Ensemble, Ong environnementales et Cgt métallurgie défendent la mobilité durable pour tous
Le Réseau action climat, Greenpeace et la fédération Cgt de la métallurgie ont réuni 350 personnes à Montreuil pour promouvoir, entre autres projets communs, le développement d’une petite voiture électrique populaire.
Oui à la voiture électrique, mais pas « quoi qu’il en coûte », si l’on peut dire… Pour la fédération Cgt des travailleurs de la métallurgie (Ftm), qui y réfléchit depuis des années avec les salariés impliqués dans toute la chaîne de valeurs de la filière automobile, la mutation du secteur doit être socialement acceptable, et pérenne du point de vue économique et environnemental. Or les perspectives s’annoncent compromises et de plus en plus inégalitaires, comme l’ont détaillé les intervenants d’une initiative inédite et de grande ampleur, organisée les 24 et 25 mai par la Ftm, le Réseau action climat et Greenpeace, au siège de la Cgt à Montreuil.
Leur cause commune, défendre « le droit à la mobilité durable pour tous », exige de la détermination et des mobilisations. Près de 350 militants, conscients des problématiques et des enjeux du fait de leur activité professionnelle, ont ainsi livré leurs questionnements, nourrissant un riche débat avec les intervenants.
Concilier enjeux écologiques et sociaux
Les convergences avec les Ong environnementales se sont construites sur la prise de conscience que le social et l’environnemental ne pouvaient être dissociés : pas d’autre issue que d’être sur tous les fronts en même temps. Tout d’abord pour enrayer la dynamique de désindustrialisation de la France, en relocalisant les activités liées à la filière automobile, en particulier celle des véhicules hybrides et électriques. Il s’agit de sauver l’emploi, de sauvegarder et développer les savoir-faire.
Pour mémoire, la France n’est plus que le 5e producteur automobile en Europe. Sa production a été divisée par deux depuis 2000, alors que celle de l’Allemagne a plus que triplé. En quinze ans (2006-2021), l’industrie automobile – constructeurs et équipementiers, hors intérimaires – a perdu 114 000 emplois sur 289 000 selon l’Ursaff, et des dizaines de milliers d’autres sont menacés d’ici 2028. D’autant que l’assemblage de moteurs électriques, plus automatisé, requiert deux fois moins de personnel. De même, les services liés à l’automobile n’emploient plus qu’environ 565 000 personnes, contre 678 000 en 2000. La Ftm défend également une production automobile qui offre à chacun une réponse adaptée à ses besoins de mobilité : pour aller au travail, pour vivre au quotidien, se déplacer le week-end ou en vacances.
Le transport pèse 31 % des émissions de gaz à effets de serre
Dans le même esprit, les Ong de défense de l’environnement refusent que l’urgence de la transition écologique efface les enjeux sociaux. La crise climatique ne peut justifier la mise au chômage des salariés des industries émettrices – directement ou indirectement – de gaz à effets de serre. Ni des mesures d’écologie punitive, qui frapperaient d’abord les populations les plus modestes et celles qui, sans voiture, seraient privées de tout moyen de transport.
« En France, en moyenne, chaque habitant parcours 400 kilomètres par semaine, et le transport est responsable de 31 % des émissions de gaz à effets de serre. C’est un levier d’action incontournable, d’où l’importance d’imposer des modes de mobilité durables », a cependant rappelé Pierre Leflaive, du Réseau action climat. « Le souci d’un accès égalitaire à la mobilité, y compris par la construction de petites voitures électriques à des prix abordables, fait donc consensus », a résumé Denis Bréant, animateur automobile à la Ftm.
Les normes européennes favorisent le haut de gamme
L’Europe s’est engagée à la « neutralité carbone » d’ici à 2050 et compte interdire la vente de voitures thermiques dès 2035. Pourtant, le pouvoir d’achat, les besoins des populations, le parc automobile disponible ou le développement des transports alternatifs s’avèrent très différents d’un pays à l’autre. En fait, la stratégie industrielle de certains États et grands groupes a pesé sur les instances européennes, comme l’a expliqué Tommaso Pardi, chargé de recherche en sciences sociales au Cnrs : « Les Allemands ont notamment exigé des normes d’émissions de CO2 qui correspondent à leur choix de fabriquer de grosses voitures haut de gamme et à forte valeur ajoutée, y compris dans l’électrique, pour leur marché mais aussi pour l’exportation. Ainsi, depuis 2020, la norme moyenne à ne pas dépasser est fixée à 95 grammes par kilomètre, mais avec un seuil variable en fonction du poids des voitures ! On a donc assisté à la multiplication des grosses voitures, tout particulièrement de type Suv, y compris dans l’Hexagone, tandis que les constructeurs français, plus “généralistes”, perdaient des marchés. Ces véhicules sont pourtant inabordables et ne répondent pas aux besoins de la majorité de la population. »
Même sur des voitures plus petites et plus légères, les prix de l’électrique restent trop élevés. La prime à l’achat – de 6 000 euros, bonifiée de 1 000 euros pour les ménages qui ne cumuleraient pas plus de 21 000 euros de revenu annuel ! – a en fait bénéficié aux ménages aisés. Elle a même eu des effets pervers, puisque sur certains modèles, comme la Dacia Sandero, les constructeurs en ont profité pour augmenter leurs prix. Intervenants comme participants ont dénoncé l’hypocrisie des pouvoirs publics, qui feignent de croire que tout le monde peut s’offrir des voitures neuves alors que même avec la prime, un modèle de base comme la Twingo coûte toujours autour de 19 000 euros.
