Le service public de la forêt est mis en danger par la faiblesse des moyens humains, divisés par deux en quarante ans.
« C’est un bel établissement auquel je tiens personnellement […]. On va replanter la forêt, on sera là pour aider les forestiers. » Si la situation n’était pas aussi sérieuse, la phrase prononcée par Emmanuel Macron en hommage à l’Office national des forêts (Onf) après les deux grands incendies de l’été en Gironde, pourrait presque prêter à sourire. Un « bel établissement » : personne ne songerait à le contester. Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), placé sous la double tutelle des ministères de l’Agriculture et de l’Écologie, il continue d’assurer, presque soixante ans après sa création, une triple mission de production de bois, de préservation de l’environnement et d’accueil du public. Parmi ses agents, des forestiers « sapeurs » travaillent en collaboration avec les secours et des services de prévention, en synergie avec la gendarmerie et l’Office français pour la biodiversité.
500 suppressions d’emplois encore prévues
La suite de la phrase est plus problématique. En cours de démantèlement, l’Onf souffre en effet de coupes drastiques dans ses effectifs, divisés par deux en quarante ans. Quelque 500 suppressions d’emplois sont encore prévues dans le contrat d’objectif 2021-2026. C’est aussi sous le premier mandat d’Emmanuel Macron, en décembre 2020, que l’article 33 de la loi Asap (Accélération et simplification de l’action publique) a autorisé le gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures modifiant les dispositions du Code forestier relatif à l’Onf, ouvrant la voie à l’élargissement du recrutement d’agents de droit privé : un pas de plus vers la privatisation.
Presque deux ans plus tard, Loukas Benard, secrétaire général de la Cgt-Forêt et technicien forestier en Haute-Marne, dénonce : « Nous n’avons jamais obtenu aucune réponse aux alertes formulées par l’intersyndicale. » Vont-elles enfin être prises en compte ?
La forêt capture le carbone et assainit les eaux
Aux côtés des pompiers professionnels et volontaires qui ont lutté contre le feu, les techniciens de l’Onf ont été à pied d’œuvre tout l’été : ce sont eux qui ont encadré, toujours en Gironde, la réalisation des pare-feux, ces couloirs de protection façonnés pour ralentir la progression des incendies et éviter qu’ils ne s’étendent sur d’autres parcelles. Entre Océan et lac de Cazaux, celui de la Teste de Buch a mobilisé 70 personnes, jour et nuit, cinq jours durant, pour abattre les arbres, évacuer les bois, créer une bande de sable blanc vierge de toute végétation.
Indispensables sentinelles pour éviter les embrasements, comme le souligne un reportage de Libérationsur les techniciens opérant en Corse, leur mission est large : intervenir avant, pendant et après les incendies dans le cadre d’une mission d’intérêt général confiée par l’État. Leur attachement à la forêt ne fait aucun doute : « Elle est un bien commun, premier réservoir de biodiversité. Elle capture le carbone, assainit les eaux, nettoie les sols, protège des risques naturels, assure un lieu de promenade et de bien-être aux populations », argumente Loukas Benard.
En Gironde, ce sont plus de 20 000 hectares qui ont été dévorés par deux incendies, l’un à Landiras, au sud du département, l’autre à La Teste de Buch, à équidistance d’Arcachon et de Biscarrosse. La Teste de Buch : une forêt domaniale labellisée « d’exception » en 2018 pour son patrimoine remarquable en termes d’histoire, de biodiversité, d’arbres de grands de valeur, un paysage unique en bordure des dunes océanes. Au total, plus de 60 000 hectares de végétation avaient déjà brûlé en France au 20 août : du sud au nord, comme en témoigne l’incendie des monts d’Arrée, dans le Finistère. En Haute-Marne, trois feux ont été comptabilisés, certes limités dans leur ampleur mais le fait est inédit. Le désastre est environnemental, social, économique.
