À la découverte de Faith Ringgold, au musée Picasso
C’est la première rétrospective en France de cette artiste afro-américaine qui a entamé son œuvre dans les années 1960, au plus fort des luttes pour les droits civiques, et continue de nos jours, au sein du mouvement Black Lives Matter.
C’est à une véritable révélation qu’on assiste avec la première présentation, dans notre pays, de l’œuvre de Faith Ringgold. Sous le signe du « Black is beautiful », cette artiste a amplement développé l’héritage fertile de ce que l’on a nommé la Renaissance de Harlem, en le reliant à l’actuelle scène « africaine-américaine », ainsi que l’on dit à présent.
Elle est née à Harlem en 1930 et a grandi dans ce quartier du nord de Manhattan devenu, dans l’Entre-deux-guerres, le haut-lieu de l’éveil culturel des communautés noires, suivant les thèses du philosophe Alain Locke dans son ouvrage American Negro (1925). C’est aussi l’époque de la Grande Dépression et de la ségrégation raciale.
Faith Ringgold passe son enfance dans un milieu peuplé de musiciens, d’écrivains, de penseurs. Elle continuera de vivre et œuvrer à Harlem, des décennies durant, en qualité d’artiste et d’enseignante dans les écoles publiques.
Une exploration radicale de l’identité sexuelle et raciale
C’est là que s’enracinent ses engagements artistiques, culturels, familiaux. Tout son parcours relève de la quête éperdue d’une création fondée sur des formes autonomes, propres à mettre en relief son exploration radicale de l’identité sexuelle et raciale. Dès ses premières œuvres, au début des années 1960, elle rend compte des relations interraciales conflictuelles aux États-Unis.
« La question était simplement, a-t-elle écrit, de savoir comment être noir en Amérique. Il n’y avait aucun moyen d’échapper à ce qui se passait à l’époque. Il fallait prendre position d’une manière ou d’une autre, car il n’était pas possible d’ignorer la situation ; tout était soit noir, soit blanc, et de manière tranchée. »
Faith Ringgold s’emploiera, sans répit, à combiner sa vision révolutionnaire du Black Poweravec une approche infiniment personnelle de la théorie des couleurs et des techniques, par le biais d’une forme d’autofiction. En elle se mêlent la modernité et des traditions vernaculaires, les mots et les images, tandis qu’elle a pu élaborer un art original de la performance et du textile.
L’extrême puissance de son œuvre est parfaitement mise en lumière dans la série American People (voir illustration), consacrée au racisme ordinaire. Sur ces tableaux de facture réaliste, elle exprime l’épouvante consécutive à des soulèvements cruellement réprimés.
« Je veux agripper leurs yeux et les maintenir ouverts »
« Je ne voulais pas que les gens puissent regarder et détourner le regard, déclare-t-elle, parce que beaucoup de gens font ça avec l’art. Je veux qu’ils regardent et voient. Je veux agripper leurs yeux et les maintenir ouverts, parce que c’est ça, l’Amérique. »
Au plus fort des tensions raciales, elle peint douze toiles d’une palette subtilement sombre, qu’elle nomme Black Light (« Lumière noire »). Elle y célèbre la beauté afro, proclamée lors de l’émergence, dans les années 1970, du mouvement Black Power, auquel elle participe activement en réalisant des affiches militantes.
En 1973, elle conçoit et concrétise ses premières œuvres textiles, soit ses peintures tanka, toiles libres inspirées de l’art du Népal, ainsi que des sculptures en tissu, fabriquées avec sa mère, à base de toiles de lin peintes, de perles, de raphia, de calebasses, selon des techniques propres à l’art africain.
En 1990, Faith Ringgold est en résidence artistique au château de la Napoule. Elle y produit la série intitulée « The French Collection », qui comporte, entre autres tableaux particulièrement marquants, Picasso’s Studio, un magnifique hommage au maître. Elle s’y représente, nue, devant une copie des Demoiselles d’Avignon, qui en 1907 révolutionnèrent la peinture en s’inspirant de l’art de l’Afrique.
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