Illectronisme : la nécessaire invention de réponses

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Photo : Marc Salvet/Dépêche du Midi/Photopqr/Maxppp
Si l’on considère la maîtrise des technologies de l’information et de la communication comme une compétence clé, il apparaît urgent et stratégique de prendre la juste mesure de l’illectronisme.

« À travers l’école, en particulier, l’État peut prévenir “l’illectronisme”, avant qu’il ne devienne un nouvel avatar de l’illettrisme. » Le propos est de Lionel Jospin, alors Premier ministre. On est en août 1999 et la fracture numérique fait déjà parler d’elle, inquiétante. Plusieurs Premiers ministres plus tard, la situation a évolué sans pour autant s’améliorer. L’évolution est d’évidence quantitative. Certes, 89 % des Français possèdent un ordinateur, un smartphone ou une tablette. Et le numérique a envahi le monde des services, du commerce, de l’administration, rendant encore plus indispensable la démocratisation de sa maîtrise.

Mais ces chiffres signifient que 11 % des Français restent en marge, soit quand même quelque 5 millions de personnes. Et que les 13 % de Français qui ne disposent pas d’une connexion se retrouvent en marge de la société numérique. Le phénomène apparaît nettement en termes générationnels – un tiers des 70 ans et plus ne sont pas connectés – mais il se retrouve dans l’ensemble de la population.

Une exigence de nouvelles pratiques de solidarité sociale

L’équivalent numérique de l’illettrisme concerne donc un public nettement plus large que l’illettrisme, et ses enjeux ne sont pas moins minces, tant s’en faut. L’enquête commanditée par le Syndicat de la presse sociale (Sps), réalisée en février 2018 par Csa Research, nous informe ainsi qu’environ 23 % des Français ne sont « pas à l’aise avec le numérique », déclarant « ne jamais naviguer sur Internet ou bien difficilement ». Sans grande surprise, ce taux monte à 58 % chez les personnes de 70 ans et plus. Par ailleurs, près d’un tiers des Français (32 %), que l’étude nomme « abandonnistes », déclarent avoir déjà renoncé, dans les douze derniers mois, à faire quelque chose parce qu’il fallait utiliser Internet.

L’étude distingue cinq grands profils d’usagers : les « aguerris » qui, comme leur nom l’indique, n’ont aucun problème. Les « volontaires » qui s’y emploient. Les « décalés » qui n’utilisent que faiblement Internet, en se faisant aider. Les « réfractaires » dont le surnom vaut programme et enfin les « occasionnels », souvent jeunes et ne disposant pas d’une connexion permanente faute de moyens. À quoi l’étude ajoute une 6e catégorie, dite des « abandonnistes », Français de tous âges, tous milieux (20 % des Csp +), sexes et régions.

Près de 20 % des Français auraient ainsi renoncé au moins une fois au cours des douze derniers mois à une démarche à faire sur Internet, dont deux tiers sont des actifs. Un tiers ont entre 50 et 64 ans, et 21 % sont des digital natives. Quatre sur dix ont renoncé à une démarche administrative en ligne (impôts, Urssaf, banque, etc.). Ils sont équipés à 94 %, mais 30 % peinent à naviguer. L’étude, qui n’évoque pas ceux qui ont abandonné délibérément, insiste sur « ceux qui sont comme embarqués sur des chemins dont ils ne trouvent pas l’issue », selon le commentaire de Philippe Marchal, le président du Sps.

Au-delà d’un « bien-être social » consistant tout simplement à ne se sentir ni perdu ni abandonné, l’enjeu est bel et bien de nature politique puisqu’il met en cause l’égalité des droits et l’égal accès à ces droits. Il renvoie également à l’existence de pratiques de solidarité sociale. Demander de l’aide à un proche est certes parfois possible. Parfois. Mais l’enjeu est tel qu’il appelle sans aucun doute des réponses collectives et nouvelles, génératrices de lien social. Comme le disait si bien Lionel Jospin, l’État, même s’il n’est pas le seul à en avoir, assume quelques responsabilités en la matière.

Gilbert Martin

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