BD : l’irréductible manque de potion magique contre la précarité des auteurs
Faire de la bande dessinée son métier reste une aventure. Concédée mi-mars, la rémunération des temps de dédicace pendant les grands festivals n’y change rien.
Faire de la bande dessinée son métier reste une aventure. Concédée mi-mars, la rémunération des temps de dédicace pendant les grands festivals n’y change rien.
Jeudi 17 mars, jour d’ouverture du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. La foule des amateurs, privée de ce rendez-vous l’an dernier, commence à se bousculer aux expositions, rencontres et dédicaces des auteurs confirmés. Toute ? Non, quelque 150 étudiants et étudiantes remplissent l’amphithéâtre du « pavillon jeunes talents », sur le campus universitaire de la ville, particulièrement dédié aux études d’arts graphiques, et contigu à la fameuse École européenne supérieure de l’image (Eesi), Graal parmi les écoles de formation aux métiers de l’animation et de la bande dessinée. Destinée aux jeunes qui rêvent d’en vivre, la journée d’information commence par une conférence sur le thème « Comment bien débuter dans le métier ? » Y témoignent plusieurs auteurs, certains à peine diplômés, d’autres plus expérimentés. Tous décrivent une situation qui se dégrade au fur et à mesure que le métier attire davantage de candidats. Ceux qui osent y croire doivent se préparer à affronter des difficultés persistantes et à se professionnaliser pour durer.
« Tout le monde galère, alors autant galérer sur ce qu’on a envie de faire ! » relativise Morgane Parisi, diplômée de l’Eesi en 2004 et qui a, au fil du temps, à la fois recentré et diversifié ses activités. Recentré sur le dessin à vocation pédagogique et scientifique, sur le graphisme, sur l’autoédition en exemplaires limités et la vente directe, qui lui assurent de meilleurs revenus. Diversifié avec des interventions dans les entreprises où elle dessine en direct pour capter l’esprit d’événements, mettant à profit ses études d’anthropologie ; mais aussi avec des cours dans l’enseignement supérieur ou des ateliers. « Comme beaucoup d’auteurs, j’ai aussi, à certains moments, touché le Rsa, et parfois eu du mal à bénéficier de tous mes droits à la protection sociale [Ndlr : En 2019, sur 200 auteurs de Bd déclarés à Angoulême, 150 étaient au Rsa]. Aujourd’hui, je suis revenue vivre ici, où mes conditions de vie et de travail sont grandement facilitées, notamment par la possibilité de louer un espace en atelier collectif pour 60 euros mensuels. »
La « vie d’artiste », c’est aussi connaître et faire respecter ses droits
On n’est pas là pour buller. La rencontre est organisée par l’Association des auteurs de Bd (AdaBd), qui édite avec le concours du festival un livret intitulé Auteur, autrice de Bd. Ah bon, c’est un vrai métier ?, détaillant dans toute sa complexité le labyrinthe administratif, comptable, juridique, fiscal que ces jeunes talents devront emprunter pour faire valoir leurs droits sociaux et leurs droits d’auteurs.
Interviennent également un juriste expert-comptable spécialisé dans le secteur et un conseiller de l’Urssaf. Scénaristes, dessinateurs, coloristes, traducteurs, illustrateurs, graphistes, concepteurs, lettreurs, tous sont concernés par une filière dans laquelle les étapes créatives, en amont, ne sont la plupart du temps pas rémunérées.
Il faut d’abord se faire connaître, et si on veut être publié par un éditeur, ne pas brader son travail : « Ne signez jamais un contrat pendant un festival ou sur le coin d’une table. Comportez-vous en professionnels, lisez les contrats, imposez des clauses qui protègent vos droits, n’acceptez pas de travailler sur un projet qui peut vous prendre un ou deux ans pour une avance de 1 000 euros ! »rappelle Frédéric Maupomé, secrétaire général de la Ligue des auteurs professionnels, une des deux principales organisations rassemblant les auteurs (avec le groupement Bd du Syndicat national des auteurs et des compositeurs). « C’est difficile d’avoir un sens du collectif dans nos métiers, mais chaque fois qu’on arrive à se faire respecter on sait que cela sera utile aussi aux autres. »
La Bd ne s’est jamais aussi bien vendue, mais un tiers des auteurs vit sous le seuil de pauvreté
« Alea jacta non est » aurait pu dire César dans plusieurs Astérix : les organisateurs se félicitent que les écoles d’arts graphiques, toujours plus nombreuses, informent enfin leurs élèves des revers de la vie d’artiste et des atouts pour s’en prémunir.
