Orange : mobilisation d’ampleur contre la réforme des retraites
La mobilisation des salariés prend racine dans un climat social tendu, sur fond de non-reconnaissance salariale et d’intensification des rythmes de travail.
Le 19 janvier 2023, première journée d’action interprofessionnelle contre la réforme des retraites, les salariés d’Orange ont répondu présent, avec 15 % de grévistes selon la Cgt. Et encore ne s’agit-il que d’une estimation basse, ce chiffre ne tenant pas compte des débrayages d’une heure. La mobilisation a été perturbée par le télétravail, comme l’explique Laïla Chatraoui, déléguée Cgt à Orange en Seine-Saint-Denis et membre de la commission exécutive de l’Ugict : « Une partie des managers n’a pas comptabilisé les grévistes » parce qu’ils ont omis d’interroger les salariés à ce sujet. Et d’autres, surchargés de travail, n’ont tout simplement pas pris le temps de faire remonter leurs chiffres.
Pour autant, il existe des indices d’une bonne participation à cette journée de grève. L’outil de décompte des grévistes de l’entreprise a par exemple subi une défaillance technique « en raison d’une forte sollicitation ». Autre motif de satisfaction pour la syndicaliste : entre le 19 et le 31 janvier, les grévistes étaient différents, les salariés organisant une mobilisation tournante pour ne pas être trop pénalisés financièrement.
De nombreux primo-grévistes
Mais d’autres choix ont également été faits : télétravail le matin, mobilisation l’après-midi. Certains posent une demi-journée de congés pour prendre part aux manifestations. Au total, « il y a de plus en plus de salariés d’Orange dans les défilés », souligne Laïla Chatraoui, qui note la présence de nombreux primo-grévistes. Tout cela se fait sur fond de diversification des modes d’action syndicale depuis la crise du Covid. La Cgt a par exemple instauré des heures d’information en visioconférence en utilisant les outils de l’entreprise. Des moments d’information et d’échange qui ont attiré jusqu’à 230 participants.
Ce rejet de la réforme s’exprime dans un climat social tendu depuis des années à Orange. L’histoire de l’entreprise est jalonnée de mouvements sociaux. France Télécom est privatisée en 2004, malgré l’hostilité des salariés qui, un an plus tôt, s’étaient déjà fortement mobilisés contre la réforme des retraites de François Fillon ; puis est confrontée à une importante vague de suicides, entre 2006 et 2011 avant de devenir Orange, en 2013.
Une colère alimentée par les négociations salariales
Depuis deux ans, les négociations annuelles obligatoires (Nao) se concluent sans la signature des principales organisations syndicales, et la direction décide de manière unilatérale. Une forme de « mépris » qui, estime la déléguée Cgt, « alimente la colère des salariés », notamment ceux attachés à la mission de service public héritée des années France Télécom. Mais aussi ceux qui, pendant la crise sanitaire, ont assuré la continuité du service et permis aux clients d’Orange de télétravailler. Ces « héros du réseau » comme on les a surnommés dénoncent un manque de reconnaissance.
Un sentiment qui ne risque pas d’être atténué par les coupes sombres dans les effectifs. Le dernier plan de réduction des coûts a consisté à ne pas remplacer les départs en retraite, soit une perte de 3 000 à 4 000 postes en cinq ans. Sur 1 milliard d’euros d’économies, 500 millions ont ainsi été réalisés sur la masse salariale.
Les conséquences de cette stratégie sont l’intensification de la charge de travail. Certains salariés sont dans une forme d’épuisement professionnel. En 2022, la direction a recensé plus de dix « accidents violents ». Une façon de ne pas employer le mot suicides selon Sophie Labrune, secrétaire générale de l’Union fédérale des cadres de la Fapt-Cgt, qui note « un retour en arrière sur les méthodes de management des dirigeants ».
Les cadres aussi sont contre la réforme des retraites
De plus en plus de cadres, dont le travail est remis en cause, s’interrogent sur la stratégie de l’entreprise et s’impliquent dans le mouvement. Ces derniers mois, à l’occasion de la réforme des retraites ou des Nao, Laïla Chatraoui a pu observer leur changement d’attitude : « Lors de nos distributions de tracts, des cadres qui ne les prenaient pas le font désormais, et nous interpellent. » Sophie Labrune pointe, elle, le succès des réunions en ligne inaugurées pendant le confinement.
En préservant l’anonymat des participants, ce format a mis en confiance des cadres qui désormais se livrent plus librement. Et s’expriment même sur le portail en ligne de l’entreprise, habituellement utilisé par la direction pour partager des messages d’information. Certains cadres assument de poster publiquement des commentaires, notamment sur les retraites. Ils affichent aussi leur hostilité à cette réforme en indiquant ne pas être disponibles pour des réunions durant les journées de grève.
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