La semaine de quatre jours ? Sans réduction du temps de travail dans 90 % des cas

Intensification et allongement des journées travaillées sont le lot des salariés qui voient leur semaine passer à quatre jours. La sociologue Pauline Grimaud en esquisse une typologie. Entretien.

Édition 055 de [Sommaire]

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Chaque année, environ 17000 accords concernent le temps de travail.©PHOTOPQR/NICE MATIN/Philippe Arnassan.

– Options  : Pourquoi et comment avez-vous étudié la mise en place de la semaine de quatre jours  ?

– Pauline Grimaud  : La plupart des prises de position récentes en faveur de la semaine de quatre jours émanent d’acteurs politiques, comme Gabriel Attal, ou de dirigeants d’entreprises comme Laurent de la Clergerie, fondateur du groupe informatique Ldlc. C’est a priori surprenant, car la question du temps de travail est d’ordinaire portée par les organisations syndicales.

La presse, elle, mobilise souvent les mêmes exemples, dans lesquels la semaine de quatre jours s’accompagne d’une réduction du temps de travail. Mais comment les entreprises l’adoptent-elles réellement  ? Même s’il n’y a pas eu de loi dédiée, le Code du travail n’interdit pas d’organiser le travail sur quatre jours, et un certain nombre d’entreprise le font par le biais d’un accord.

Chaque année, sur un total de 80 000 accords signés, environ 17 000 concernent le temps de travail. En 2023, 459 mentionnaient la semaine de quatre jours, soit cinq fois plus qu’en 2021. Sur 300 accords choisis aléatoirement, 250 se sont avérés exploitables. Parmi eux, 150 adoptaient (au moins partiellement) la semaine de quatre jours. Les autres se contentaient de l’évoquer, par exemple dans le cadre des négociations annuelles obligatoires, le plus souvent à l’initiative des représentants du personnel.

– L’Ugict-Cgt revendique la semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail et sans intensification. Est-ce le cas dans les entreprises qui travaillent désormais en quatre jours  ?

– Non. Dans neuf cas étudiés sur dix, le passage à la semaine de quatre jours s’est fait sans réduction du temps de travail. Une partie des entreprises qui le font restent à trente-neuf heures hebdomadaires. Le temps de travail effectif quotidien devient alors de neuf heures et quarante-cinq minutes. Si l’on compte les pauses, on atteint facilement une amplitude journalière de dix à onze heures.

Parmi les 10  % d’accords qui instaurent une réduction du temps de travail, celui-ci reste, dans la moitié des cas, supérieur à trente-cinq heures. Par exemple, on passe de trente-neuf heures hebdomadaires à trente-sept. Dans cette configuration-là, la semaine de quatre jours est souvent accordée en échange d’une suppression d’une partie des Rtt. À l’échelle de l’année, la réduction du temps de travail est donc soit nulle, soit faible.

On observe une réduction réelle du temps de travail dans seulement 5  % des cas, à la fois au niveau hebdomadaire et au niveau annuel. L’exemple, souvent mis en avant dans les médias, d’une semaine de trente-deux heures en quatre jours, est en fait très minoritaire. La semaine de quatre jours comme nouvelle mouture du temps partiel, impliquant une réduction de la rémunération, reste quant à elle extrêmement marginale.

– Quels «  types  » de semaine de quatre jours peut-on observer dans ces accords  ?  

– On retrouve tout d’abord le type auquel on pense en premier  : la «  semaine de quatre jours sur cinq  ». Elle concerne les salariés qui travaillaient jusque-là du lundi au vendredi de manière fixe, et se voient proposer une journée libérée. C’est le cas le plus fréquent pour les cadres.

Il y a ensuite le type «  semaine de quatre jours modulée  ». Dans ce deuxième cas de figure, la semaine de quatre jours est effective seulement dans les périodes de basse activité. Dans l’industrie ou les activités saisonnières, c’est une manière d’ajuster le temps de travail aux besoins des entreprises. À l’inverse, dans les périodes de haute activité, les semaines peuvent atteindre quarante-deux heures sur cinq voire six jours. Cette semaine de quatre jours-là est le nouveau nom de l’annualisation du temps de travail. Elle permet aux entreprises de ne plus payer les heures supplémentaires. En effet, comme la rémunération est lissée sur l’année, un salarié qui fait quarante-deux heures ne touchera pas de majoration, au motif qu’il aura moins travaillé quand il y avait peu d’activité.

