Contre les idées d’extrême droite, une mise en mouvement de toute la Cgt
Échanger, s’écouter, réfléchir et agir : le colloque organisé par la Cgt en octobre 2023 a réuni 450 participants pour dire « Non au racisme et à l’antisémitisme ». Ce succès traduit à la fois l’inquiétude lucide des militants face à la montée de l’extrême droite et leur détermination à s’y opposer.
L’extrême droite, soutenue et portée par les politiques néolibérales, serait aux portes du pouvoir. Il ne s’agit pas de « jouer » à se faire peur, mais de se confronter à la réalité. En 2022, le Rassemblement national (Rn) a obtenu un résultat sans précédent au second tour de l’élection présidentielle. Par rapport à 2017, il a engrangé des points dans tous les territoires et tous les secteurs, public comme privé : + 7 points dans la fonction publique territoriale et autant dans le privé, près de 15 dans la fonction publique hospitalière, comme le montre un rapport de recherche de Luc Rouban pour le Cevipof. Toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées : 33 % des cadres, mais aussi 27 % des fonctionnaires de catégorie A ou 25 % des enseignants et enseignantes ont voté pour Marine Le Pen.
Aucun syndicat n’est épargné, souligne Nathalie Bazire, secrétaire confédérale : 31 % des sympathisants de Fo, 29 % de ceux de la Cftc et 22 % de ceux de la Cgt ont opté pour le Rn au second tour de la dernière présidentielle. Dix-huit mois plus tard, toutes les analyses d’opinion mettent en évidence le chemin parcouru par l’extrême droite dans les esprits, dont la 11e enquête annuelle « Fractures françaises », réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne.
Le racisme ne se divise pas
Moins d’un an avant les élections européennes, « nous sommes à un moment de bascule », prévient Sophie Binet, secrétaire générale de la Cgt. L’extrême droite prospère sur « les ruines du capital », l’inaction environnementale et le climato-scepticisme, générateurs de violence sociale partout dans le monde. C’est pourquoi s’est tenu, le 5 octobre à Montreuil, un colloque intitulé « La Cgt résolument à l’offensive dans la lutte contre les idées d’extrême droite. Non au racisme, non à l’antisémitisme ». La présence de 450 participants, prêts à échanger, s’écouter, réfléchir dans le respect de leur diversité en abordant des débats complexes – la laïcité, la montée des intégrismes dans toutes les religions, la « banalisation » de l’extrême droite… – témoigne de l’inquiétude lucide des militants autant qu’elle exprime leur volonté d’agir.
À commencer par la lutte contre le racisme, contre tous les racismes dont l’antisémitisme fait partie. Matrices de l’extrême droite, ils font l’objet d’un premier débat. « Le racisme fait politique. Il constitue un global diversifié qui ne se divise pas », souligne Pierre Tartakowsky, vice-président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (Cncdh). Dans son 33e rapport, consécutif à une année électorale marquée par le rejet de l’autre et le soupçon généralisé, la Commission explique ainsi : « Chaque atteinte aux droits […], chaque discrimination impunie atteignant la dignité des personnes constituent des menaces directes pour toute société démocratique, pour le respect des droits fondamentaux, par essence universels, indivisibles et interdépendants ». En d’autres termes, vouloir « éliminer » l’autre, en l’occurrence l’étranger, en espérant que cela ira mieux pour soi, ne fonctionne pas : tout le monde, au bout du compte, est perdant.
L’extrême droite continue pourtant de faire de l’immigration la source de tous les maux. Elle l’instrumentalise, montrent les débats, en se nourrissant des divisions qu’elle crée, singulièrement dans le monde du travail, en prônant la « préférence nationale », rebaptisée « priorité nationale ». Placée au cœur de son programme économique, cette priorité est analysée comme une « imposture sociale » par Pierre Khalfa, membre du conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic. Dans un document de la Cgt remis aux participants, cette imposture est déclinée sur plusieurs thèmes : les salaires (le Rn veut baisser les cotisations sociales et refuse l’augmentation du Smic) ; les retraites (pas de retraite à 60 ans) ; les services publics (privatisation des crèches, baisse des impôts) ; les privés d’emploi (mise en place de la priorité nationale) ou la fiscalité (refus de taxer les plus riches ou les superprofits).
