Toulouse célèbre les soixante ans de photographie de Jean Dieuzaide, enfant du pays
Cent quarante-huit œuvres et de précieuses archives visuelles, parfois inédites, sont exposées au couvent des Jacobins, ce qui permet de prendre la haute mesure de ce maître de l’objectif disparu en 2003.
Cent quarante-huit œuvres et de précieuses archives visuelles, parfois inédites, sont exposées au couvent des Jacobins, ce qui permet de prendre la haute mesure de ce maître de l’objectif disparu en 2003.
Né le 20 juin 1921 à Grenade-sur-Garonne (Haute-Garonne), Jean Dieuzaide, photographe professionnel soixante ans durant, s’éteignait à Toulouse le 18 septembre 2003. La mairie de la ville met les petits plats dans les grands pour rendre hommage, dans une rétrospective organisée à l’occasion du centenaire de sa naissance, au reporter infatigable et à l’artiste de l’image qu’il fut. Dieuzaide, en effet, a su mener de front les travaux de commande dans la presse, l’industrie (Pechiney, AZF, Aérospatiale, Aquitaine Chimie, Sud-Aviation…), l’édition, les institutions et l’exploration de thèmes personnels.
Issu d’une famille modeste, il s’initie à la photographie au côté de son père. Entré en fonctions juste avant la guerre, il se fait connaître avec ses vues de la libération de Toulouse, réalisant alors, en 1944, le premier portrait officiel du général de Gaulle à son retour en France. En 1954, il s’affilie au Groupe des XV. Fondée en 1946, cette association se donnait pour but de promouvoir la photographie en tant qu’art et d’attirer l’attention sur la sauvegarde du patrimoine photographique national. En firent notamment partie Willy Ronis, Jean Michaud, Sabine Weiss, Janine Niépce… En 1955, Dieuzaide reçoit le prix Niépce et, en 1961, le prix Nadar. Il reste le seul photographe à avoir obtenu les deux prix.
Jusqu’en 1971, il œuvrera sous le pseudonyme de Yan. Il travaille essentiellement dans le Sud-Ouest français, en Espagne et au Portugal. Ses photos sont régulièrement publiées dans le « Salon permanent de la photographie » du magazine Point de vue-Images du monde. On lui doit, à cette époque, une série de portraits célèbres, entre autres ceux de Salvador Dalí et du peintre, sculpteur, écrivain François Bernadi, ami d’Albert Camus…
Premier photographe a être nommé peintre officiel de la Marine
En 1970, il est membre fondateur des Rencontres internationales de la photographie d’Arles. L’année suivante, à Arles justement, il est de l’exposition collective « Le Groupe Libre expression : Expo 5 ». En 1973, il est l’invité d’honneur des Rencontres, au cours desquelles est projeté le film Rétrospective Jean Dieuzaide et Fulvio Roiter, celui-ci étant un grand photographe vénitien. Deux ans plus tard, Dieuzaide est le premier photographe à être nommé peintre officiel de la Marine.
En 1974, il est à l’origine de la fondation du Château d’eau, pôle photographique de Toulouse, première galerie permanente de photographie en France. Dans cette belle institution, installée, justement, dans le château d’eau – édifié en 1824 au bord de la Garonne – qui alimentait les fontaines de la Ville rose, Jean Dieuzaide organisera plus de 200 expositions de photographes de tous les pays.
Des visages, des paysages et des instantanés d’humanité vivante.
En 1977, il lance une campagne mondiale pour la défense et le maintien de la production de papier photographique baryté, à laquelle les fabricants entendent renoncer en lui substituant les papiers plastifiés RC (Resin Coated), moins riches en argent et bien moins durables. La campagne fut un succès. Aujourd’hui encore, le papier baryté demeure disponible pour les usages artistiques et d’archivage.
Les récompenses récoltées par Dieuzaide sont nombreuses, tout comme les ouvrages auxquels il a contribué par l’illustration photographique, publiés pour la plupart aux éditions Arthaud, qu’il s’agisse de la Gascogne, de Toulouse, de la Sardaigne, de la Turquie, des Pyrénées ou de la Catalogne.
Les grands chantiers de la France dite des Trente Glorieuses
En spectateur du monde toujours sur le qui-vive, Jean Dieuzaide a donc pu enregistrer les grands chantiers de la France dite des Trente Glorieuses en même temps qu’il exécutait des portraits qui font date et que, d’ici où là, il rapportait des visages, des paysages et des instantanés d’humanité vivante. Hors de toute commande officielle, il s’est livré sans cesse à des recherches personnelles sur la prise de vue en laboratoire, dont l’exposition propose un large éventail, puisé dans sa fameuse série Vacances dans ma maison ou encore dans ses Recherches pour l’exposition de l’électronique.
Soixante ans de pratique passionnée de la photographie dans tous les domaines de l’exercice du regard, cela laisse des traces ineffaçables. Françoise Denoyelle, historienne de la photographie, commissaire de l’exposition, signale qu’elle ne montre pas moins de 148 œuvres et 81 documents, dont la majeure partie provient du fonds Jean Dieuzaide, conservé aux archives municipales de Toulouse. Il y a des films, qui mettent l’œuvre en perspective, ainsi que ses conditions d’élaboration dans le contexte historique, artistique et culturel des années 1950 à 1980 du siècle dernier et au-delà. Les œuvres dites proprement artistiques et les photos de reportages sont différenciées dans la présentation sur les cimaises, tandis que les archives prennent place dans des vitrines.
« L’étonnant et le rare sont souvent dans la banalité du quotidien »
Jean Dieuzaide disait, à qui voulait l’entendre, qu’il était fier d’être artisan, photographe et enfant de la Gascogne. Tôt reconnu par ses pairs, il a été un militant actif de sa profession, membre de maints jurys nationaux et internationaux, expert auprès des tribunaux et pédagogue assidu. Il dirigea avec succès de nombreuxworkshops, notamment aux Rencontres internationales d’Arles.
En 1989, il avait été invité au Japon, avec dix confrères internationaux, pour recevoir le Master of Photography, parmi 50 professionnels triés sur le volet, pour illustrer la photographie des années 1959 à 1970, exposés au musée d’Art moderne de Tokyo.
« Être photographe, disait Jean Dieuzaide, c’est aller à la découverte. C’est voir et montrer des choses étonnantes ou rares. Mais, ce que l’on ne sait pas, c’est que l’étonnant ou le rare sont souvent dans la simple banalité du quotidien. »
Place des Jacobins, allée Maurice-Prin (entrée par l’église), 31000 Toulouse, tél. 05.61.22.23.81 Catalogue publié par les Éditions de Juillet (240 pages, 39 euros), traduit en anglais et en espagnol.
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