Capitaliser pour financer sa retraite ? La promesse d’une désillusion
Pour gagner l’abrogation de la réforme de 2023, la CGT appelle à la mobilisation. A commencer le 8 mars, pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes.
Alors que les retraites sont un sujet d’intérêt général, c’est en organisant un « conclave », par étymologie un lieu « fermé à clef », que le gouvernement a d’abord envisagé de nommer la discussion sur la réforme de 2023. Si ce« conclave » cher à François Bayrou s’est rapidement transformé en « délégation paritaire permanente », un autre paradoxe caractérise la négociation qui vient de s’ouvrir, après la remise du rapport de la Cour des comptes : l’absence, à la table des « invités », des huit organisations syndicales, dont Solidaires ou la FSU, cette dernière étant pourtant partie prenante des travaux du COR (Conseil d’orientation des retraites).
Les paradoxes n’étant qu’apparents, tout a été fait pour étouffer les débats. D’entrée de jeu, ceux-ci ont été cadenassés par l’impératif annoncé de financer les régimes à ressources constantes, en plafonnant à 14 % – comme aujourd’hui- la part des dépenses de retraite dans le Produit intérieur brut. Dans la mesure ou le statu quo lui convient, le Medef a tout à y gagner, conforté par les propos du Premier ministre affirmant que « si les partenaires sociaux ne s’entendent pas, la réforme actuelle continuera de s’appliquer ». Enfin, si le rapport de la Cour des comptes évacue l’existence d’un supposé « déficit caché », il a fait le choix de présenter les hypothèses de déficits, non en pourcentage de Pib comme le fait le Cor, mais en milliards d’euros (15 milliards en 2035, le double dix ans plus tard), ce qui participe de la dramatisation des enjeux. Cette mise en perspective n’efface pas le déficit ; elle le replace à de justes proportions, alors que François Bayrou a fixé l’objectif d’un retour à l’équilibre des comptes en 2030.
Par construction, le système par répartition ne peut pas faire faillite
Ce scenario de la dramatisation permet aujourd’hui aux organisations patronales de remettre sur la table les « vieilles lunes néolibérales », pour reprendre l’expression de l’économiste Jean-Marie Harribey, comme la création d’un étage de capitalisation obligatoire. Justifiée au prétexte que le système par répartition irait « droit dans le mur », elle est notamment une des pistes avancées par la CPME pour « compléter notre modèle par répartition avec une retraite additionnelle qui permettra à chaque salarié de compléter et donc d’avoir une retraite plus digne ».
Evacuons d’emblée une contre-vérité qui circule. Le régime par répartition n’est pas en danger de mort : financé par les cotisations sur les salaires, il ne peut pas, par construction, se retrouver en cessation de paiement. En outre, les déficits annoncés doivent être mis en rapport avec la totalité des dépenses consacrées aux retraites, soient quelque 388 milliards d’euros par an. Dans ce contexte, la stabilité des dépenses relativement au Pib s’explique par les efforts demandés à celles et ceux qui travaillent, confrontés au refus patronal d’envisager de nouvelles ressources.
Ce refus, en effet, a un prix : l’effondrement des taux de remplacement (pourcentage du revenu d’activité conservé à la retraite) en baisse de vingt points pour un cadre moyen né en 1996, contre celui qui a liquidé sa retraite au début des années 1980. Et un but : ouvrir ainsi un nouvel espace pour l’épargne retraite dont l’essor serait trop lent aux yeux des libéraux. Si la Loi Pacte de relative à la croissance et à la transformation des entreprises, adoptée en 2019, lui a donné un bol d’air, elle ne représentait, trois ans plus tard, que 5,1 % des cotisations retraite et 2,3 % des prestations. Déjà, les jeunes diplômés (bac+5) contraints, à mesures d’âge inchangées, d’envisager un départ à 67 ans pour une retraite à taux plein, sont ciblés par les sociétés d’assurance dès leur entrée dans la vie active.
