Première rétrospective en France de l’œuvre d’Oskar Kokoschka
Le Musée d’art moderne de Paris retrace quelque soixante-dix ans de création de ce peintre, né à Vienne en 1886, mort en Suisse en 1980, qui a traversé, pinceau en main, les turbulences de son temps.
Le Musée d’art moderne de Paris retrace quelque soixante-dix ans de création de ce peintre, né à Vienne en 1886, mort en Suisse en 1980, qui a traversé, pinceau en main, les turbulences de son temps.
Oskar Kokoschka fait l’objet d’une révélation à grande échelle. Il y avait eu, en 1974, en ce même Musée d’art moderne de Paris, une exposition de ses gravures et de quelques aquarelles, en rien comparable à l’envergure de l’actuelle présentation, intitulée « Un fauve à Vienne », qui regroupe 150 œuvres et couvre tous les aspects de son existence d’artiste dans un siècle ô combien tourmenté, dont il fut, en son domaine, un témoin attentif et un acteur impliqué.
Il fut également poète, écrivain, essayiste, auteur dramatique. En 1909, la première de sa pièce au titre diablement provocant, Assassin, espoir des femmes, causa un vrai scandale. En 1921, cette œuvre sera mise en musique par Paul Hindemith.
Oskar Kokoschka naît le 1er mars 1886 à Pöchlarn, en Basse-Autriche. De 1904 à 1909, il étudie à Vienne, à l’École des arts appliqués du Musée des arts et de l’industrie. C’est une époque où la capitale de l’Empire austro-hongrois est le théâtre d’intenses bouleversements artistiques et intellectuels. N’est-ce pas en 1908 que s’y fonde la société de psychanalyse et que, deux ans plus tard, Freud y publie ses Cinq leçons sur la psychanalyse ? Kokoschka est jeté d’emblée dans ce maelström novateur, où l’on prône alors l’unité des arts.
Artistes et artisans dans l’élaboration d’un art total
À l’aube du XXe siècle, le mouvement dit de la Sécession rassemble, autour de Gustav Klimt (1862-1918), des artistes qui, tournant le dos à l’académisme, préconisent l’alliance avec les arts appliqués. En 1903, ils fondent la Wiener Werkstätte (« l’Atelier viennois ») dans le but d’associer artistes et artisans dans l’élaboration d’un art total. En lien avec eux, le jeune Kokoschka organise une soirée théâtrale au Cabaret Fledermaus. Il obtient, de surcroît, plusieurs commandes, au nombre desquelles Les garçons qui rêvent (1908), poème écrit et illustré par ses soins – montré dans l’exposition – qui décrit l’éveil de la sexualité adolescente.
Grâce à son ami, le grand architecte Adolf Loos (1870-1933), Kokoschka rencontre notamment l’écrivain et satiriste autrichien Karl Kraus (1874-1936), fondateur de la revue Die Fackel (« la Torche ») et, en 1910, l’éditeur berlinois Herwarth Walden (1878-1941), fondateur de la galerie et revue Der Sturm (« l’Ouragan »), qui jouera un rôle prépondérant dans le développement des avant-gardes en Allemagne.
Kokoshka collabore à l’entreprise en illustrant les pages de la revue en même temps qu’il vit une liaison tumultueuse avec Alma Mahler (1879-1964), grande amoureuse en plusieurs bras. Elle inspirera, dans ses pièces Colomb enchaîné (1913) et La Cantate de Bach (1914) une misogynie d’époque, qu’on retrouve, entre autres, chez le dramaturge suédois Strinberg, dressant l’homme et la femme en un perpétuel « combat des cerveaux ».
Blessure narcissique, vengeance d’amant ?
En 1918, il commande, à l’artiste Hermine Moos, une poupée grandeur nature à l’effigie d’Alma Mahler. Le personnage d’Olympia, dans les Contes d’Hoffmann (1817), en fut sans doute le modèle fantasmatique. Acte d’avant-garde, blessure narcissique, vengeance d’amant après-coup ? Kokoschka se peint auprès de ce simulacre de femme puis, en 1922, il détruit la poupée !
Dès ses premières productions, Kokoschka a choqué le public. La critique le jugeait « Oberwildling », le plus sauvage d’entre tous. En 1914, alors que la guerre précipitait sa rupture avec Alma Mahler, il fut blessé à la tête et au poumon, puis, plus tard, par un éclat de grenade.
« Je ne sais pas faire autre chose qu’exprimer la vie »
Farouchement indépendant, il se définira ainsi : « Je suis expressionniste parce que je ne sais pas faire autre chose qu’exprimer la vie. » Ses nombreux portraits aux visages crispés par une dramatisation ostensible, peints en tourbillons chromatiques méticuleusement agencés sur des surfaces texturées et fracturées, sont reconnaissables entre tous.
Il fut l’une des cibles de choix des nazis pourchassant ce qu’ils nommaient l’« art dégénéré » (Entartete Kunst). Dès leur accession au pouvoir, ses œuvres sont saisies. Il se peindra lui-même, magistralement, en « artiste dégénéré ». Un de ses chefs-d’œuvre, La Fiancée du vent, flétri par les hitlériens, sera bien plus tard reconnu à sa juste valeur, mais beaucoup d’autres de ses toiles ont disparu.
Kokoschka a, toute sa vie, beaucoup voyagé. Ses années à Dresde, de 1916 à 1923, furent suivies de séjours à Paris (1923-1934). De 1934 à 1938, il vécut à Prague, dénonçant le IIIe Reich autant que faire se peut. De 1938 à 1946, il s’exila en Angleterre. De 1946 à 1980, c’est en Suisse qu’il s’affirma en « grand Européen », jusqu’à portraiturer le président de la République fédérale allemande Conrad Adenauer. Il peignit alors, d’une touche violente héritée de sa jeunesse, de puissantes scènes mythologiques.
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