Juste, équitable, universel… Le gouvernement n’a eu de cesse de prétendre que sa réforme était foncièrement solidaire en prenant soin d’énumérer la liste des supposés bénéficiaires. Au-delà de ce battage d’estrade, le système de retraites à points engendre une logique d’individualisation toxique pour la solidarité.
Pour le dire simplement, la solidarité – famille, santé, retraite – résulte des termes du partage des richesses produites par une société. S’agissant des retraites, différents régimes existent dans le monde, qui diffèrent dans la façon qu’ils ont de les répartir. Dans l’actuel système par répartition, cela passe par l’augmentation du taux de cotisation. Avec une croissance suffisante, personne n’est perdant. Avec une croissance faible, cette augmentation peut être indolore pour les salaires à condition… qu’elle s’opère sur les revenus du capital. Piste que ce gouvernement, comme les précédents, s’est évidemment toujours refusé à considérer, pour se focaliser sur les autres paramètres que sont l’âge de départ, le taux de remplacement et, dans un système à points, la valeur du point. Celle-ci joue alors le rôle de variable d’ajustement. Dans un contexte de vieillissement démographique, cette valeur est mécaniquement condamnée à la baisse. D’autant qu’elle dépend du jeu des marchés financiers. Alléchant pour eux, le système à points renvoie chacune et chacun à la gestion de son destin individuel, au détriment de toute solidarité.
C’est ainsi que le fameux slogan macronien selon lequel un euro cotisé ouvrirait les mêmes droits pour tous ne renvoie qu’à la seule performance individuelle sur le marché du travail. Il ne tient aucun compte des inégalités des parcours professionnels, lesquelles sont donc reproduites et non compensées. Par voie de conséquence, chacun devient le « gardien de ses points », en dehors de toute autre considération. On entre ainsi lentement mais sûrement dans un monde où l’épargne individuelle est appelée, pour ceux qui le peuvent, à compenser manques et déficits, détricotant d’autant le régime commun.
Ce détricotage se lit à travers le sort promis à différentes catégories. La plus emblématique étant celle des très hauts salaires. Le gouvernement fait grand bruit sur le fait que les plus riches – revenus supérieurs à 120 000 euros brut par an, paieraient davantage de cotisations sur les 120 000 premiers euros. En fait, au-delà de cette somme, le taux de cotisation baisserait. Les cotisants ne bénéficieraient certes pas de droits supplémentaires, mais l’argent ainsi épargné pourrait aller confortablement alimenter un régime par capitalisation ! Les hauts salaires restent affiliés au système de retraites par répartition, mais uniquement sur le bas de leur rémunération. Ils n’y perdent rien.
En revanche, le régime général, lui, y perd plusieurs milliards qui allaient à la solidarité. D’où, sans doute, l’importance que donne le gouvernement à la création d’une toute nouvelle « cotisation de solidarité » appliquée aux hauts revenus. En fait, cette cotisation existe déjà. La mesure se réduit à une augmentation de 0,4 point. Effet collatéral de cette mesure : si elle était appliquée, il faudrait, des années durant, payer des pensions très élevées aux hauts revenus ayant cotisé, sans plus percevoir ces très hautes cotisations…
Par un effet de symétrie sociale éprouvée, les plus démunis se retrouveraient, eux, plus fragilisés encore. Là encore, le gouvernement bat la grosse caisse autour d’une « véritable conquête sociale » : l’instauration d’une retraite initiale, d’un niveau symboliquement fixé à 1 000 euros, pour les carrières complètes. Le symbole, en fait, est terrible, puisque cette somme reste inférieure – de 41 centimes – au seuil de pauvreté pour une personne seule. Les retraités qui bénéficieraient de la conquête sociale resteraient donc sous le seuil de pauvreté, ce qui est déjà le cas de plus d’un tiers d’entre eux, massivement du fait de carrières professionnelles précarisées.
Jeunes, femmes : les promesses de plus de la réforme se traduiront en moins
Ébranlé en son principe et ses ressources, le principe de solidarité serait démantelé dans sa dimension intergénérationnelle et d’égalité entre femmes et hommes. Les jeunes cotiseraient à un régime spécifique devant reverser leurs cotisations à des régimes dont les jeunes eux-mêmes ne bénéficieront jamais. À partir de 2025, cette logique serait grosse d’un conflit entre les anciens voulant maintenir des règles satisfaisantes pour eux et les jeunes qui relèveraient, eux, d’un autre système.