Un défi pour le mouvement syndical européen
Conception « ethnique » de la nation et imposture sociale s’alimentent ainsi l’une l’autre, appuie Valérie Parra Balayé, responsable Europe à l’Union générale des travailleurs (Ugt, Espagne). Phénomène mondial, la montée de l’extrême droite n’a en effet pas épargné l’Espagne : apparu en 2013, c’est à peine cinq ans plus tard que le parti Vox fait une entrée fracassante au Parlement d’Andalousie. En une décennie, il est devenu la troisième force politique du pays et s’est créé une « succursale » syndicale : Solidaridad. Valérie Parra Balayé explique : « Enfant du franquisme, Vox prône la réduction de l’accès aux prestations sanitaires, s’oppose aussi aux femmes, aux personnes Lgbt, aux droits environnementaux… C’est un tout indivisible. »
Comme le sous-tend la création de Solidaridad, les syndicats sont aussi dans le viseur. « Si un jour, l’extrême droite arrive au pouvoir, la Cgt sera une de ses premières cibles parce que nous incarnons toute ce qu’elle déteste : la lutte contre le capitalisme, l’internationalisme, la solidarité », alerte ainsi Sophie Binet. Pour l’Italie, Monica Ceremigna, conseillère de l’espace Europe et International à la Confédération générale italienne du travail (Cgil) témoigne déjà d’une impossibilité à débattre, des syndicats non représentatifs étant désormais invités à la table des « négociations ». Depuis l’exercice du pouvoir par le gouvernement Meloni, une dizaine de manifestations nationales ont été organisées. À l’appel de la Cgil, la dernière en date, le samedi 7 octobre, s’est tenue à Rome pour la défense de la Constitution italienne, adoptée en 1947 au sortir de la Seconde Guerre mondiale et du fascisme mussolinien. Initié par la confédération italienne, l’appel « La via Maestra, ensemble pour la Constitution » a reçu un large soutien syndical international, avec des messages de solidarité venus de la Cgt, de l’Ugt espagnole, de la Confédération des syndicats suisses, de la Fgtb en Belgique, de Fratia en Roumanie, de la Sak en Finlande, d’Uni Europa, du CLC au Canada…
Contre l’extrême droite, ne pas s’en limiter aux valeurs
« Vos luttes nous inspirent », souligne en conclusion la secrétaire générale de la Cgt, en invitant à faire vivre l’internationalisme et à lutter contre le fatalisme. Rien, en effet, n’est inéluctable, comme l’illustre l’Espagne qui a déjà montré, sinon « la », du moins « une » voie : l’organisation d’une vaste campagne combinant une plateforme syndicale « pour un travail digne » recensant toutes les initiatives de lutte contre les discriminations, des actions sur des thèmes spécifiques (contre les fake news par exemple) et un appel à la solidarité internationale. L’Ugt a ainsi contribué à déjouer la victoire annoncée de Vox aux dernières élections législatives.
Dans ces moments de « bascule », le discours sur les valeurs ne suffit plus. Sophie Binet l’assure : « Il faut dénoncer l’imposture sociale du Rn, meilleur allié du néolibéralisme ; promouvoir la solidarité pour faire vivre l’égalité en organisant les travailleurs et travailleuses, à l’image du travail développé avec les sans-papiers ; faire de la lutte contre les rapports de domination sexistes et racistes une question syndicale à part entière, au même niveau que la lutte contre l’exploitation capitaliste ; faire gagner nos luttes qui, par essence, rassemblent, et les valoriser. » Autant d’antidotes au « poison de la division », puissant carburant de l’extrême droite.
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