Les petites voitures électriques populaires ne sont pas encore fabriquées en France
En France, malgré des milliards d’euros d’aides publiques, les grands groupes comme Renault-Nissan et Stellantis-Psa ont tardé à réellement investir en recherche et développement, en particulier sur l’hybride et l’électrique. Ils ont continué à délocaliser et externaliser leur production. Conséquence : en 2022, sur dix voitures vendues dans l’Hexagone, seulement deux y ont été assemblées. Certains véhicules made in France, comme la Mégane E-Tech (43 000 euros !) ont peu de succès : l’usine de Douai a connu plusieurs phases de chômage partiel et en craint d’autres. Les flottes d’entreprise, qui représentent la moitié des achats de véhicules neufs, n’y suffiront pas non plus, d’autant qu’il s’agit là encore de véhicules haut de gamme (ou « premium ») ou d’utilitaires.
À partir de 2024, de plus petits modèles vont, enfin, être assemblés sur les sites de Douai et de Maubeuge : la R5 Renault et la R4 Stellantis, respectivement inspirées de la R5 et de la 4L historiques. Mais la production sera-t-elle suffisante pour renouveler le parc d’ici à 2035 ? Pour y parvenir, il faudrait 5 à 6 millions de voitures électriques par an, or seulement 200 000 ont été vendues en 2022. N’y aurait-il donc plus qu’à espérer que le co-voiturage ou l’autopartage entrent dans les moeurs et soient possibles partout où il n’y a pas de transports publics ?
Pour l’heure, ce sont les Chinois ou les Japonais qui pourraient répondre à la demande. Les Chinois avec la Dacia Sandero, vendue 5 000 dollars là bas. Les Japonais avec la Nissan Sakura, en rupture de stock chronique compte tenu de la demande. C’est un véhicule peu volumineux et polyvalent, pouvant accueillir jusqu’à quatre personnes, autonome sur 150 km à 130 km/h. Le modèle est plébiscité au Japon : les kei-cars (voitures légères) y représentent désormais 40 % du marché.
La voiture électrique a aussi une dette carbone ou sociale à assumer
Faute de petite voiture électrique bon marché disponible sur notre sol, la Ftm estime que la transition vers l’électrique sera plus progressive, et doit s’accompagner de solutions associant voitures thermiques et hybrides, en fonction des usages et des moyens. Le retrofit, qui consiste à reconvertir un véhicule thermique en électrique, représente également une solution intéressante, inscrite dans une logique d’économie circulaire, mais reste trop coûteux, car privé d’aides publiques.
Certains participants relèvent aussi que si la facture carbone de l’électrique est meilleure que celle du thermique, c’est seulement à partir d’un fort kilométrage. Et plus la batterie est grosse, plus c’est le cas. Elles provoquent des dégâts sociaux et environnementaux si on inclut dans leur cycle de vie total l’extraction de lithium ou de cobalt, l’usage d’électricité d’origine carbonée, sans oublier les conditions sociales sur une partie de leur chaîne de fabrication – corruption, travail des enfants dans certains pays, transport des composants.
Miser sur les complémentarités entre salariés, et entre porteurs de projets
Répondre aux besoins sociaux sans émettre de gaz à effets de serre reste un défi. « Les ingénieurs et techniciens français ont déjà travaillé à des prototypes de petits véhicules électriques légers et abordables, mais n’ont pas été suivis par les constructeurs, raconte Pierre Nicolas, ingénieur au technocentre de Renault, récemment retraité. Renault a notamment conçu le EV3 en 2012, grâce à un financement de la Commission européenne : il pesait 800 kilos et comptait 3 à 4 places, pour une autonomie de 120 km à 130 km/h, et aurait pu être commercialisé autour de 12 000 euros. En 1986, la Cgt avait présenté un projet qui a ouvert la voie à la Twingo. Aujourd’hui, nous voulons à nouveaux peser dans les décisions pour fabriquer un modèle encore plus performant mais au même niveau de prix, après prime, que l’EV3. »
C’est possible et, à ce titre, Fabrice Fort, ingénieur au Technocentre, se félicite que ces années d’expérience témoignent à quel point « c’est la force de la Cgt de pouvoir associer les réflexions de tous les syndiqués, à tous les niveaux de qualification, dans des démarches collectives qui permettent de construire des voies alternatives pour développer les activités. Nous devons valoriser le travail des ingénieurs, des chercheurs, nos savoir-faire collectifs, nous battre ensemble contre l’abandon de projets qui nous donneraient des perspectives ». Pour les participants au Forum, salariés du secteur, il est urgent d’anticiper, en défendant des projets porteurs et en imposant des plans de formation et/ou de reconversion dont les directions ne veulent pas s’embarrasser. L' »effet ciseau » tranchera : alors que les suppressions d’emploi sont rapides et immédiates, les créations d’emploi s’inscrivent pour leur part dans un temps plus long.
Des solutions moins énergivores et moins polluantes
Comme le soulignent les Ong, il faudra aussi réinventer les usages de la mobilité individuelle, limiter certains déplacements ou développer les transports publics, réparer, recycler. De nombreux domaines de recherche restent ouverts pour trouver des solutions moins énergivores et moins polluantes sur les carburants, la qualité des pneus, les carrosseries. Dans la même démarche, la Ftm envisage de poursuivre sa réflexion à l’échelle des besoins des régions et des bassins d’emploi, en y organisant de nouveaux forums.
David Blaise, responsable du secteur industrie à la Cgt, rappelle que l’ensemble des structures fédérales et territoriales de la Cgt sont concernées : « Mobilisons-nous pour mettre les autorités face à leur responsabilités, au regard des besoins de mobilité de tous, en engageant des fonds publics sur des projets qui garantisse le progrès économique et social. » Il est temps d’appuyer sur l’accélérateur. Valérie Géraud
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