« Archi pas content » : la lutte ingénieuse des étudiants en architecture
Très présents dans les manifestations contre la réforme des retraites, les étudiants des écoles d’architecture ont réussi à alerter sur leur situation dégradée. Ils et elles mènent une lutte coordonnée et efficace dans l’ensemble des établissements.
C’est une mobilisation puissante. Depuis le mois de janvier, enseignants, étudiants et personnels administratifs des Écoles nationales supérieures d’architecture (Ensa) sont mobilisés pour obtenir davantage de moyens financiers et humains.
La contestation a pris racine en Normandie, dans la ville de Rouen. La rentrée du 2e semestre, initialement prévue le 30 janvier, a dû être reportée après le vote, en assemblée générale, du blocage des cours. Un mois plus tard, le mouvement s’étendait à l’ensemble des 20 Ensa répartis sur tout le territoire. Bientôt, elles se fédéraient au sein d’un collectif : Ensa en lutte.
Sous-effectifs et bas salaires
Partout, les étudiantes et étudiants dénoncent le manque de moyens financiers et ses conséquences sur la qualité de la formation pédagogique. À la Villette par exemple, où la première assemblée générale s’est tenue le 1er mars, les voyages scolaires sont compromis et les étudiants contraints d’autofinancer maquettes et impressions…
Les enseignants sont sous-rémunérés, ce qui affaiblit l’attractivité du métier et entrave le recrutement. Les manques d’effectifs touchent aussi les personnels administratifs qui, submergés de travail, peinent à répondre à toutes les sollicitations dans des délais raisonnables.
Vétusté des locaux
Ce sous-investissement a, enfin, des répercussions sur l’entretien des bâtiments. Plusieurs Ensa ont des locaux vétustes, d’après le collectif Ensa en lutte. C’est le cas à Grenoble, où l’eau s’infiltre les jours de pluie.
En 2020, les 20 directeurs et directrices d’écoles, dans une tribune publiée par Le Monde, avaient alerté le ministère de tutelle, celui de la Culture, en réclamant un « investissement massif dans l’enseignement de l’architecture afin de former les futurs acteurs de la transition ». Alors que le budget de la culture a augmenté de 7 % en 2023, ce manque d’investissements est devenu intolérable.
Une lutte très organisée
Le métier d’architecte nécessite de l’ingéniosité. Les étudiants des Ensa en font la démonstration. Leurs assemblées générales ont élu des responsables pour piloter les apparitions collectives ou les relations avec la presse. Une organisation respectée dans l’ensemble des établissements.
En votant le blocage des cours, les étudiants n’ont cependant pas fait une croix sur leur présence dans les écoles, dont plusieurs sont d’ailleurs occupées la nuit. Entre les ateliers pancartes et de constructions dédiées aux manifestations, ils et elles organisent des « cours sauvages ». Dans chaque école, un compte Instagram a été créé pour relater l’actualité du mouvement en images : assemblées générales, ateliers de confection de banderoles ou de chars côtoient ainsi rendez-vous et emplois du temps aménagés. À l’ère du numérique, les étudiants s’organisent à ciel ouvert.
« Archi contre » et « archi pauvre » !
La lutte des Ensa bénéficie par ailleurs d’un contexte social porteur. La bataille des retraites s’est invitée dans les revendications et, le 7 mars, des cortèges des écoles d’architecture ont fait leur apparition dans les manifestations contre les 64 ans. Leurs pancartes déclinaient un slogan drôle et percutant : « Archi contre », « archi pauvre », « archi pas content », « archi en colère »… La réforme des retraites n’était pas la raison principale de leur colère, mais les étudiants ont ainsi réussi à donner de la visibilité à leur mouvement, et l’insertion dans cette mobilisation leur a permis, pour la première fois, de s’y intéresser et de s’y investir. « Se souder entre étudiants architectes nous permet de nous attaquer à d’autres sujets ensemble », abonde Mathias, de l’école Paris-Belleville.
Une délégation a été reçue par le ministère de la Culture le 13 mars. Pour Solène, étudiante et vice-présidente de la commission de la formation et de la vie étudiante de la Villette, cette réunion n’a pas permis, pour l’heure, de débloquer la situation : « Ils veulent casser la dynamique nationale en prenant les problèmes école par école, mais la situation est la même partout ! »
Un premier éveil des consciences
Ce mouvement national a renforcé les liens au sein des Ensa : entre élèves, mais aussi avec le personnel. Même les directions d’école sont conciliantes. « Notre directrice a tout à y gagner, car elle manque de moyens », estime Solène.
Pour bon nombre d’étudiants en architecture, manifester n’était pas un réflexe. Beaucoup ont participé à des cortèges pour la première fois de leur vie et, pour ces « primo-manifestants », il s’est agi d’un véritable éveil citoyen. « D’autres étudiants, dans d’autres écoles, se battaient pour le même diplôme, explique Mathias. En rejoignant la mobilisation, nous avons compris qu’ensemble, nous pouvions faire changer les choses. »
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