Une hausse de 50 % des feux « incontrôlables » d’ici à 2100
Personne, pourtant, ne pourra dire qu’il ne savait pas. Depuis plusieurs années, le Giec et l’Onu alertent sur un risque croissant alimenté par le réchauffement climatique et attisé par un cocktail dévastateur : accentuation des sécheresses, vents, faibles taux d’humidité, températures de l’air élevées. Au printemps 2022, le rapport de l’Onu sur le climat anticipe une augmentation de 50 % d’ici à 2100 du nombre d’incendies dits « incontrôlables », comme le « Oak Fire » (littéralement, « incendie de chênes ») californien, à proximité des séquoias du parc Yosemite. Et le rapport prévient : « Les travailleurs des services d’urgence et les pompiers qui sont en première ligne et qui risquent leur vie pour lutter contre les incendies incontrôlés doivent être soutenus. »
Mais cela n’est pas fait, du moins pas suffisamment. Le « zéro absolu de l’anticipation », affirment même la fédération Cgt des Services publics et le collectif des agents des Sdis (services départementaux d’incendie et de secours). La flotte aérienne pour lutter contre le feu ? « Cela fait des années qu’elle est insuffisante, vieillissante, dégradée. » Les moyens humains ? « Les Sdis préfèrent recruter des pompiers volontaires, qui ne sont indemnisés que pour leurs interventions, contrairement aux sapeurs-pompiers professionnels qui sont permanents mais, en raison des calculs comptables de leurs employeurs, en sous-effectif. »
Un plan France Relance insuffisant
À l’Onf, un technicien forestier a vu sa zone d’action doubler, voire tripler, en quarante ans. Il faudra pourtant replanter. Comment, avec qui et pour quelle forêt ? Avec quelles essences ? Quelle part accorder à la dynamique naturelle de renouvellement des forêts ? Certes, en 2020, le plan France Relance a dédié environ 300 millions d’euros à cet objectif. Début 2022, 450 forêts domaniales étaient concernées.
Trop peu et de manière incohérente, pour la Cgt-Forêt : « Cette enveloppe n’apporte aucune solution à la question cruciale des effectifs. Elle est par ailleurs insuffisante au regard des enjeux et de l’ampleur de la tâche. On ne peut pas replanter d’un claquement de doigts : il faut des plants et des bras », résume son secrétaire national, qui déplore des objectifs d’« affichage ». Selon un rapport de mission parlementaire remis en 2020 au ministre de l’Agriculture, il faudrait en effet mettre en place un fonds doté de plus de 8 milliards d’euros sur trente ans pour reconstituer les forêts sinistrées, déjà abîmées par les effets du réchauffement climatique.
Pour une gestion publique des forêts
Elles le sont d’autant plus après les feux de l’été. S’il y a bien une prise de conscience des pouvoirs publics sur la gravité de la situation et la nature des risques, le lien n’est toujours pas fait avec les moyens humains nécessaires pour y faire face, singulièrement à l’Onf. À tel point que le gouvernement, dont les propositions restent en décalage avec la réalité des besoins, se plaît à souligner que les incendies n’ont en réalité que très peu affecté les forêts publiques.
Sans pousser le raisonnement jusqu’au bout : et si c’était justement la démonstration de l’utilité et de l’efficacité d’un service public qui a besoin d’être soutenu, conforté et développé ? L’Onf « doit redevenir l’outil de la maîtrise publique de l’exploitation du patrimoine forestier national dans son ensemble, répondant à ses multiples missions », souligne ainsi la Fédération nationale agroalimentaire et forestière (Fnaf-Cgt) dans un communiqué. En juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat proposait d’ailleurs de « pérenniser l’existence de l’Onf et d’augmenter ses effectifs » afin de garantir une gestion nationale et indépendante de tout intérêt financier privé, et plaidait pour que cet « organisme reste public ». On sait ce qu’il en advint.
Si le gouvernement reste pour l’heure sur ses positions, c’est du côté des parlementaires qu’il faut se tourner, avec une double ouverture : à minima, revenir dès maintenant sur les 500 suppressions d’emplois prévues dans le contrat d’objectifs de l’Onf, comme le préconise un rapport sénatorial ; sanctuariser les effectifs à leur niveau de 1999, comme le prévoit une proposition de loi présentée par le groupe Lfi à l’Assemblée nationale.
En Gironde comme ailleurs, les amateurs de sport se souviendront de la comparaison faite par le responsable du Sdis 33 : à la fin du mois de juillet, pour ce seul département, ce sont l’équivalent de 42 000 terrains de rugby qui restaient à surveiller…
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