Chercheurs  : enjeux sans frontières

Eurocadres organise cette année un cycle d’ateliers sur les conditions de travail et la mobilité des chercheurs en Europe. Premier tour de table.

Édition 046 de fin février 2024 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Partout en Europe, les conditions et les financements de la recherche se sont durcis.© PhotoPQR / Le Dauphiné / MaxPPP

Le dépassement des limites de la connaissance est une des clés pour comprendre le monde et appréhender les défis technologiques, médicaux, démocratiques, les impératifs de développement ou de transition écologique… Tous les gouvernements du monde placent la recherche au centre pour y parvenir, et l’Union européenne ne fait pas exception  : l’«  économie de la connaissance  » mise en exergue par le traité de Lisbonne en 2007 a recommandé à chaque pays de consacrer au moins 3  % de son Pib à la recherche, publique comme privée. 

Cet objectif est aujourd’hui atteint par quelques pays – Belgique, Suède, Autriche, Finlande, Allemagne, Danemark, Pays-Bas – mais, pour sa part, la France stagne autour de la moyenne européenne (2,2  % en 2021). La pandémie de Covid-19 a révélé de graves insuffisances et un manque d’anticipation sur certains enjeux, auxquels de nombreux pays ne sont pas en mesure de faire face seuls. D’où l’urgence, pour l’Europe, de financer et de structurer sa recherche à l’échelle de toute l’Union. Une ambition plus que compatible avec la nature du travail des chercheurs et chercheuses, qui impose des coopérations accrues, tant interdisciplinaires qu’internationales.

Harmoniser de bonnes conditions d’emploi

C’est dans ce contexte qu’Eurocadres, qui fédère les organisations syndicales d’ingénieurs, de cadres et de chercheurs sur le continent, a lancé les 8 et 9 février, à Bucarest (Roumanie), un cycle d’ateliers centré sur les conditions de travail – et donc de mobilité – des chercheurs. Un programme qui implique d’examiner, dès les années de doctorat, les conditions d’entrée et de pérennité dans le métier, tant du point de vue du statut que du salaire, de la protection sociale et du déroulement de carrière. 

Ce projet s’avère complexe, comme l’a rappelé Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres et militante de l’Ugict, face à quelque 25 chercheurs européens et représentants syndicaux venus d’une dizaine de pays  : «  Notre objectif est de référencer les bonnes pratiques et de nous en inspirer pour défendre une harmonisation a minima des conditions d’emploi, plus protectrice pour les chercheurs, jeunes et moins jeunes.  » Des textes officiels existent, sur l’«  espace européen de la recherche  », la Charte européenne du chercheur et le Code de conduite pour le recrutement des chercheurs. Il s’agit à présent de «  dresser un état des lieux pour évaluer dans quelle mesure ils sont appliqués et ont permis des avancées et, à défaut, contribuer à faire qu’ils soient réellement mis en œuvre.  » 

La fuite des chercheurs roumains

Proposée par la Commission européenne en 2005, la Charte européenne du chercheur définit les rôles, les responsabilités et les droits des chercheurs et de leurs employeurs ou bailleurs de fonds. Le Code de conduite pour le recrutement des chercheurs doit, quant à lui, améliorer les procédures de sélection pour rendre le recrutement plus «  ouvert, transparent et basé sur le mérite  ». Mais ces textes n’ont rien de contraignant. Ceux qui aspirent à respecter des normes hautes sur les aspects éthiques et professionnels, le recrutement, les conditions de travail et de sécurité sociale, la formation des chercheurs qu’ils embauchent, le font sur la base du volontariat et obtiennent un label validant leur «  excellence  » en matière de ressources humaines. Mais le marché européen de la recherche n’impose en fait aucune contrainte aux employeurs, tant publics que privé.

Eurocadres a demandé au cabinet d’experts allemand Wmp Consult de sonder les intéressés pour mieux comprendre les vécus et les attentes. Quelque 600 chercheurs et chercheuses de 12 pays européens y ont répondu en mai 2023. Le paysage s’avère hétérogène, avec des pays comme la Roumanie qui offrent des formations doctorales de qualité, mais où les débouchés locaux sont très restreints. Des dizaines de milliers de postes ont été supprimés dans la recherche publique ces dix dernières années et, faute d’équipements modernes, de conditions de travail et de carrière à la hauteur de leurs qualifications et de leur potentiel, les jeunes chercheurs roumains quittent leur pays. En 2022, la Roumanie n’a consacré que… 0,18  % de son Pib à la recherche. 

