Pourquoi Rodin a-t-il vêtu Balzac d’une robe de chambre  ?

C’est, dans le musée consacré au grand sculpteur, la question à laquelle l’exposition « Corps In-visibles » apporte plusieurs réponses passionnantes.

Édition 065 de mi-février 2025 [Sommaire]

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Auguste Rodin, L’Étude de robe de chambre pour Balzac (1897). © Jérôme Manoukian / Agence photographique du musée Rodin.

En 1891, la Société des gens de lettres décide qu’un monument doit être érigé à la gloire d’Honoré de Balzac (1799-1850), prodigieux romancier à l’œuvre titanesque. Le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917), lui-même un titan dans son art, est choisi pour éterniser, dans le bronze, l’auteur de La Comédie humaine.

L’exposition «  Corps In-visibles  », organisée avec le concours du palais Galliera, musée de la Mode de Paris, retrace scrupuleusement les étapes successives de la conception et de la réalisation de la statue de Balzac, dont une réplique trône dans la station de métro Varenne. Rodin a travaillé de 1891 à 1898 à cet insolite chef-d’œuvre, que la Société des gens de lettres a aussitôt refusé.

Pour modèle, un charretier de forte corpulence

Au fil de l’exposition, toutes les phases de l’enquête du sculpteur sont restituées. Pour recréer l’image de Balzac, Rodin s’adressa à un collectionneur de reliques balzaciennes installé à Bruxelles. Il se rendit en Touraine, région natale de l’écrivain, où il trouva, pour modèle, un charretier de forte corpulence. 

Rodin retrouva même le tailleur de Balzac. Il lui fit refaire un costume du romancier, afin d’en mieux saisir l’apparence. On peut ainsi découvrir la redingote de l’écrivain, pour l’occasion retaillée à partir des mesures exactes de son corps.

Dans les plis élégants d’un grand drapé

Quatre années durant, Rodin s’essaya à des incarnations de Balzac dans la terre et le plâtre. Comme ses contemporains ne pourraient se résoudre à voir, dans ce génie, la figuration d’un petit homme ventru (ce qu’il fut), Rodin s’orienta vers un grand homme de bronze dans sa légendaire robe de chambre d’écrivain. Il cache alors un corps volumineux dans les plis élégants d’un grand drapé.

C’est vers 1896-1897 qu’apparut la solution plastique définitive, avec le moulage en plâtre d’une véritable robe de chambre, qui permit à Rodin de sublimer de manière allégorique l’idée de Balzac, à défaut d’en faire montre dans sa morphologie réelle.

Cheminement vers l’idéalisation

La seconde partie de l’exposition tourne donc autour de l’Étude de robe de chambre pour Balzac, grâce à laquelle a abouti le cheminement de Rodin vers l’idéalisation, enfin résolue, du corps du génie de la littérature.

L’exposition «  Corps In-visibles  » ne s’arrête pas là. Elle permet, pour finir, de réfléchir sur l’évolution des représentations du corps dans l’espace public, notamment en mettant en regard le Monument à Balzac, de Rodin, et une œuvre du sculpteur britannique Thomas J. Price (né à Londres en 1981), qui représente une femme noire en jogging. Thomas J. Price s’attache à représenter des «  héros fictifs de la vie quotidienne  »  ; célébration inverse de celle de Rodin, artiste de la fin du XIXe siècle. 

  • Jusqu’au 2 mars, au musée Rodin, 77, rue de Varenne, Paris 7e