Point de vue de Camille Dupuy, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Rouen, Laboratoire des dynamiques sociales (Dysolab), chercheuse associée au Centre d’études de l’emploi et du travail (Ceet) du Cnam.
Les nouvelles technologies, les évolutions du travail et des conditions d’emploi génèrent-elles chez les jeunes d’autres rapports au travail et à l’engagement collectif ? Éléments de réponse.
Nous dressons un premier constat qui va à l’encontre des présupposés de la majorité des syndicalistes : s’ils peuvent avoir une expérience générationnelle du travail, marquée par la précarité et parfois le déclassement, les jeunes n’ont pas un rapport au travail différent de celui des autres travailleurs. Ils ne sont pas non plus réfractaires aux engagements collectifs. Leur regard sur les syndicats s’avère par ailleurs plus marqué par la méconnaissance que par la défiance. Les discours véhiculés par un certain marketing lié au monde de l’entreprise, présentant la génération X ou Y comme individualiste, vivant dans sa bulle et ses réseaux propres – donc susceptible de ne pas être solidaire – ne correspondent pas à la réalité que nous avons pu décrire.
Cette catégorie reste complexe à définir : nous avons parfois considéré que la jeunesse pouvait se prolonger jusqu’à 35 ans, du fait de l’allongement des études, de l’instabilité de l’emploi et des revenus dans les premières années de la vie professionnelle. Comme pour toutes les générations, c’est cette précarité qui caractérise avant tout le fait que peu de jeunes se syndiquent ou s’engagent dans le cadre de leur travail : 5 % des moins de 35 ans sont syndiqués contre 11 % des salariés, d’après la Dares.
Nous avons aussi rencontré des jeunes, salariés dans le milieu associatif notamment, qui ont choisi de créer ex nihilo leur propre organisation. Ils l’expliquent par la volonté d’être autonomes, de s’organiser à leur façon, de manière plus collégiale, différente de ce qu’ils imaginaient possible au sein du syndicalisme « de référence ». Cela ne les a pas empêchés, paradoxalement, de demander du soutien à des syndicats quand ils manquaient d’expertise, de savoir-faire, ou qu’il leur fallait s’appuyer sur une existence légalement reconnue par leur entreprise pour négocier et signer des accords.
L’apparition de nouvelles activités et de conditions d’emploi susceptibles d’isoler encore plus les individus ne semble pas non plus transformer fondamentalement les pratiques de mobilisation. Les premières enquêtes menées auprès des livreurs à vélo, en France et en Belgique, montrent par exemple que, s’ils ont recours aux réseaux sociaux pour communiquer, les actions qu’ils ont organisées, de forme plutôt classique – rassemblements sur des places, boycotts de restaurants –, n’ont été possibles que grâce à des échanges de bouche-à-oreille. Les outils numériques sont complémentaires, mais ne remplacent pas le contact humain, qui reste le véritable moteur de l’engagement collectif.
Il n’y a pas de recette ou de nécessité à « s’adapter aux jeunes », mais nos recherches dessinent des pistes pour les organisations syndicales soucieuses d’intégrer plus de jeunes dans leurs rangs. Il y a peut-être au préalable une réflexion à mener sur l’adéquation des structures syndicales existantes à certaines activités : à quelle structure Cgt doit pouvoir s’adresser un livreur à vélo ? Les Transports, le Commerce, une union locale, départementale ? Par ailleurs, là où ils s’engagent dans des syndicats existants, les jeunes ont besoin d’échanges pour que les connaissances et les savoir-faire soient transmis et que des responsabilités leur soient confiées, mais cela ne se fait pas toujours sans réticences de la part des plus âgés. La relève ne pourra pas s’opérer sans que la nouvelle génération s’empare des pratiques syndicales, et les transforme si nécessaire. Il est aussi possible que, en proposant aux jeunes syndiqués des espaces d’autonomie et de débats spécifiques, leur socialisation au sein des syndicats s’avère plus facile. D’autres initiatives, telles que les caravanes itinérantes, l’été, pour aller à la rencontre des saisonniers, ou la présence de militants sur les campus lors des rentrées universitaires, semblent aussi porter leurs fruits. Un énorme travail de sensibilisation s’avère indispensable, car l’existence des syndicats comme acteurs du dialogue social est minimisée, voire occultée dans les formations initiales, et ne fait plus partie de la culture générale des jeunes.
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