Nicolás Ferraro lance, sur la piste de dodus pains de cocaïne perdus dans la cambrousse, une meute de trafiquants, de paysans, de traînes-savates… et un tueur à gage. Et Michèle Pedinielli nous régale avec le retour de Diou Boccanera, confrontée à d’ex-« chiens sans collier », francs-tireurs de la guerre de classe dans l’Italie des années de plomb.
« Tout est parti en couilles en sept coups de fusil ». La première phrase annonce la couleur. Bienvenue sous les cieux agités du nord-est de l’Argentine, quelque part au-dessus de la frontière avec le Brésil et le Paraguay. À vrai dire, la carlingue d’un Cessna est peu compatible avec la partition d’un fusil à pompes Ithaca Calibre 12/70. Sept déflagrations… Issue idoine, l’aéroplane se crashe. Pour les deux rescapés de ce règlement de compte aérien, le soulagement est de courte durée. Leur cargaison s’est répandue sur des kilomètres à la ronde, comme une traînée de… poudre. Des « pains » de cocaïne qu’il leur faut récupérer, sinon leur compte est bon… Las, la plèbe locale fait montre d’avidité. Déterminée, becs et ongles, à tirer profit de cette manne tombée du ciel…
Nicolás Ferrero coordonne le département des littératures policières à la Bibliothèque nationale d’Argentine. Féru du genre, il s’adonne aussi à l’écriture. Notre dernière part du ciel, sa première traduction en français, assied sa réputation d’étoile montante du roman noir. Style alerte – il a un sens inouï de la métaphore ! – et tendance musclée, flots d’hémoglobine assumés. Il y en avait tant qu’on entendait un bruit de ruisseau (p. 261). Vous voilà prévenus…
Un tueur azimuté, dépêché par le cartel
Choral, le roman résonne de rêves galvanisés par cette pluie providentielle. Ainsi, ceux de l’Arménien et du vieux Reiser, épaves au passé trouble, frustrés du refuge précaire de l’alcool. Ceux encore des frères Vargas, ouvriers agricoles qui s’esquintent l’échine sur des terres stériles, et sont attirés par les lumières de Buenos Aires… Leurs quêtes de rédemption vont se heurter à Zupay, un tueur azimuté, dépêché par le cartel. Pour liquider, de préférence dans d’atroces souffrances, les pillards du moindre gramme de coke…
En interpelant des bribes de leur passé, Nicolás Ferrero dresse un fervent et pathétique portrait de ses personnages. Même les plus abominables. Il les plante dans un contexte sans foi ni règle qui, d’emblée, exclut toute espérance. Un vrai jeu de massacre social. À la fatalité de la misère répond celle de la violence. Derrière la férocité des affrontements et fusillades luisent parfois des éclats de tendresse et de dignité. Rester debout, malgré tout… Pour une toute petite part de ciel, fût-elle provisoire…
La fin, suffocante, est d’une noirceur absolue. Vous voilà de nouveau prévenus.
Une menace de mort dans la boîte aux lettres
Pour recouvrer nos esprits, si on s’en remettait à une vieille connaissance ? Une amie, presque. Pétillante, à l’humour ravageur, sensible et droite dans ses Dr. Martens… Oui, revoilà Diou Boccanera, la privée niçoise. Et elle n’a pas changé…
Encore fragilisée par sa douloureuse enquête corse (cf. Options, juin 2021), elle est revenue respirer l’air de sa ville. Dans sa boîte à lettres, un matin, une menace de mort. Curieuse façon de célébrer son retour. Mais qui est visé ? Elle ou Dan, son colocataire ? Dans le même temps, un ami inspecteur du travail sollicite ses services pour retrouver un ouvrier roumain, employé sur un grand chantier immobilier, subitement disparu. Voilà pour le début…
Jeunes idéalistes dans les années de plomb italiennes
Comme toujours chez Michèle Pedinielli, les péripéties s’enchaînent à un rythme soutenu, et la construction sophistiquée n’en est pas moins limpide. Deux récits s’entrelacent dans la trame principale. Le premier, dans la ferveur des années de plomb italiennes, suit les agissements de jeunes idéalistes. Le second nous immerge dans l’esprit d’une femme qui a peur de perdre le sien, s’agrippe à une mémoire qui s’effiloche. J’ai tué. C’est certain. Il me reste maintenant à me souvenir pourquoi (p. 23)… Bien sûr, les fils narratifs finiront par se rejoindre pour n’en former plus qu’un, inéluctable.
Cani sciolti. Chiens sans collier. Chiens perdus, surtout. Qui refusent de crever sous quelque joug. Dans la jungle révolutionnaire ou immobilière… Diou va en faire son combat. On connaît sa propension à fouiner là où ses saines révoltes la portent. Tant pis si elle prend des coups. Et ils sont nombreux. Qu’importe si le corps (foutue ménopause !) se rebelle. Opiniâtre, sans collier elle non plus, elle fait face. Et ses larmes sont aussi sa force… Au final, fracas émotionnel garanti. C’est la griffe de son autrice, fine observatrice d’âmes perdues et de dérives sociétales, où le fric dévore l’humain.
Sans collier n’est pas juste un grand roman. La petite musique des personnages secondaires, récurrents d’un volume à l’autre (il vaut mieux les lire dans l’ordre, pour apprécier la saveur de leurs liens avec Diou), et Nice, tantôt pimpante, tantôt ombrageuse, conspirent à créer un macrocosme attachant comme il en existe peu dans la littérature noire francophone. Il scelle aussi le firmament de la plume, piquante, de Michèle Pedinielli. Diou, on t’aime…
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