Il existe enfin le type «  semaine de quatre jours sur sept  » dans des secteurs où les plages horaires sont très étendues comme la santé, le commerce, l’édition ou les centres d’appel. Dans ce troisième cas de figure, la semaine de quatre jours permet de faire accepter des contraintes horaires très élevées. Elle est proposée aux salariés en échange de contreparties  : pas de jour de repos hebdomadaire fixe par exemple, ou bien deux week-ends travaillés dans le mois.

– Les salariés au forfait-jours sont-ils concernés  ?

– Ils n’en sont pas exclus par principe. Quand ils sont concernés, le mode de calcul est différent de celui du forfait en heures. Pour eux, le nombre de jours non travaillés annuellement est augmenté pour atteindre l’équivalent d’un jour par semaine.

Par contre, il faut noter que la semaine de quatre jours arrive dans un contexte où les directions d’entreprises veulent réduire le nombre de jours télétravaillés. Depuis le Covid, un décalage s’est opéré entre les métiers «  télétravaillables  » et les autres. Les directions d’entreprises envisagent alors la semaine de quatre jours soit comme une manière d’uniformiser les situations, soit comme un dispositif permettant de diminuer (voire de supprimer) le nombre de jours télétravaillés pour les salariés concernés. Quelques entreprises instaurent aussi l’organisation suivante  : les métiers d’exécution (non télétravaillables) travaillent du lundi au jeudi, tandis que les cadres sont en télétravail le vendredi.

– Les accords prévoient-ils une réorganisation du travail  ?

– Aucun accord ne propose de réduire la charge de travail. Il s’agit de faire autant en moins de jours. Un certain nombre d’accords précisent que l’objectif de la semaine de quatre jours est de permettre des gains de productivité pour l’entreprise. Même parmi les rares accords qui introduisent une réduction du temps de travail, il est mentionné explicitement que «  la charge de travail restera la même  ».

Concrètement, cela signifie un allongement des horaires, quand la durée de travail hebdomadaire reste identique, ou une intensification quand la durée est réduite. En préambule de ces accords, le registre majeur de justification est celui du «  bien-être des salariés  ». Il est question de santé, d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. La nature de l’activité, elle, est très peu explicitée. Les accords considèrent que la semaine de quatre jours est forcément bénéfique pour les salariés, qu’elle concilie comme par magie leur bien-être et la rentabilité de l’entreprise. Mais en contrepartie il est demandé aux salariés d’allonger leur journée ou de l’intensifier.

Il y a en fait un décalage entre les motifs invoqués et la réalité des accords. De manière significative, la question de l’emploi est inexistante, contrairement à la période de mise en place des trente-cinq heures. Dans les années 1990, notamment avec la loi de Robien en 1996, la semaine de quatre jours était pensée comme une manière de partager le travail dans un contexte de chômage élevé. Là, le paradigme est différent. On cherche à réorganiser le travail dans le but de faire des gains de productivité avec une charge identique ou supérieure. Il n’est donc pas question d’embaucher.

– Quel bilan provisoire faites-vous de la mise en place de la semaine de quatre jours  ?

– Dans les entreprises où la semaine de quatre jours a été adoptée par référendum, souvent à la suite d’une expérimentation, 85  % à 90  % des salariés se sont prononcés en sa faveur. Ils peuvent être satisfaits d’avoir moins de pauses ou de réunions, et un jour libre supplémentaire dans la semaine  ; cependant, en termes de conditions de travail, on ne peut pas dire que c’est un progrès. On condense un temps de travail dégradé sans songer à améliorer son contenu ni son rythme. On peut estimer que c’est un gain pour le salarié d’échapper à ce travail un jour de plus, mais l’intensifier, c’est l’inverse d’une amélioration.

Propos recueillis par Lucie Tourette