L’art de Germaine Richier révélé sur une très grande échelle
Au Centre Pompidou, près de 200 œuvres participent à la rétrospective de cette artiste qui, au XXe siècle, a magnifiquement poussé la sculpture dans ses derniers retranchements.
En 1956, Germaine Richier (1902-1959) était la première femme exposée, de son vivant, au Musée national d’art moderne. Ces temps-ci, le Centre Pompidou, conjointement avec le musée Fabre de Montpellier, permet, grâce à quelque 200 œuvres (sculptures, gravures, dessins et peintures) de considérer d’un regard neuf l’importance de celle qui, vers la fin de sa vie, a pu dire : « Je suis plus sensible à un arbre calciné qu’à un pommier en fleur. »
Ainsi installée à sa juste place, au plus haut, Germaine Richier n’a rien à envier à ses contemporains : Marini, Laurens, Giacometti, Brancusi. L’art de Richier, ainsi qu’exigeait qu’on la nommât son second mari, le poète René de Solier, n’a que faire avec je ne sais quel ouvrage de dame. Rien d’orné, ni d’aimable, dans ses représentations humanoïdes brutes, dont la peau de bronze apparaît délibérément écaillée, perforée, lacérée.
« une combinaison de choses incroyables »
César, qui fut son élève, nous apprend qu’elle avait été bouleversée par la découverte des cadavres pétrifiés de Pompéi. D’elle, il disait encore : « Quand on regarde une de ses sculptures, ça éclate comme une grenade. C’est comme si tu coupais une langouste en deux, il se passe beaucoup de choses dedans. Tu prends un avion, tu prends une automobile, tu prends un être humain, tu les coupes en deux… Il y a, à l’intérieur, une combinaison de choses incroyables. »
La visite s’ouvre sur les débuts de l’artiste, avec des têtes, des bustes et des portraits de belle facture classique. Après les Beaux-Arts de Montpellier (1925-1926) dans l’atelier de Louis-Jacques Guigues, ancien praticien (celui qui dégrossit le marbre) de Rodin, Richier avait poursuivi ses classes à Paris, auprès de Bourdelle, jusqu’à la mort de celui-ci.
Adolescent nu et maigre, aux jambes interminables
Cette formation classique, continuée jusqu’en 1939, elle ne la reniera jamais. « Une seule discipline, a-t-elle affirmé : faire des bustes ressemblants, pour se retremper de temps à autre dans la réalité. C’est aussi une leçon d’humilité. »
Au début de l’exposition, c’est le choc provoqué par la découverte de Loretto I (1937), étonnante figure – en bronze patiné foncé – d’un adolescent nu et maigre, aux jambes interminables. La guerre révèlera Richier telle qu’en elle-même. Après Juin 40, qui en signifie l’horreur, Le Crapaud inaugurera son bestiaire fantastique, plus tard étoffé d’une petite Sauterelle (1944), de L’Araignée (1946), de La Mante et de La Chauve-souris (même année), de L’Aigle (1948), de La Fourmi (1953)…
Autoportrait campé dans l’expectative
C’est toute la nature qu’elle entend désormais repétrir à sa guise, de La Feuille à L’Homme-Forêt, de L’Eau (1953-1954) à La Montagne (1955-1956), pour laquelle Nardonne, le célèbre modèle du Balzac de Rodin, prêtera son dos.
Nardonne avait déjà posé pour L’Ogre (1949), L’Hydre, Le Pentacle et L’Orage (1947-1948) à quoi fait pendant L’Ouragane (1948-1949), qu’on s’accorde à considérer comme une sorte d’autoportrait en pied de Richier : un nu très compact, au bassin large et aux jambes grêles, campé dans l’expectative sur un socle rugueux et qui semble halluciné par l’opacité de la matière qui le fonde.
Création fantasmagorique
Richier disait : « Le but de la sculpture, c’est d’abord la joie de celui qui la fait. On doit y sentir sa main, sa passion. » Sa joie et visible tout au long du parcours, et elle serait même palpable s’il n’était justement interdit de toucher à ses œuvres, qu’on imagine façonnées par ses mains dures et carrées, aptes à malmener la glaise initiale. Quelque chose de volcanique caractérise nombre de ces figures qui font souvent corps avec les règnes minéral, végétal, animal. Sont-elles arrachées à la préhistoire ? Mais ne viennent-elles pas après Hiroshima ?
Plus on avance vers la sortie et plus s’impose le caractère fantasmagorique de sa création, de La Tauromachie (1953) au Cheval à six têtes (1954-1956), sans compter ses sculptures de la fin, dressées tels d’étranges totems devant des fonds parfois peints par son amie Maria Helena Vieira da Silva. Et l’on peut contempler pour la première fois, luxe suprême, le Christ d’Assy, sublimement long comme un jour sans pain, en bronze naturel nettoyé, qui suscita en son temps (1950) la colère aveugle des catholiques intégristes.
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