Revue de presse -
Médias, édition : à (l’extrême-) droite, toute ?
Être ou ne pas être exposé : le projet avorté de promotion du livre de Jordan Bardella dans les gares et le métro parisien a suscité une violente polémique. Acte de censure pour les uns, de résistance pour les autres, elle est illustrative d’une extrême droitisation de la société, alimentée par le capital.
Après plusieurs jours d’atermoiements, c’est au nom de la neutralité politique que Médiatransports, qui gère les panneaux d’affichage publicitaire dans les gares Sncf et le métro parisien, refuse finalement de participer à la promotion du livre du président du Rassemblement national publié chez Fayard. Le projet avait suscité la colère des syndicats Cgt-cheminots et Sud-Rail, qui y voyaient un affichage « à rebours des valeurs du groupe » Sncf rapporte L’Humanité. Son abandon ? Il est stigmatisé comme un « acte de censure inadmissible », acté sous la pression de « syndicats totalitaires » relaient Le Figaro et un certain nombre d’éditorialistes en citant les propos de Jordan Bardella, toujours prompt à se victimiser et à verser des larmes de crocodile.
Peu sont dupes. « Pas de panique »,ironise Le Canard enchaîné pour qui, « privé de pub, Jordan Bardella fait un boucan d’enfer » : « les médias Bolloré assurent déjà la promo », constate Garance Tournillon. Confirmation dans Médiapart : le responsable Rn « pourra en revanche compter sur la force de frappe de la sphère Bolloré. Cette dernière mettra à son service les médias possédés par le milliardaire breton, du Journal du dimanche à Europe 1. Et pourrait aussi actionner le puissant réseau des boutiques Relay », écrit Youmni Kezzouf, dans un article qui recense les publicités déjà accordées à plusieurs auteurs d’extrême droite.
Une « bollorisation » du secteur de l’édition
Ce plan de communication voulu par la célèbre maison d’édition avait été révélé par Libération. « Ce fut un moment funeste », témoigne un salarié des éditions Fayard auprès des journalistes du quotidien, à l’annonce de la sortie en librairie du livre du président du Rn. Organisée par Lise Boëll, éditrice d’Éric Zemmour, cette annonce « acte de façon tangible la bollorisation à marche forcée d’un des piliers du secteur de l’édition », écrivent Tristan Berteloot et Simon Blin. Qui s’inquiètent : « Les grandes manœuvres boëliennes ont beau se limiter, pour le moment, aux parutions des essais politiques et de documents, la crainte de devenir une marque repoussoir faisant tache d’huile sur le reste du catalogue (littérature française, étrangères, etc.) existe bel et bien. »
Dans une tribune publiée dans Le Nouvel Obs, un collectif anonyme d’anciens et d’actuels salariés de la maison d’édition, filiale du groupe Hachette Livre, s’alarment de la situation : « Nous pensons à nos auteurs et autrices, passé.es ou engagé·es contractuellement, ainsi qu’à nos ancien·nes et actuel·les collègues, qui n’ont pas d’autre choix que de rester ; qui ne peuvent se résoudre à laisser une maison d’édition historique dévaler une pente si dangereuse. Il faut du mérite pour se battre en interne. Pour elles et pour eux, nous ne pouvons nous taire. Nous n’irons pas sur les chemins de terre brune. ». Dans les régions, le virage à droite de la maison d’édition met les libraires dans l’embarras, certains envisageant son boycott, rapporte La Nouvelle République du Centre-ouest.
Droitisation d’« en bas », droitisation d’« en haut »
Pour qui s’est hasardé sur Cnews un soir d’élection européenne ne sera pas surpris. L’expérience a été faite par Vincent Grimaud dans Alternatives économiques : « Leaders d’extrême droite et éditorialistes conservateurs s’y félicitaient des scores historiques obtenus par le Rassemblement national (Rn), convaincus d’être majoritaires. » Comment comprendre cette extrême-droitisation de la France ? Dans un entretien, le sociologue Vincent Tiberj, auteur de La Droitisation française, mythe et réalités (Puf, 2024), ce virage ne viendrait pas d’« en bas », où il observe des citoyens plus « ouverts culturellement », mais d’« en haut », c’est-à-dire d’une grande partie des médias et des intellectuels de droite. Il explique : « Ils se sont mobilisés ces quarante dernières années pour cadrer leurs thèmes, c’est-à-dire les imposer dans l’agenda médiatique et politique, et faire en sorte qu’ils soient traités sous l’angle qui les arrange. Ce peut être de façon assez classique, en tentant d’imposer les questions identitaires à la place des inégalités économiques ».
En parallèle, l’ascension de Rodolphe Saadé
La faute aux élites ou au capital ? Alors que Libération dresse la liste des mesures libérales adoptées par le parti lepéniste comme autant de cadeaux aux plus riches (rejet de la taxe Zucman sur le patrimoine des milliardaires par exemple), c’est la question que semble poser La Revue dessinée. Dans « Cap sur les médias », Aurore Gorius fait la chronique minutieuse de l’ascension de Rodolphe Saadé, depuis peu propriétaire de Bfm Tv et de Rmc, après avoir déjà pris le contrôle de La Tribune, de Corse-Matin et de La Provence.
« L’histoire a comme un goût de déjà vu », commente-t-elle, faisant référence au parcours de Vincent Bolloré. À la tête de la compagnie maritime Cma-Cgm, la famille Saadé est d’abord un empire industriel qui tire sa force de son ancrage marseillais. Avide d’acquisitions, elle a su habilement tirer parti de la crise du Covid-19 pour engranger des superprofits, aujourd’hui bien utiles pour développer sa galaxie. Rodolphe Saadé sera-t-il hyperinterventionniste ou soucieux de pluralisme et de liberté d’informer ? À La Provence, dont le directeur de la rédaction a un temps été mis à pied pour une Une qui a déplu, une partie de la réponse a déjà été donnée.
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