Jacques Prévert sous toute ses faces au musée de Montmartre 

On connaissait le poète de l’enfance enchantée, le parolier, le brillant scénariste, l’étincelant dialoguiste… On découvre aujourd’hui, avec grand plaisir, l’ami des grands peintres de son temps et le « rêveur d’images » qu’il fut toute sa vie.

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Jacques Prévert, Fête nautique (non daté), collage, 31,9 × 25,4 cm, collection Eugénie Bachelot-Prévert © Adagp, Paris 2024.

Il y a soixante-dix ans, Jacques Prévert (1900-1977) s’installait au 6 bis, cité Véron, juste au-dessus du Moulin-Rouge, avec Boris Vian pour voisin immédiat. L’esprit de l’exposition «  Jacques Prévert, le rêveur d’images  », est dû à Eugénie Bachelot-Prévert (sa petite fille) et à Alice S. Légé, responsable de la conservation du musée de Montmartre. 

Le but avéré est de mettre en lumière le fait que la création, chez l’auteur des poèmes de Paroles (1945, récemment réédité par Gallimard) est extrêmement riche et diverse. C’est ainsi qu’au fil du parcours, dans les petites salles intelligemment aménagées de l’établissement, on peut cheminer, pas à pas, dans l’existence revisitée de celui qu’on croyait bien connaître. 

Où l’on voit Prévert en jeune homme tiré à quatre épingles 

Il y a, de lui, de nombreux portraits photographiques, depuis celui réalisé par un anonyme à la fin des années 1920, où l’on voit Prévert en jeune homme tiré à quatre épingles – costume croisé, cravate, déjà la clope au bec –, à l’entrée du 54, rue du Château, à Paris 14e. C’est là qu’avec Raymond Queneau, le peintre Yves Tanguy et Marcel Duhamel – futur artisan de la Série noire –, ils s’exerçaient au jeu du «  cadavre exquis  », cher au surréalisme, qu’alors ils adoptaient. . 

La rupture avec André Breton est cinglante. Dès 1930, Prévert devient lui-même. En 1932, il rédige des textes pour le groupe Octobre, où l’avait convié l’acteur Raymond Bussières. On y pratique l’agit-prop (pour « agitation-propagande »). Proche du Parti communiste sans y être encarté, le groupe Octobre, qui est très offensif, subversif, inventif, participera, en 1932, aux Olympiades du théâtre à Moscou.

Il écrivait  : «  Mourir pour la patrie, c’est mourir pour Renault  »

Jacques Prévert, Portrait de Janine, son épouse (1943), collage sur papier, 61 × 49,5 cm, collection Eugénie Bachelot-Prévert. © Adagp, Paris.

Au plus près du mouvement ouvrier, le groupe Octobre joue dans des usines, des bistrots, des préaux d’écoles. Prévert écrivait alors, par exemple  : «  Mourir pour la patrie, c’est mourir pour Renault.  » En cours de route, on retrouve d’autres de ses portraits, plus familiers  ; le flâneur de Paris en casquette, l’homme au mégot entre les lèvres ou celui qui vous regarde de face. Il y a ceux avec ses amis – et lesquels  ! Picasso, Chagall, Calder (qu’il nommait «  l’ogre aux doigts de fée  »), Miro – avec lesquels il a très souvent partagé des œuvres.

Un sale type de patron liquidé par son employé impuni

Il y a des affiches sur des films à jamais célèbres, entre autres Le Crime de monsieur Lange, de Jean Renoir (1935). Prévert en conçut les dialogues, proprement libertaires, où l’on déteste un sale type de patron (Jules Berry) liquidé par son employé impuni (René Lefèvre). Avec Marcel Carné, ce sera une collaboration féconde, d’où naîtront Drôle de drame (1937), Quai des brumes (1938), Le jour se lève (1939), Les Visiteurs du soir (1942), Les Enfants du paradis (1945)… On rappelle encore que Prévert a donné de merveilleuses chansons à Agnès Capri, à Juliette Gréco, à Yves Montand. 

Mais la vraie révélation, ici, ce sont ses collages. Obéissant à certaine «  discipline des ciseaux  », ils se situent dans l’exacte définition qu’en donnait son ami Max Ernst  : «  Le collage est quelque chose comme l’alchimie de l’image visuelle. Le miracle de la transfiguration totale des êtres et des objets, avec ou sans modification de leur aspect physique ou anatomique  ». Dans les collages de Prévert se révèlent ainsi tous les rouages de la plus parfaite fabrique du rêve.