Rencontres d’Options -  Rencontres d’Options 3/3 – Les violences sexistes et sexuelles, objet syndical à part entière

Comment lutter contre les Vss en entreprise ? La 3e table ronde des Rencontres d’Options a tâché de répondre à cette question. Il s’agit de faire progresser le droit du travail, d’apprendre à accompagner les victimes, mais aussi, en amont, de remettre en cause les rapports de pouvoir propices aux Vss.

Édition 052 de mi-juin 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 5 minutes

Mobilisation pour la Journée internationale contre les violences faites aux Femmes, sur la Place de la République à Paris, le 25 Novembre 2020. © Julien Mattia / Le Pictorium / MaxPPP

Le sujet de la troisième table ronde d’Options, « Les violences sexistes, un objet syndical », a passionné les participantes et participants, dont les interventions ont conjugué des approches variées. 

La question des violences sexistes et sexuelles au travail (Vsst) ne doit plus être cantonnée à l’intime, affirme Emmanuelle Lavignac, secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt. L’argument de l’intimité à préserver, qui aboutit à ce qu’on ne traite pas le sujet, est encore trop souvent utilisé. « Le sexisme imprègne la société, et nul n’en est protégé », sa visibilité est un véritable enjeu. C’est aussi l’avis de Myriam Lebkiri du collectif Femmes-mixité de la Cgt, qui refuse que le sujet des Vss soit considéré comme « accessoire ».

Elle rappelle tout le travail mené par les syndicats, Cgt en tête, pour améliorer la loi de 1992, ou encore sur la convention 190 de l’Oit. Sept ans de travail ont été nécessaires pour qu’en 2019 l’Oit adopte cette convention, qui n’a été ratifiée par la France qu’en… 2023.

Le gouvernement français est un frein

Pour Myriam Lebkiri, contrairement aux gouvernements espagnol ou irlandais, le gouvernement français est « à côté de la plaque » sur ce sujet. Sa lenteur à ratifier la convention 190 a, de fait, bloqué des avancées sur la question des licenciements, de la mobilité géographique, des congés, des formalités administratives ou judiciaires dans le cadre de la lutte contre les Vsst. Et la syndicaliste de citer différents textes internationaux, notamment de l’Union européenne, que Paris refuse d’adopter ou de transposer, comme la directive sur la transparence salariale de 2023. Autant d’outils dont les syndicats pourront ensuite s’emparer pour faire valoir les droits des victimes.

Mathilde Cornette, juriste pour l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (Avft) énonce les besoins persistants pour une meilleure appréhension syndicale des Vsst, à la fois dans l’information et dans la formation des élus et mandatés. Les dossiers sont nombreux et les demandes des victimes sont fortes, rappelle l’Avft, instruite par quarante années de travail et d’expertise.

Le rôle des représentants du personnel

Léa Chamboncel, journaliste et animatrice du média en ligne Popol, va plus loin et interroge « la manière dont la structure fonctionne en interne, en posant la question de ces logiques qui sont aussi des logiques de pouvoir ».

Clémence Pajot, directrice générale de la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (Fncidff), signale que «  seulement 7  % des victimes de Vsst se déclarent auprès des représentants du personnel ». Parce qu’il n’y a pas de militants syndicaux partout  ; parce que les victimes n’identifient pas les délégué·es du personnel  ; mais aussi, regrette Mathilde Cornette, parce que, par manque de formation ou par malveillance, « certains peuvent détricoter le travail mené en désinformant sur les bonnes démarches dans une situation de Vsst ».

Nécessaire exemplarité du syndicat

Le syndicat doit être un atout, pas un frein dans la lutte contre les Vsst. « Il nous faut des relais », souligne la responsable de l’Avft, qui invite les syndicats à faire des efforts dans la formation de leurs responsables. Myriam Lebkiri rappelle le travail constant, en ce sens, du collectif Femmes-mixité et de nombreuses structures de la Cgt  : «  Aucune structure militante n’est exonérée de ces problématiques, car aucune n’est hors de la société.  »

Emmanuelle Lavignac, de l’Ugict-Cgt, évoque la nécessaire exemplarité du syndicat. Il faut tenter d’être irréprochable quand on veut changer la société. Et de donner quelques éléments. La Cgt a créé une cellule de veille en 2016 pour recueillir les signalements de Vss internes à l’organisation. Dans l’action syndicale en entreprise, elle a mené des travaux conjointement avec des associations comme l’Avft. Enfin, l’arrivée à la tête de la confédération d’une ancienne responsable du collectif Femmes-mixité, Sophie Binet, a démontré l’importance pour le syndicat de ce combat féministe. Aux yeux de Clémence Pajot, c’est un symbole fort, « presque un préalable ».

La mixité à tous les échelons n’est pas facultative

La présence des femmes, à différents niveaux de décisions, dans l’entreprise comme dans le syndicat, est la meilleure action possible, tant dans la gestion des Vsst que pour leur prévention. Pour autant, « ce sujet n’est pas un sujet de femmes, mais concerne l’intérêt général », interpelle Nathalie Pilhes, membre du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (Hce) et présidente de 2Gap France, un réseau de collectifs féminins dans le monde du travail. Elle rappelle l’ancienneté de ces réseaux professionnels féminins, et la distinction qu’il faut opérer entre ceux qui sont issus des travailleuses elles-mêmes, et ceux qui sont créés par les employeurs et les directions.

Malgré leurs ressources modestes, ces réseaux ont mis en lumière les inégalités  : dans les salaires, les déroulements de carrières, les enjeux de sexisme, les violences… Les groupes de parole ont permis « des prises de conscience et des réflexions sur les cadres de travail ». Son témoignage en tant que fonctionnaire rappelle que les politiques publiques donnent des résultats différents si elles sont le fruit d’une élaboration dans un cadre féminin ou réellement mixte.

Agir syndicalement pour augmenter le rapport de force

Quels sont alors les moyens, pour un syndicat, d’agir contre les violences sexistes, en son sein et dans l’entreprise ? Emmanuelle Lavignac n’y va pas par quatre chemins  : il faut installer un rapport de force dans la société. L’état du syndicalisme en France laisse de vastes marges de manœuvre  : comment s’étonner du manque de relais quand il n’y a que 10  % de la population active syndiquée ou que le nombre de Cse reste en deçà de ce qu’on devrait avoir  ? « Depuis 2016, la loi autorisant les actions de groupe est encore un nouvel outil », ajoute-t-elle, puisqu’elle permet à un syndicat d’entamer des démarches au nom d’un groupe de femmes pour faire reconnaître un défaut d’égalité salariale. Et en cas de victoire, l’employeur devra procéder à une remise à niveau pour toute la catégorie de salariées en question. Au niveau confédéral, la commission Femmes-mixité soutient les actions menées en entreprise et met à disposition sur son site du matériel pour lutter contre les violences (avec guides, vidéos…).

Concernant les signalements de Vss et la protection des victimes, Clémence Pajot évoque les accords d’entreprises qui « doivent intégrer des mesures d’éloignement des agresseurs ». Parce qu’il reste crucial de gérer la temporalité – lente – de la justice sans rester les bras croisés, alors que la victime et l’agresseur présumé continuent à se côtoyer dans l’entreprise. Pour Léa Chamboncel, qui insiste sur l’importance de croire la parole des victimes, il faut chercher à « casser les pratiques de pouvoir pour éviter la verticalité en entreprise » car ce qui se joue dans la lutte contre les Vsst, conclut la directrice générale de l’Avft, «  ce sont les rapports de pouvoir ».