Quand Alfred Dreyfus en personne revient sur «  l’Affaire  »

C’est quasiment ce qui a lieu au musée d’art et d’histoire du judaïsme, où l’exposition « Vérité et justice » explore les tenants et aboutissants de cet épisode inoubliable de honte nationale.

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Alphonse Bertillon, Portrait d’Alfred Dreyfus pris après sa dégradation. Paris, 5 janvier 1895. © Musée d’Histoire urbaine et sociale de Suresnes / Grand-Palais / Rmn / Musée d’Orsay / Hervé Lewandowski.

Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj) présentait, en 2006, l’exposition «  Alfred Dreyfus, le combat pour la justice  » à l’occasion du centenaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Aujourd’hui, avec l’exposition «  Vérité et justice  », il s’agit de revenir sur l’Affaire et d’en rappeler les étapes essentielles, dont les péripéties ont littéralement – et durablement – bouleversé la société française, pour finir par consolider la République, avec la loi de séparation des Églises et de l’État.

Cette fois, c’est Alfred Dreyfus qui prend la parole. Le parcours labyrinthique est semé, sur les murs, de courtes réflexions tirées de ses Œuvres complètes, parues en 2024 aux Belles Lettres. «  Quand on racontera mon histoire, écrit-il notamment, elle paraîtra invraisemblable.  » C’est donc Alfred Dreyfus tel qu’en lui-même, Alfred Dreyfus à la première personne du singulier que révèle, au cœur de la prétendue «  Belle Époque  », cette manifestation de grande importance, qui ne réunit pas moins de 250 documents d’archives, photographies, affiches, extraits de films et quelque 60 œuvres d’art. 

Chemin faisant, il est fait litière de la soi-disant passivité d’un Dreyfus qui se serait effacé devant son funeste destin. On le découvre au contraire en combattant inlassable de la vérité, luttant sans trêve pour recouvrer son honneur. 

Une carrière militaire brisée par une machination 

Alfred Dreyfus naît en 1859 dans une famille juive alsacienne qui, refusant l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne en 1871, a opté pour la France. Polytechnicien, ardent patriote, il entame une carrière militaire brisée nette, en 1894, par une machination de l’état-major. Accusé à tort de haute trahison en faveur de l’Allemagne, il est condamné en conseil de guerre, dégradé en public, le 5 janvier 1895, dans la cour de l’École militaire, puis déporté sur l’île du Diable, au large de la Guyane. 

Pourtant, de 1897 à 1899, les preuves de l’innocence de Dreyfus s’accumulent et le scandale grandit. Pour ramener le calme, et alors que l’armée refuse se reconnaître son tort, les pouvoirs publics décident un compromis boiteux  : en septembre 1899, le président de la République gracie l’infortuné capitaine, qui n’est cependant pas innocenté. Il faudra attendre 1906 et d’autres combats pour qu’il soit pleinement réhabilité. 

Un discours magistral de Jaurès à la Chambre des députés

En avril 1903, devant la Chambre des députés, Jean Jaurès prononce un discours magistral qui pousse le général Louis André, ministre de la Guerre, à rouvrir le dossier. Des faits nouveaux ont été enregistrés, permettant à Alfred Dreyfus de déposer une requête en révision. La Cour de cassation est saisie. 

Dreyfus est alors réhabilité, promu commandant et décoré de la Légion d’honneur, ce qui déchaîne, dans la droite nationaliste, une campagne d’une violence inouïe. Charles Maurras écrit à Maurice Barrès  : «  À bas les juifs  ! À bas les juifs  ! Nous allons la réviser [la réhabilitation] n’est-ce pas.  » Les militants de l’Action française, la bave aux lèvres et les poings serrés, tentent de relancer l’agitation antisémite. Ils iront jusqu’à tirer sur Dreyfus, lors du transfert au Panthéon des cendres d’Émile Zola, auteur de l’article «  J’accuse  », qui fit bouger tant de consciences. 

Le climat d’une époque tumultueuse  

Malgré sa réhabilitation de 1906, la carrière de Dreyfus ne sera jamais intégralement reconstituée, ses cinq années de détention restant omises dans le calcul de ses états de service. «  Je resterai une victime jusqu’au bout  », écrit-il en quittant l’armée française, en laquelle il avait tant cru.

L’exposition «  Alfred Dreyfus, vérité et justice  » restitue à la perfection, à l’aide de documents de famille, de maintes caricatures de presse, de tableaux et de gravures – dont celles, admirables, de Vallotton – et même de films – notamment celui de Méliès en 1899 –, le climat d’une époque tumultueuse, dont les traces mémorielles ne doivent surtout pas être effacées. Il est à noter que Dreyfus reprendra du service dès la mobilisation d’août 1914. Sur le parvis du Mahj, la statue de Tim, Hommage au capitaine Dreyfus, accueille encore et toujours les visiteurs.