Une nouvelle décision de justice se réfère explicitement à une exigence juridique essentielle : « adapter le travail à l’homme ». Ce principe, d’une portée potentiellement considérable, peut être mobilisé pour arrêter ou pour éviter la mise en œuvre d’organisations du travail pathogènes.
Dans un arrêt novateur du 11 septembre 2019, pour la première fois, la chambre sociale de la Cour de cassation fait explicitement référence à cette obligation de l’employeur, essentielle pour tout travailleur salarié, et évoquée dans Options, octobre 2019 : « adapter le travail à l’homme » (Cour de cassation, chambre sociale, 11 septembre 2019, n° 17-24.879, M. X… et autres c/agent judiciaire de l’État, venant aux droits de L’Epic Charbonnages de France et autres).
Pour le juge, en application des règles de droit commun régissant l’obligation légale de sécurité de l’employeur (les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail), « le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité ».
Ainsi, le champ d’application pour les bénéficiaires du droit à réparation concernant le « préjudice d’anxiété » est considérablement élargi : « la réparation du préjudice spécifique d’anxiété, défini par la situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie » devient possible « sur le fondement de l’obligation de sécurité » (y compris en l’absence de dispositions légales spécifiques, qui concernent les salariés exposés à l’amiante).
Pour la Cour de cassation (chambre sociale), le juge (la cour d’appel, le conseil de prud’hommes) ne peut débouter un salarié de sa demande d’indemnisation (pour la réparation du préjudice spécifique d’anxiété), que s’il peut « établir que l’employeur démontrait qu’il avait effectivement mis en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, telles que prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail ». En particulier, le juge (la cour d’appel) « devait rechercher si les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’employeur telles que définies aux paragraphes 3 et 4 étaient réunies ».
Par conséquent, la Cour de cassation (chambre sociale), donne toute sa portée aux dispositions du Code du travail pour assurer la prévention des risques professionnels et la réparation des préjudices subis, sur le fondement des principes généraux de prévention notamment définis aux paragraphes 3 et 4 : « L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : […]
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé […]. » (article L. 4121-2 du Code du travail).
Ainsi, pour prévenir toute dégradation de la santé au travail, l’employeur a une obligation légale : « Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne […] le choix […] des méthodes de travail et de production ».
Le non-respect de cette obligation légale constitue pour l’employeur un « manquement à son obligation de sécurité », engageant sa responsabilité civile. L’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité que s’il a pris les mesures adéquates c’est-à-dire l’ensemble des mesures prévues aux articles aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, notamment à l’article L. 4121-2 paragraphe 4 – « Adapter le travail à l’homme ». En cas de contentieux, le juge doit vérifier le respect de cette obligation par l’employeur.
À de très rares exceptions près (Cf. François Desriaux, « Préjudice d’anxiété : une aubaine pour la santé au travail », Santé et Travail, 10 octobre 2019), les revues spécialisées ont omis de signaler ce progrès du droit au sein de la jurisprudence.
Concernant l’action en justice, ces actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (Cour de cassation, chambre sociale, 11 septembre 2019, n° 18-50.030, société par actions simplifiée Rhodia opérations ; l’article 2224 du Code civil).
Dans l’entreprise, cette jurisprudence est à mettre en œuvre par le Comité social et économique (Cse). Sur ce terrain, la Cour de cassation a rendu une décision concernant la désignation des membres de la commission santé sécurité et conditions de travail (Cssct) (Cour de cassation, chambre sociale, 27 novembre 2019, n° 19-14224, société Stryker Spine) :
les membres de la Cssct sont désignés par le Cse parmi ses membres, par une résolution, pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité ; les résolutions du comité social et économique sont prises à la majorité des membres présents ; « la désignation des membres d’une Cssct, que sa mise en place soit obligatoire ou conventionnelle, résulte d’un vote des membres du Cse à la majorité des voix des membres présents lors du vote » ;
quand l’accord sur la création d’une Cssct au sein du Cse prévoyait, conformément aux dispositions légales, que les membres de cette commission étaient désignés par le Cse parmi ses membres titulaires ou suppléants, par une résolution adoptée à la majorité des membres présents, la désignation ne nécessitait pas une résolution préalable du Cse fixant les modalités de l’élection.
Michel Chapuis
Bibliographie : Michel Miné, Droit du travail en pratique, Eyrolles (30e édition), 2019-2020, 822 pages, 39 euros.
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