrepartie aux entreprises — à hauteur de 175 milliards d’euros en 2022.

Jusqu’au bout, la Cgt a voulu rester au cœur de la négociation, en cherchant à obtenir l’unité intersyndicale sur dix mesures phares dévoilées, à la surprise du patronat, le 20 mars 2024. La quasi-totalité était issue des propositions initiales de la Cgt, et certaines étaient inspirées par les dispositions positives de certains accords d’entreprise, par exemple celles relatives au temps partiel de fin de carrière et à la retraite progressive gagnées par la Cgt chez Verallia.

La réduction du temps de travail, alternative au compte épargne temps

La délégation Cgt a en outre proposé une nouvelle étape de la réduction du temps de travail (Rtt) en alternative à l’élargissement du compte épargne-temps (Cet) via le Cetu. Le Cet est aujourd’hui un remède inefficace et individualisant aux quatre maux que connaissent les salarié·es sur leur lieu de travail : impossibilité de prendre ses congés payés en raison du sous-effectif (en particulier dans la santé et le social) ; carences dans l’organisation du travail ; austérité salariale qui pousse à monétiser son temps de repos ; insuffisance des droits à la formation professionnelle qui conduit à en suivre sur son temps personnel.

Une nouvelle étape de Rtt est souhaitée par la moitié des cadres et professions intermédiaires, notamment par le passage à la semaine de quatre jours. Au total, 66 % des cadres et 77 % des professions intermédiaires de 50 à 64 ans motivent d’ailleurs leur aspiration à la Rtt par le besoin de protéger leur santé (sondage ViaVoice).

Des manœuvres pour diviser les syndicats

Sur la forme de la négociation, le patronat a usé de ses stratégies habituelles : volonté d’exploiter les désaccords syndicaux sur le Cetu pour faire exploser l’unité sur les dix propositions communes, dévoilement tardif de ses positions, tout en accélérant ses repositionnements dans les derniers jours de la négociation, et quelques interventions provocatrices y compris à l’endroit de l’U2P, qui a finalement fait cavalier seul en poursuivant les négociations les 16 et 23 avril pour proposer notamment une réforme alternative du droit à la reconversion.

Sur le fond, le Medef et la Cpme ont déroulé leur objectif commun : permettre aux entreprises de faire des économies, voire de réaliser des bénéfices. La contrepartie au « Cdi senior » proposé par le patronat était en effet la suppression des 30 % de cotisations appliquées sur les indemnités de fin de carrière.

Le patronat dénonce des abus imaginaires

Une autre de leurs manœuvres a consisté à chercher à orienter l’argent du « degré élevé de solidarité » (ou « haut degré de solidarité »), géré par les organismes complémentaires, vers des actions de prévention professionnelle. Or cet argent, financé par les cotisations sociales et patronales, vise à prendre en charge des actions sans rapport avec la prévention de la pénibilité au travail qui, elle, relève de la branche accidents du travail/maladies professionnelles de la Sécurité sociale et donc du financement exclusif des employeurs.

Pour parvenir à ses fins, le patronat a usé de la tactique classique de mise en opposition des salarié·es en fustigeant notamment les jeunes diplômé·es qui abuseraient des reconversions professionnelles, ou les salarié·es âgé·es qui arnaqueraient l’assurance chômage grâce aux ruptures conventionnelles. Or les données sont formelles  : 80  % des cadres seniors sont au chômage suite à une décision de l’entreprise, dont 23  % à l’issue d’une rupture conventionnelle initiée par l’employeur, selon l’Apec.

Résorber le « sas de précarité » des plus de 60 ans

L’une des attaques patronales visait aussi à retirer des droits spécifiques aux salarié·es qualifié·es à responsabilité. Ainsi, au moment de discuter de la possible refonte des divers entretiens prévus pour les salarié·es dans leur carrière (entretiens professionnels, bilans de compétences…), le Medef et la Cpme ont proposé de les fusionner en y intégrant les entretiens de suivi de la charge de travail prévus pour les salarié·es en forfait-jours et en télétravail. La Cpme l’a d’ailleurs justifié au motif que la jurisprudence serait trop « sévère » avec les entreprises. Évidemment, il s’agit de l’un des seuls garde-fous du « far west » du forfait-jours et du télétravail non encadrés !

Ces salarié·es tombent, au même titre que les autres, dans le « sas de précarité » (invalidité, chômage puis Rsa ou Ass) que connaissent près d’un tiers des travailleuses et travailleurs après 60 ans (3). L’Igas soulignait par ailleurs, en 2012, que « chez les 50 ans ou plus, un niveau de diplôme supérieur au Bac + 3 est associé à une plus forte part de chômage de longue durée que des niveaux d’études inférieurs ». La discrimination à l’embauche des seniors qualifié·es à responsabilité est la cause principale de leurs difficultés à retrouver un emploi après une rupture de contrat.

Pour des mesures contre les discriminations

La délégation Cgt a donc insisté sur la nécessité de prendre des mesures radicales de lutte contre les discriminations en entreprise : élargissement de l’obligation de formation des salarié·es chargé·es du recrutement (4), accès des syndicats à un registre des candidatures, intégration des données issues de la méthode Clerc (« nuage de points ») dans le bilan social pour suivre les discriminations sur la carrière…

Un champ d’action syndicale doit s’ouvrir sur le contrôle des progiciels de recrutement qui fabriquent aujourd’hui l’obsolescence programmée de nos qualifications en ne reconnaissant pas les diplômes les plus anciens, et donc en créant les conditions structurelles de la discrimination des seniors. Car après l’échec de ces négociations, l’horizon reste ouvert dans les branches comme dans les entreprises pour gagner, à l’image de l’accord négocié par la Cgt à la Sncf, des aménagements de fin de carrière qui mettront fin à la « guerre aux seniors ».

Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-CGT.

(Contribution parue dans la revue Options n° 681)

  1. La filière senior permet notamment aux 55 ans et plus de bénéficier d’une durée d’indemnisation plus longue.
  2. La première réunion avait été consacrée à la méthode de négociation, et les trois suivantes au diagnostic éclairé par des expert·es.
  3. « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première n° 1946, 11 mai 2023.
  4. Article L. 1131-2 du Code du travail.
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