Attractivité en berne, précarité omniprésente

D’autres pays restent relativement attractifs  ; la reconnaissance des qualifications, les carrières ou la protection sociale y sont meilleures. Mais les situations sont contrastées. En Finlande par exemple, où la démographie est fragile, disposer de personnes hautement qualifiées devient une question de survie. Une chercheuse finlandaise a expliqué que l’État finançait actuellement un plan ambitieux pour attirer des centaines de doctorants et docteurs dans les années à venir. Reste que, même dans les pays où des investissements existent, ils sont souvent dirigés vers quelques programmes jugés prioritaires, ce qui n’empêche pas la précarité d’exploser, chez les doctorants comme chez les docteurs. 

Pour rappel, le processus de Bologne (1998-2010), qui a harmonisé les niveaux d’études supérieures à bac +3, +5 et +8 – et qui s’est concrétisé en France par la réforme Licence, master, doctorat (Lmd) en 2002 –, permet la reconnaissance des diplômes dans certains métiers, comme la médecine, mais s’est très rarement soldé par une reconnaissance du niveau doctorat dans les conventions collectives. 

Seuls 3,6  % des titulaires d’un master poursuivent en doctorat

En France par exemple, le doctorat n’est pas une garantie. Les places se font rares dans l’enseignement supérieur  : en dix ans, le nombre de postes de maîtres de conférence ouvert a été divisé par deux, et le nombre de candidat par poste est passé de 4,6 à 8. Dans la recherche publique, le titulaire d’un doctorat obtient un poste en Cdi en moyenne à 34,5 ans. Dans la R&D privée, les entreprises embauchent souvent au même niveau de salaire des ingénieurs et des docteurs. Les dernières statistiques sur l’état de la recherche en France (1) attestent que l’objectif de compter 20 000 jeunes finalisant un doctorat n’a jamais été atteint, on est même sous les 14 000 depuis 2019. Le nombre de titulaires d’un master poursuivant leur cursus en doctorat a été divisé par trois entre 2006 et 2020, passant de 10,9 à 3,6  % des masters.

Partout, les conditions de la recherche se sont durcies, les financements ont baissé, avec des conséquences dont témoigne le sondage Wmp Consult  : insécurité de l’emploi et des carrières, due au fait que les projets sont financés sur des temps courts ; charges administratives trop lourdes, qui empêchent de se consacrer au métier ; pression et compétition pour obtenir un résultat exploitable, qui alourdissent et dénaturent le travail ; manque de soutien et de conseils pour poursuivre sa carrière  ; sexisme et manque de diversité dans des recrutements, par ailleurs souvent perçus comme opaques  ; entraves à la liberté académique et conflits de valeur  ; salaires qui, en Europe, peuvent varier de un à dix… Quant à la mobilité, elle est entravée par la non-transférabilité des droits sociaux et les contrats de courte durée (souvent des Cdd). 

Un marché européen de l’emploi encore à construire

Le dernier atelier de ce premier séminaire visait à amorcer un recensement des droits à gagner, des bonnes pratiques sur lesquelles s’appuyer, et des moyens d’action pour peser auprès des États et des instances européennes. Une mise à plat qui va demander de plus amples échanges intersyndicaux pour que chaque pays soit clairement informé des retards et des avancées possibles. Un véritable marché européen de l’emploi des chercheurs ne pourra se développer sans que les représentants des chercheurs soient entendus dans leur pays et à l’échelon européen.

Eurocadres dispose désormais de nombreux éléments d’analyse et de comparaison. «  Nous devons partager sur les actions que chaque organisation syndicale mène dans son pays, a affirmé Nayla Glaise, faire savoir que nous voulons être en mesure d’accompagner et de représenter tous les chercheurs qui travaillent sur nos territoires nationaux respectifs, et être présents à tous les niveaux de négociations qui les concernent. Notre ambition est de veiller à ce que la mobilité et la reconnaissance des qualifications soient garanties, que les opportunités de carrière, l’égalité des genres et la diversité soient prises en compte, que les droits de propriété intellectuelle soient protégés et que la recherche et le développement reçoivent le financement et les investissements nécessaires.  » Les trois séminaires prévus d’ici la fin de l’année s’annoncent riches  ! 

Valérie Géraud

  1. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, «  L’état de l’emploi scientifique en France  », mars 2023. 
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