Mais les femmes seraient, de façon éclatante, les grandes perdantes du système promis par le gouvernement. Aujourd’hui, l’écart des pensions entre les femmes et les hommes est de 42 % pour les pensions de droit direct, contre 24 % pour les salaires. Ce différentiel n’a rien de mystérieux : les femmes sont contraintes de partir à la retraite en moyenne plus tard que les hommes, et subissent plus souvent la décote du fait de carrières trop courtes. Leur pension, trop faible, est plus souvent rehaussée par un dispositif de minimum de pension. Avec la réforme promise, cette situation, déjà insupportable, ne ferait qu’empirer.
En prenant en compte toute la carrière au lieu des vingt-cinq meilleures années pour le régime général ou des six derniers mois pour la fonction publique, le niveau des pensions baisserait mécaniquement, puisqu’il intégrerait les plus mauvaises années. Le gouvernement y oppose sa proposition de majoration des pensions de 5 % par enfant, attribuée, au choix du couple, à l’un ou à l’autre, ou par moitié à chaque parent. Mais cette mesure ne ferait que remplacer à la fois l’actuelle majoration de 10 % pour trois enfants attribuée à chacun des parents, et les majorations de durée d’assurance attribuées aux mères pour chaque enfant, qui sont, elles, supprimées ! Avec cette logique déjà appliquée à l’assurance chômage et qui structure le projet de revenu universel d’activité, le plus promis se change en moins.
C’est encore du moins qu’on retrouve du côté des pensions de réversion. L’âge d’ouverture du droit passerait de 55 ans à 62 ans. Ce droit serait aussi supprimé pour les personnes divorcées ou remariées, et le niveau de réversion baisserait via un nouveau calcul. Or, la réversion représente aujourd’hui en moyenne le quart de la pension des femmes (et une part négligeable de celle des hommes) ; 90 % de ses bénéficiaires sont des femmes.
La solidarité ne peut pas être pensée en dehors d’une redistribution des richesses
Combattre réellement les inégalités actuelles passerait par une tout autre réforme, incluant notamment l’augmentation du minimum de pension, la fixation d’une durée requise de cotisation réalisable par tous et toutes compte tenu de la situation de l’emploi et de la pénibilité des métiers. La décote pour carrière incomplète, reconnue comme une double pénalisation par le rapport Delevoye, devrait être supprimée. Il faut également revenir à un calcul de la pension basé sur les dix meilleures années. Enfin, les majorations pour enfants restent indispensables pour atténuer les inégalités, sans pour autant pérenniser l’assignation des femmes aux tâches parentales.
Éliminer les obstacles à leur emploi suppose une politique publique de création de places de crèche, le partage à égalité du congé parental, une lutte à tous les niveaux contre les discriminations et les stéréotypes sexués. Ces propositions d’améliorations s’inscrivent dans celles que porte la Cgt, afin d’améliorer et de créer des droits dans le respect des spécificités des différents régimes existants. Cela comprend en particulier la prise en compte des années d’études, de recherche du premier emploi et des périodes de précarité dans le calcul de la future retraite.
Le coût de ces propositions représenterait de 100 à 120 milliards d’euros à l’horizon 2050. Pour en assurer le financement, la Cgt propose trois grands axes de financements. D’abord, rééquilibrer le rapport entre travail et capital : augmenter les salaires du privé comme du public ; imposer l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ; mener une politique de développement de l’emploi durable et de qualité rapporterait 38 milliards d’euros pour les retraites. Ensuite, soumettre à cotisation tous les éléments de rémunération, en intégrant les primes des fonctionnaires, et en supprimant les exonérations rapporterait environ 36 milliards d’euros. Enfin, moderniser la fiscalité du capital : taxer les revenus financiers, taxer les Gafa et lutter contre l’évasion fiscale représenterait au bas mot 20 milliards d’euros. Ces fonds mobilisés, ou en réserve pour assurer la pérennité du système de retraite, devraient enfin être réalisés sous la forme d’investissements socialement responsables, placés sous le contrôle d’un pôle financier public.
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