Lutte contre l’extrême droite : comment interpréter la progression du vote Rn chez les cadres ?
Au second tour de l’élection présidentielle, 33 % des cadres du privé et 27 % des fonctionnaires de catégorie A ont voté pour Marine Le Pen. Comprendre pourquoi et agir revêt, pour la Cgt et son Ugict, une urgence syndicale.
Au second tour de l’élection présidentielle, 33 % des cadres du privé et 27 % des fonctionnaires de catégorie A ont voté pour Marine Le Pen. Comprendre pourquoi et agir revêt, pour la Cgt et son Ugict, une urgence syndicale.
Les faits sont là. Même en France, la progression du vote en faveur des partis d’extrême droite n’est plus l’apanage des catégories sociales les moins favorisées. Au second tour de l’élection présidentielle, le nombre de cadres ayant accordé leur vote au Rassemblement national a, lui aussi, fortement augmenté. C’est ce que met en lumière une étude publiée le mois dernier par le Cevipof : le 24 avril 2022, 33 % des cadres du privé ont voté pour Marine Le Pen, soit une progression de 27 % par rapport à 2017 (+6 points). Plus inquiétant encore : 27 % des fonctionnaires de catégorie A, hors enseignants (+7 points) ont également fait ce choix. C’est une progression de 35 % par rapport à 2017, contre 31 % toutes catégories de fonctionnaires confondues….
Chez Capgemini, on a pas attendu l’étude du Cevifop pour prendre conscience du problème. Lors de son dernier congrès, le syndicat Cgt s’est donné l’objectif de former l’ensemble de ses élus et mandatés aux intentions de l’extrême droite, en mettant à leur disposition arguments et moyens pour mieux en décrypter les mensonges et faux-semblants. En juin dernier, quatorze d’entre eux ont suivi une formation de deux jours conçue par le collectif confédéral de « lutte contre les idées d’extrême droite ». Dans les mois qui viennent, d’autres militants Cgt de l’entreprise devraient suivre, jusqu’à ce que tous disposent des outils susceptibles de démontrer pourquoi, ni la chasse aux chômeurs, ni la préférence nationale, ni l’abandon des cotisations sociales ne peuvent être des solutions aux problèmes auxquels font face les salariés.
Survalorisation des individus et dureté managériale
Même dans ce groupe où l’on compte 80 % d’ingénieurs et cadres sur les 25 000 salariés inscrits aux effectifs et autant d’hommes et de femmes courtisés sur le marché du travail, la tentation du rejet de l’autre et du repli sur soi gangrène en effet les esprits, reconnaissent Sophie Fratczak, secrétaire générale du syndicat, et Emmanuel Bianchi, son délégué syndical. Est-ce seulement la banalisation du corpus idéologique de l’extrême droite qui en est la cause ou « la perte de confiance dans les partis de gauche » ? Tous deux se souviennent encore de ce délégué syndical Cgt qui, en 2017, prônait la théorie du chaos comme solution à la crise du politique auprès de ses collègues. « Nous lui avons demandé d’abandonner ses mandats », confient-ils.
D’autres éléments pèsent sans doute aussi dans la porosité des esprits aux discours d’une Marine Le Pen ou d’un Éric Zemmour : l’élitisme et « le culte du chef », la « survalorisation des individus et une dureté managériale grandissante dégradant chaque jour un peu plus les notions de collectif et de vivre-ensemble en entreprise », expliquent-ils. Le syndicalisme a tout à y perdre. « Comment organiser les solidarités dans une entreprise comme la nôtre qui compte des travailleurs détachés ou des activités off-shore si nous laissons le champ libre à un discours débridé contre les immigrés ? Comment défendre les salaires si on ne réagit pas aux mensonges de l’extrême droite quand, avec la droite, elle laisse supposer que la question du pouvoir d’achat peut être résolue en rachetant ses Rtt ? », s’interrogent-ils ?
De la même manière qu’elle demande à ses élus et mandatés de se former à la prévention des violences sexistes et sexuelles en entreprise, la Cgt de Capgemini réclame donc d’eux qu’ils se dotent de tous les outils nécessaires pour contrer le fantasme d’une France envahie ou les bienfaits de ce corporatisme que prône sans complexe le Rassemblement national. « Gagnerons-nous les 32 heures si nous nous battons seuls, chacun dans notre entreprise ? », demandent-ils encore. Sophie Fratczak et Emmanuel Bianchi tiennent à le spécifier : leur engagement dans la lutte contre les idées d’extrême droite se nourrit aussi d’un engagement résolu dans les structures territoriales de la Cgt. Engagement qui les a aidés à monter la première formation contre les idées d’extrême droite dans l’entreprise.
S’appuyer sur la connaissance que les cadres ont de l’entreprise
À l’Ugict-Cgt, c’est dès juillet dernier que la Commission exécutive décide de consacrer un échange à la rentrée aux moyens de lutter contre l’extrême droite. Et d’alimenter la réflexion des syndicalistes, notamment en conviant, à la CE du 15 septembre, Denis Durand, ancien directeur adjoint à la Banque de France et ancien secrétaire général du Syndicat national de l’établissement, ainsi qu’Ugo Palheta, sociologue, maître de conférences à l’université de Lille.
Des effets de la crise économique et de la crainte grandissante du déclassement, il en est bien sûr fortement question, comme des mensonges répétés de l’extrême droite pour mieux banaliser le racisme et l’exclusion. « Au-delà des cadres, ce discours gangrène bien des groupes sociaux qui, pendant des années, ont pu paraître protégés », avertit pourtant Ugo Palheta. Comment, dès lors, les militants de l’Ugict-Cgt peuvent-il tenir leur place pour contrecarrer ce mouvement ? De quelle manière peuvent-ils contrer ces fake news que déversent les réseaux sociaux auprès leurs collègues, banalisant ainsi chaque jour un peu plus la rhétorique des organisations d’extrême droite ? Quelle stratégie le syndicalisme peut-il adopter pour faire barrage à la tentation complotiste qui altère toute capacité de construire une alternative ?
Dans ce débat, Denis Durand mais aussi André Jaeglé, président émérite de la Fmts (Fédération mondiale des travailleurs scientifiques) et ancien dirigeant de l’Ugict-Cgt, exposent les atouts essentiels dont, selon eux, dispose l’Ugict-Cgt pour contrer l’influence des idées d’extrême droite. Pour l’ancien économiste de la Banque de France, il s’agit de « la connaissance que les cadres peuvent avoir de l’entreprise » et, avec elle, des circuits et des modalités de l’exploitation. Pour André Jaeglé, le syndicalisme cadre, fort de sa capacité à exposer clairement les responsabilités de la crise et de la paupérisation, peut démontrer par l’exemple où mènent les politiques portant aux nues les vertus de l’individualisme et vers quoi se dirigent une société qui, pour mieux masquer ses injustices, confond richesse et paiement de la qualification.
Après le succès électoral de l’extrême droite suédoise aux élections législatives et du parti postfasciste Fratelli d’Italia, le débat que mène l’Ugict-Cgt est précieux. Sa secrétaire générale, Sophie Binet, le souhaite fructueux : un point de départ pour « nourrir notre stratégie et envisager la façon de reprendre la main » en créant, souligne-t-elle, de « nouvelles alliances » avec les mouvements féministes ou de lutte contre le racisme pour mieux avancer ».
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