Chronique juridique -
Environnement de travail sexiste : stop immédiat !
La jurisprudence ne cesse de se consolider. Une attitude pensée comme « humoristique » peut être blessante et humiliante pour d’autres, notamment les plaisanteries sexistes et dégradantes à l’encontre des collègues féminines. La souffrance au travail qui en résulte peut se solder par le licenciement du fautif.
Les atteintes sexuelles aux personnes, en premier lieu aux femmes, constituent un continuum depuis les propos sexistes jusqu’au viol, en passant par le harcèlement et l’agression sexuels. Dans le cadre de la politique de prévention au sein de l’entreprise, il faut agir pour enrayer ce processus dès son commencement. L’environnement de travail sexiste porte atteinte à la santé ; il doit être traité comme tout risque professionnel. Cet environnement porte aussi atteinte à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. De nouvelles décisions récentes, du juge judiciaire et du Défenseur des droits, rappellent des règles à connaître et à mobiliser.
L’action contre les violences sexuelles et sexistes (Vss) doit avoir lieu chaque jour, pas seulement le 25 novembre ou le 8 mars. Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (Hce) et le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (Csep), « 80 % des salariées considèrent que, dans le monde du travail, les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou à des décisions sexistes, et 93 % d’entre elles estiment que cela a un impact sur le comportement des salarié·es. ».
Définitions
Selon le Code du travail (L. 1142-2-1) : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
L’article L. 1153-1 stipule : « Aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
Le harcèlement sexuel est également constitué :
a) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
b) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements, successivement, venant de plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »
Le Code pénal précise : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. […] Les faits […] sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » (Article 222-33).
Évaluation du risque
L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations, dans l’organisation du travail et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe (Article L. 4121-3 du Code du travail).
Prévention
L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. (Article L. 1153-5 du Code du travail).
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et des travailleuses ; l’employeur met en œuvre ces mesures nécessaires sur le fondement des principes généraux de prévention, notamment :
éviter le risque ;
combattre le risque à la source ;
planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 (Article L. 4121-2 du Code du travail).
L’employeur a l’obligation :
en amont, de prévenir par des mesures de prévention l’apparition de situations de harcèlement sexuel,
en aval de faire cesser les agissements de harcèlement sexuel lorsqu’ils apparaissent malgré les actions de prévention mises en œuvre.
Jurisprudence
1) Le licenciement pour agissements sexistes est justifié.
Les 2 et 3 juillet 2016, un salarié a tenu, auprès de certains collègues de travail, des propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants à l’encontre de deux autres collègues de sexe féminin, indiquant notamment que l’une d’elles était « une partouzeuse », avait « une belle chatte » et « aimait les femmes » en parlant en des termes salaces d’une autre collègue et de sa nouvelle relation masculine.
Pour la Cour de cassation, ce salarié « avait tenu envers deux de ses collègues, de manière répétée, des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants, ce qui était de nature à caractériser, quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, un comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse fondant le licenciement décidé par l’employeur » (Cour de cassation, Chambre sociale, 12 juin 2024, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ; voir également cour d’appel d’Aix-en-Provence, 19 avril 2024).
2) La responsabilité civile de l’employeur qui tolère des agissements sexistes est reconnue.
Le droit sur harcèlement sexuel par l’environnement de travail est mis en œuvre :
Pour le juge, « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. C’était le cas en l’espèce. L’employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par V. H. sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement sexuel est établi. »
Il résulte des articles L. 1152-1, L. 1152-4 et L. 4121-1 du Code du travail que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (cour d’appel d’Orléans, chambre sociale, 7 févr. 2017, La Nouvelle République du Centre-Ouest).
3) Décision du Défenseur des droits.
Dans une décision récente, le Défenseur des droits rappelle des règles applicables et se réfère à la jurisprudence (Décision n°2024-105 du 11 juillet 2024). Le harcèlement sexuel a, estime-t-il, un « caractère discriminatoire ».
La directive européenne 2006/54/CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, donne les définitions suivantes :
« Le harcèlement se caractérise par la situation dans laquelle un comportement non désiré lié au sexe d’une personne survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » ;
« le harcèlement sexuel correspond à la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Les directives 2000/78/CE et 2006/54 (précitées) indiquent en leurs articles 2 que le harcèlement est considéré comme une forme de discrimination lorsqu’un comportement indésirable lié à l’un des motifs visés à l’article 1er, tel que le sexe, se manifeste, et a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
Ainsi, selon le droit de l’Union européenne, le harcèlement constitue en lui-même une discrimination, dès lors qu’il est en lien avec un critère prohibé, tel que le sexe. Le harcèlement sexuel est donc également un harcèlement discriminatoire, en lien avec le sexe.
En droit interne, c’est la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 qui a transposé cette définition du harcèlement discriminatoire en lien avec le sexe, en son article 1er : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement […] de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. […] La discrimination inclut 1° tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Le harcèlement sexuel est ainsi considéré comme une forme de discrimination pour laquelle le Défenseur des droits est compétent en vertu de l’article 4 de la loi n°2011-333 du 29 mars 2011. Plusieurs juridictions ont retenu que le harcèlement était constitutif d’une discrimination dans des affaires où le Défenseur des droits avait présenté des observations.
Selon l’article L. 1153-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au moment des faits : « Aucun salarié ne doit subir des faits : 1° soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2° soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »
Par un arrêt du 7 février 2017, dans une affaire où le Défenseur des droits avait présenté ses observations, la cour d’appel d’Orléans a par ailleurs reconnu la notion de « harcèlement environnemental ou d’ambiance ». La salariée dénonçait un environnement de travail ponctué, entre autres, de blagues à connotation sexuelle : « Le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. »
La cour d’appel d’Orléans s’est également positionnée sur l’humour à connotation sexuelle sur le lieu de travail : « Ce que certains individus trouvent humoristique et ne portant pas atteinte à la dignité peut être blessant et humiliant pour d’autres, notamment en ce qui concerne les plaisanteries à connotation sexuelle dirigées à l’encontre des collègues de sexe féminin. Le harcèlement sexuel peut constituer en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. »
Cette définition a été confirmée dans une affaire similaire par le conseil de prud’hommes de Saint-Denis de la Réunion du 8 septembre 2017 dans laquelle le Défenseur des droits avait également présenté ses observations.
Dans le même sens, après avoir relevé l’existence de messages à caractère sexuel échangés entre collègues et auxquels la salariée était confrontée, la cour d’appel de Caen a constaté l’existence d’« une culture d’entreprise à connotation sexuelle à laquelle les salariés se sentaient obligés d’adhérer pour être intégrés dans l’équipe » et d’une « pression implicite » et a jugé que le harcèlement sexuel était constitué. La doctrine a pu considérer que « cette notion de “culture d’entreprise” pourrait d’ailleurs s’avérer très fertile pour la protection des salariés contre les harcèlements “d’ambiance” où la dimension collective de ceux-ci crée parfois l’illusion trompeuse que l’illégal serait normal et acceptable ».
Le conseil de prud’hommes de Paris a également récemment jugé qu’un « harcèlement sexuel environnemental » était constitué dans une affaire où les collègues de la salariée se livraient à des comportements, blagues et propos à connotation sexuelle et sexiste.
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