Quelque mille dessins nés de la main de Pablo Picasso
Cinquante ans après sa mort, en cette année où l’artiste le plus célèbre du XXe siècle est à l’honneur sur une grande échelle, le Centre Pompidou glorifie son œuvre graphique.
L’œuvre de Picasso (1881-1973) est inépuisable et l’on ne compte plus les manifestations dans le monde à lui consacrées. Le Centre Pompidou, pour sa part, en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris, propose l’exposition « Picasso. Dessiner à l’infini ».
Il est proprement vertigineux, au niveau 6 de l’établissement d’où l’on domine Paris, d’avoir à parcourir une aire vaste dont la circulation épouse, justement, en virages successifs, le tourbillon de la création de celui dont Guillaume Apollinaire a pu dire, au début du siècle dernier, qu’« il étudie un objet comme un chirurgien dissèque un cadavre ».
Il y a près de mille dessins et gravures offerts au regard, répartis en de nombreuses étapes thématiques, dûment commentées en cours de route. C’est ainsi qu’on voyage, entre autres, des « Nus rouges » aux « Corps en éclats », en passant par « Visages », « Ligne pure et prolifération », « Saltimbanques », « Papiers collés », « Supports de fortune », « Le corps assemblé », « Ratages et ratures », ou encore « Voyeur », « Recouvrements et repentirs », « Arabesque » et « Têtes-crânes », etc.
Picasso, enfant, dessine comme un maître de la Renaissance
C’est grisant. Il faut prendre son temps. Ce n’est pas tous les jours qu’on a droit à autant de richesses dans les formes et les matériaux employés. Cela va du trait le plus classique – on sait que Picasso, enfant, dessinait comme un maître de la Renaissance – à l’invention la plus libre, dans la « déconstruction » que Picasso revendiquait au service de hantises poursuivies, sans cesse renouvelées au cours d’un mouvement perpétuel.
Anne Lemonnier et Johan Popelard, commissaires de l’exposition, déclarent s’être attachés à montrer chez l’artiste « le dessin comme expérience permanente, dans les carnets, les séries, les variations ; le dessin qui s’aventure à la frontière de la sculpture et de la peinture, le dessin comme prolongement de la pensée… » Cela se vérifie en beauté, au vu de la projection du film d’Henri-Georges Clouzot Le Mystère Picasso (1955), qui permet d’assister sur le vif à l’acte de créer, sur une plaque de verre filmée au verso.
Une petite salle est dévolue à la réflexion concrète menée en quinze changements peints, à partir de la toile d’Eugène Delacroix Femmes d’Alger dans leur appartement (1834), pour l’occasion prêtée par le Louvre. C’est entre le 13 décembre 1954 et le 14 février 1955 qu’en proie à une véritable frénésie, Picasso exécute sur ce sujet plus de 70 dessins, études d’ensemble ou figures isolées escortant les tableaux.
Témoin tardif de métamorphes résolues
On peut du coup prendre acte des hésitations, durant des semaines, entre une composition à trois ou à quatre figures soumises à différentes postures, la dormeuse étant notamment l’objet des plus radicales transformations. Dès lors, on se trouve le témoin tardif, passablement médusé, de métamorphoses résolues, grâce auxquelles Picasso s’est mesuré à Delacroix, comme il le fit avec Le Déjeuner sur l’herbe de Manet ou Les Ménines, de Vélasquez.
Il a laissé plus de 200 carnets qui rythment toutes les phases de son existence, depuis ses premières années à La Corogne (en Galice, au nord-ouest de l’Espagne) jusqu’aux dernières, passées à Mougins (Alpes-Maritimes). Il s’agit de grands albums à dessins et de carnets de poche, de cahiers à spirales et de blocs-notes bon marché. Pour la plupart, ils sont longtemps restés inédits, jalousement conservés par lui, jusqu’à sa mort, dans ses différents ateliers.
L’exposition « Picasso. Dessiner à l’infini » nous fait donc pénétrer dans le laboratoire secret de l’artiste, quasiment dans l’intimité de la création de celui dont Malraux a évoqué « l’orgueil cosmique » et qu’on retrouve là tel qu’en lui-même, en minotaure, mousquetaire lubrique et Arlequin peint en bleu, tout empreint du Sentiment tragique de la vie exploré par son compatriote Miguel de Unamuno. À cet égard, il faut scruter, avec gratitude, les dessins préparatoires à Guernica.
Jusqu’au 15 janvier 2024 au Centre Pompidou, Galerie 1, niveau 6. www.centrepompidou.fr
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