Il coûte plus cher de capitaliser que de cotiser
Pour ces futurs retraités, la capitalisation est la promesse d’une grande désillusion. Pour compenser une baisse de vingt points du taux de remplacement, il faudrait en effet épargner deux mois de salaire, chaque année, ce pendant trente ans… Second écueil : l’absence totale de visibilité et de sécurité sur le montant de sa pension. Dans la réalité, les épargnants versent une cotisation, ce qui est la seule dimension connue du processus. Si jamais les placements tournent mal, au gré des aléas boursiers et des crises financières, ils sont les seuls à subir les risques : aucun recours juridique n’est possible. C’est l’illustration d’un système à cotisations et non à prestations définies, dans le cadre duquel droits et les prestations s’ajustent pour assurer l’équilibre financier, et non l’inverse. « Pour la CGT, c’est une ligne rouge, a prévenu sa secrétaire générale Sophie Binet au moment de la remise du rapport de la Cour des comptes. Nous n’accepterons pas de confier notre système de retraite à la finance et de vous laisser jouer au poker avec nos droits. »
Dans cette stratégie, les salaires des cadres sont ciblés. Au risque d’impacter le niveau de retraite de toutes et tous : « La capitalisation est délétère pour (ce) système car ce qui serait affecté aux compagnies d’assurances et aux fonds de pension serait perdu pour le système collectif », alerte ainsi Jean-Marie Harribey dans son analyse de la renégociation en cours. Le déroulement du scénario est imparable : l’affaiblissement du système par répartition crée un appel d’air pour l’épargne retraite qui, en affectant la structure des rémunérations et en individualisant le rapport à la retraite, fragilise d’autant la solidarité intergénérationnelle.
A cette double peine, l’Ugict-CGT y ajoute une troisième : l’encouragement à la destruction de la planète, les fonds de pension type BlackRock « investissant dans les activités industrielles, notamment extractives, qui concurrent au changement climatique ». Une contribution à Options (Retraites : la bataille sociale, Revue 672, printemps 2022) a montré comment un nouveau modèle social et de développement respectueux de l’environnement supposait au contraire d’élargir le champ du bien commun, dont la retraite par répartition est un élément essentiel.
Le projet systémique d’une protection sociale financiarisée
Mais le bien commun n’est pas la préoccupation des fonds de pension. Dès 2020, les travaux des chercheurs Sabine Montagne et Bruno Théret ont monté que BlackRock poursuit ainsi un projet beaucoup plus systémique de protection sociale financiarisée. Etape par étape, il propose aux gouvernements à qui il s’adresse la construction d’un système privé de prélèvement obligatoire, en collaboration avec l’Etat et subventionné par des avantages fiscaux. Ce système ne s’appliquerait par seulement à celles et ceux dont le revenu dépasse le plafond de la sécurité sociale mais ambitionne de concerner la totalité des salariés. En demandant, au-delà de mesures de « rafistolage », de revoir plus globalement l’ensemble du financement de protection sociale, le Medef s’inscrit dans ce schéma.
Comment en sortir ? Dans son rapport, la Cour des comptes reconnaît en substance que les mesures d’âge, avec toutes les injustices qu’elles créent, n’ont rien réglé. Il faut donc faire autrement. En dégageant de nouvelles ressources, assure la CGT, déterminée à obtenir l’abrogation de la réforme de 2023, et au-delà le retour de la retraite à 60 ans. Le premier objectif nécessite de dégager 10 milliards d’euros, pour lequel elle fait une série de propositions. Dont l’assujettissement à cotisations de l’épargne retraite, de l’intéressement et de la participation ou l’égalité salariale entre les femmes et les hommes qui permettrait de dégager la moitié de la somme attendue. Curieusement, note Sophie Binet, cette dernière hypothèse est évacuée en trois lignes dans le rapport.
En revanche, ce dernier ne contredit pas la réalité de la stabilité des dépenses en dépit des évolutions démographiques, aux alentours de 14 % du Pib. Certains, pourtant, semblent trouver que cette part de la richesse nationale consacrée aux retraites est encore trop élevée, alors qu’elle se limite à moins de 12 % en Allemagne. Le « modèle » allemand est en effet tout à fait éclairant : environ 20 % des retraités y sont aujourd’hui menacés de précarité, soit un chiffre supérieur de 4 points à la moyenne de l’Union européenne, a montré Eurostat. Est-ce bien la voie à suivre ?
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