Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme montre 300 œuvres de ce membre de l’agence Magnum, qui a sillonné le monde en se posant, sans cesse, la question de ses propres origines.
Le photographe Patrick Zackmann intégrait, à l’âge de 30 ans, en 1985, la prestigieuse agence Magnum. Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (Mahj) lui consacre ces temps-ci, sous le titre « Voyages de mémoire », une exposition qui ne compte pas moins de 300 œuvres, des années 1970 à 2015, dont de nombreux clichés inédits et un film de 31 minutes, intitulé la Mémoire de mon père (1998).
On doit à Patrick Zackmann maints reportages hors de France. En 1990, pour la libération de Nelson Mandela, il est en Afrique du Sud, où il assiste, non sans effroi, à une manifestation de tenants de l’Apartheid défilant avec chemises brunes et croix gammées. Neuf ans plus tard, le voici au Chili, en quête de traces des camps de prisonniers politiques organisés, dans le désert d’Atacama, par le dictateur Pinochet. « Je découvre, dit-il, un pays dont l’amnésie me stupéfie mais m’attire, d’autant plus que je sens qu’il renvoie, confusément, à mes démêlés avec la mémoire ».
Des portraits de survivants et des images d’ossuaires
En 2000, c’est du Rwanda qu’il rapporte, six ans après le génocide des Tutsis, des portraits de survivants et des images d’ossuaires, qui témoignent de l’ampleur du crime de masse. La même année, il se rend à Auschwitz-Birkenau, où ses grands-parents paternels furent assassinés. Dans les années 2010, il retourne en Pologne et se rend en Ukraine, d’où il ramène des images de pèlerinages de juifs orthodoxes sur les tombes des fondateurs du hassidisme.
Enfin, en quête des origines de sa famille maternelle (sa mère, née au Maroc, avait grandi en Algérie), il sillonne l’Est marocain et l’Oranie, dans le dessein de découvrir des signes de pistes révélateurs de la très longue histoire du judaïsme d’Afrique du Nord, qui relève quasiment, de nos jours, d’un « monde disparu », tout comme celui de sa famille paternelle, d’origine polonaise. De ce qu’il nomme « le voyage à l’envers », il tire un film, Mare Mater (2013), dans lequel, affirme-t-il, « je confronte ma propre histoire familiale à celle des migrants d’aujourd’hui ».
De l’aveu même de Patrick Zachmann, son travail, depuis le début, participe de la recherche de sa propre identité. Il s’est donc posé la question, essentielle à ses yeux :
Est-on juif, quand on ignore sa religion et sa culture ?
C’est pourquoi, vingt ans durant, des années 1970 aux années 1990, il a effectué, appareil photo en main, une « enquête » assidue sur les Juifs de France. Elle l’a mené de Paris à Marseille, de la rue des Rosiers aux Buttes-Chaumont, des plus orthodoxes aux plus laïques, de la communauté loubavitch aux grossistes du Sentier, des derniers typographes communistes du quotidien en yiddish Naye Pres, jusqu’aux juifs « les plus invisibles ». Cette investigation visuelle inlassable, d’historien de l’immédiat, de sociologue, voire d’anthropologue, coïncidait avec les attentats antisémites qui eurent lieu dans notre pays, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.
Il fait don au Mahj de plus de cent-cinquante tirages
En préface du catalogue, Dominique Schnapper, présidente du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, précise que c’est la première fois que cette institution consacre une exposition personnelle d’envergure à un photographe vivant. Elle signale également que Patrick Zachmann fait don, au Mahj, de plus de cent-cinquante de ses tirages réalisés pour l’occasion.
Avant d’intégrer l’agence Magnum, Patrick Zachmann (né en 1955 à Choisy-le-Roi), s’est initié à la photographie dans le laboratoire amateur de l’école Decroly, à Saint-Mandé. En 1976, il suivait, aux Rencontres photographiques d’Arles, un stage dirigé par le maître de la photo Guy Le Querrec, avant d’intégrer l’agence Rush et d’effectuer son premier reportage en Israël. En 1979, il est dans l’avion qui ramène l’ayatollah Khomeiny à Téhéran. Deux ans après, il couvre, à Jérusalem, le premier rassemblement des survivants de la Shoah. En 1982, il effectue son premier voyage en Chine, avant de réaliser, à Naples, un reportage sur la police et la mafia. Deux ans après, il braque l’objectif sur les quartiers nord de Marseille…
Un chapitre des « Voyages de mémoire » de Patrick Zachmann a trait aux bals juifs. « Ce n’est que des années plus tard que j’apprendrai, par ma mère, qu’elle a rencontré mon père… dans un bal ! »
Il analyse lucidement la part importante de son œuvre qui concerne sa quête d’identité. « Je voulais photographier toutes sortes de juifs, des ashkénazes, des séfarades, des religieux, des non croyants, des communautaristes, des électrons libres, des intellectuels, des artistes, des ouvriers, des commerçants, des intelligents, des stupides, des riches, des pauvres… Je voulais déconstruire certains clichés er dresser un portrait subjectif des juifs de France, qui les montrerait dans leur diversité et, finalement, dans leurs identités multiples ».
Après avoir exploré l’identité « visible » des juifs orthodoxes, dans laquelle il ne se reconnaît pas – puisque non croyant – il dit s’être intéressé aux survivants puis, après avoir suivi des jeunes sionistes, dans lesquels il ne pouvait pas non plus se reconnaître, il a photographié la vie communautaire et, dit-il, « les bals juifs qui me rappelaient inconsciemment ma mère ». Rétrospectivement, « je me rends compte, constate-t-il, que j’ai essentiellement photographié des hommes, probablement parce que c’est une image de moi-même que je recherchais ».
« Voyages de mémoire » Jusqu’au 6 mars 2022, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple 75003 Paris. Catalogue : 224 pages, 190 illustrations, 18 x 24 cm, relié, 30 euros, Coédition Mahj et Atelier EXB
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