Vingt ans essentiels dans l’existence d’Erwin Blumenfeld
Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme consacre une exposition à ce grand photographe qui, de 1930 à 1950, ne cessa de créer, en Europe et aux États-Unis, en dépit des turbulences de l’Histoire.
Il y a pas moins de 180 photographies (et lesquelles !) dans l’exposition magistrale proposée par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj) intitulée « Les Tribulations d’Erwin Blumenfeld, 1930-1950 ». Le mot de « tribulations », dans son acception moderne, signifie, selon le dictionnaire Robert, « aventures plus ou moinsdésagréables ». Cela colle au mieux aux péripéties traversées, durant ces vingt années-là, par Blumenfeld, né à Berlin, en 1897, dans une famille de la bourgeoisie juive.
En 1907, un oncle lui offre son premier appareil photo. La mort du père provoque la faillite de la fabrique de parapluies qu’il codirigeait. Erwin quitte alors le lycée et devient apprenti dans la confection féminine. En 1915, il se lie d’amitié avec le grand dessinateur satirique Georg Grosz et la poétesse Else-Lasker-Schüler. En 1916, il part à la guerre comme ambulancier. Son frère Heinz meurt au front. Revenu à Berlin, Erwin émigre illégalement aux Pays-Bas pour retrouver sa fiancée, Lena Citroen.
Employé dans une maison de prêt-à-porter, il tente ensuite de commercialiser des œuvres d’avant-garde, peint, réalise des collages signés Jan Bloomfield. En 1920, avec son ami Paul Citroen, en liaison avec Tristan Tzara, il crée un groupe Dada aux Pays-Bas. En 1921, il épouse Lena. Ils auront trois enfants : Lisette (1922), Henri (1925), Frank Yorick (1932). En 1923, Erwin ouvre à Amsterdam une boutique de maroquinerie féminine.
En 1928-1929, d’un reportage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, il ramène de très beaux portraits de gitanes, visibles dans l’exposition. En 1932, il découvre, derrière une porte condamnée, un appareil photo à soufflets Volgtländer Bergheil et une chambre noire. Il se lance dans les portraits de clientes. Un marchand d’art lui permet de montrer son travail dans une galerie.
La superposition d’un crâne de mort sur les traits d’Hitler
En 1933, à l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, Erwin Blumenfeld réalise une remarquable série de photomontages, baptisés Gueules de l’horreur, réunis au Mahj, avec notamment la superposition d’un crâne de mort sur les traits d’Hitler. Plus tard, une tête de veau sur des épaules d’homme, vision du minotaure symbolisant les violences du temps, rappellera le Moloch de la tradition juive.
En 1934, il est photographe de plateau sur le film Pension Mimosas de Jacques Feyder, tourné à Épinay-sur-Seine, en même temps qu’il connaît sa première publication dans le magazine Vu. L’année d’après, la fille du peintre Rouault lui propose de le recommander à Paris en tant que portraitiste. En 1936, à Paris donc, il réalise de nombreux portraits, de François Mauriac et de Rouault, entre autres.
Blumenfeld publie alors dans Paris Magazine et dans Arts et Métiers graphiques. Il expose dans une galerie, rue La Boétie. Les gains d’une publicité pour Monsavon lui permettent de faire venir femme et enfants. Il installe son atelier à Montparnasse. En 1937 paraît sa première couverture pour Votre Beauté. Il publie dans la revue Verve. Le grand photographe mondain britannique Cecil Beaton l’introduit après du directeur de Vogue France et il participe à l’exposition « L’art cruel » à la galerie Billiet-Pierre Vorms.
Étranger indésirable, il tente en vain de se procurer des papiers
La guerre approche. En 1939, le contrat avec Vogue n’étant pas renouvelé, il se rend à New York, est bien accueilli à Life et Harper’s Bazaar, pour lequel il doit couvrir la mode parisienne. Revenu à Paris au lendemain de la mobilisation générale, il rejoint sa famille dans l’Yonne puis, après la déclaration de guerre, il repart seul à Paris et tente en vain de se procurer des papiers.
En 1940, étranger indésirable, les gendarmes l’emmènent dans un camp en Côte-d’Or, avant qu’il soit transbahuté de Loriol à Nîmes, Montpellier, Sète, Narbonne, Toulouse et Perpignan, puis interné durant six semaines au Vernet-d’Ariège, sa pire épreuve.
Au terme de terrifiantes « tribulations », Blumenfeld et les siens pourront enfin gagner les États-Unis sains et saufs. Il devient, à New York, l’un des photographes de mode les plus célèbres et les mieux payés. L’exposition le prouve haut la main, avec sur ce thème de très beaux exemples en noir et blanc puis en couleur. Ses portraits de femmes, sophistiqués ou naturels, sont magnifiques. Il a photographié des statues de MaiIlol, sur lesquelles le marbre semble s’être fait chair…
Il meurt à Rome, d’un infarctus, en 1969. Babel vient de rééditer Jadis et Daguerre (492 pages, 12,90 euros), mémoires de cet artiste éminemment cultivé, courageux, optimiste, doté d’un sacré sens de l’humour, qui a vécu une véritable odyssée en des temps entre tous déraisonnables.
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