Petit flash-back. La Bd a connu un boom historique en 2021 avec un chiffre d’affaire de 900 millions d’euros, vendant deux fois plus d’exemplaires qu’en 2019, un phénomène amplifié par la pandémie et la création du Pass culture pour les jeunes. Un livre vendu sur quatre est une Bd, et deux Bd figurent parmi les dix best-sellers de l’année : Astérix et le griffon (1,5 million d’exemplaires) et Naruto n°1 (275 000). Parmi les autres gros vendeurs, la série One Piece (4,3 millions) et de nombreux mangas (40 % du marché), mais aussi Mortelle Adèle, le dernier Blake et Mortimer, Le Jeune Acteur de Riad Sattouf.
Il y en a désormais pour tous les goûts et tous les âges : 5 000 titres par an au lieu de quelques centaines il y a trente ans. Peu d’auteurs en vivent très bien. Pour les autres, le modèle contractuel a évolué en leur défaveur. Un auteur n’est plus payé à la planche, mais touche un à-valoir sur un album complet à livrer, qui peut prendre des mois de travail voire beaucoup plus. Sauf pour les auteurs confirmés, ce forfait dépasse rarement 5 000 euros. Mais ils ne toucheront des droits d’auteurs supplémentaires – de 8 % à 12 % à partager éventuellement avec un scénariste et un coloriste – qu’à partir du moment où l’éditeur aura été remboursé de son avance, c’est-à-dire, le plus souvent, quand l’ouvrage se sera vendu à plus de 5 000 exemplaires, ce qui est déjà une belle performance !
La précarité persistante des auteurs a fait l’objet de nombreuses mobilisations ces dernières années : grèves ou débrayages des dédicaces, menace de boycott des participations au festivals, création de l’association États généraux de la Bd en 2016, qui après enquête auprès de plus de 3 000 auteurs, établit que 36 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, et plus de la moitié avec moins du Smic.
La pandémie n’a rien arrangé, le ministère de la Culture ayant tardé à les rendre éligibles au Fonds de solidarité, et à abonder les fonds professionnels collectifs de soutien. En 2019, décrétée « année de la BD », le président Macron s’était pourtant rendu à Angoulême, rencontrant Enki Bilal, Jul, Lewis Trondheim, et avait assuré que le rapport de Bruno Racine sur la question, publié au même moment, allait simplifier la situation administrative et stabiliser les conditions de vie des auteurs.
Présenté deux ans plus tard (en avril 2021) le plan Auteurs 2020-2021 a pourtant accouché d’une souris. Le paiement des heures de dédicaces, qui traditionnellement prennent la forme de dessins originaux, vient ainsi de faire l’objet d’un protocole de trois ans avec dix des principaux festivals. Il a été appliqué pour la première fois mi-mars à Angoulême : les auteurs toucheront un forfait de 226 euros brut payés en trois tiers, par le Centre national du livre, la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) et l’éditeur ou le festival. Rien, en revanche, sur la répartition des revenus du prix de vente des albums, les éditeurs bloquant toute concession : « Nous restons mobilisés sur la rémunération et le partage des valeurs », a prévenu le Snac.
Un pays qui vante sa créativité ne devrait-il pas soutenir et valoriser ses créateurs ?
Le rapport Racine soulignait que le « travail de création » n’était pas pris en compte par les éditeurs, mais aussi que les aides apportées par les fonds collectifs ou par l’État étaient insuffisantes. Les professionnels de la bande dessinée restent dans une situation particulièrement fragile, soulignant que même si le droit de diversifier leurs revenus a été élargi, encore faut-il en avoir le temps.
Les collectivités territoriales essaient de développer les résidences, les jeunes développent d’autres modèles économiques comme les appels de fonds sur les plateformes de financement participatif, l’autopublication et la vente directe de leur travail. Mais pour l’heure, aucune mesure ne permet réellement de sécuriser les auteurs dans un statut ou des droits collectifs.
Le talent des jeunes Françaises et Français pour les arts graphiques et l’animation est pourtant mondialement reconnu, et participe à renforcer l’image d’une France créative. Certains penchent pour d’autres formes de valorisations, par exemple avec le projet de parc d’attraction près d’Angoulême Imagiland, sur 12 hectares, ambitionnant 440 000 visiteurs par an. Récemment redimensionné, il est toujours censé ouvrir l’an prochain, pour les 50 ans du festival. Mais à Imagiland, les auteurs ont répondu « ImagiNon ». Nous y reviendrons. D’autres voies sont possibles : Audaces fortuna juvat (2) comme il est dit dans Le Bouclier arverne.
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