La naissance et la croissance des grands magasins

Au musée des Arts décoratifs, 700 œuvres et objets divers récapitulent la fondation et la prospérité de ces temples de la consommation qu’Émile Zola fit entrer dans la littérature en 1883 avec Au bonheur des dames.

Édition 055 de début septembre 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 2 minutes

Anonyme (France) Cheval tricycle, 1880-1900, fer, bois et cuir. Crédit: Les Arts Décoratifs/Christophe Dellière.

En 1870, le Second Empire est défait à Sedan par les armées allemandes. La IIIe République est alors proclamée, et débute par l’écrasement dans le sang de la Commune de Paris, sous la conduite d’Adolphe Thiers. Voilà pour l’Histoire avec grande H.

Les grands magasins étaient déjà, pour la plupart, sortis de terre. Au Bon Marché, c’était en 1852. Dans le square de Sèvres-Babylone, non loin de la célèbre enseigne, trône toujours la statue de Marguerite Boucicaut, dame d’œuvres qui fut l’épouse du fondateur, Aristide Boucicaut, dont Zola, dans son roman, s’inspira pour le personnage d’Octave Mouret. Les Grands Magasins du Louvre ont, eux, été fondés en 1855 et le Bazar de l’Hôtel de Ville un an plus tard. Au Printemps date de 1865 et La Samaritaine de 1870. Les galeries Lafayette n’ouvriront qu’en 1894.

La mode, le design, les jouets et la publicité

L’exposition «  La naissance des grands magasins  » retrace scrupuleusement, de 1852 à 1925, à travers la mode, le design, les jouets et la publicité, les péripéties et les transformations radicales de la société parisienne sous les effets d’un capitalisme offensif. Sous l’impulsion du baron Haussmann (1809-1891), préfet de Paris, les anciennes rues étroites cèdent la place à de larges artères bordées d’immeubles imposants. Le développement des chemins de fer favorise les déplacements d’une bourgeoisie avide de bouger et de paraître. Les affiches touristiques lui vantent de nouvelles destinations de villégiature.

Il devient impératif de «  faire les magasins »

C’est dans ce contexte qu’il devient impératif de «  faire les magasins  » (on ne dit pas encore shopping), tout comme il faut aller au théâtre, au bal ou au concert. Le poète Charles Baudelaire, bien que contempteur de l’idéologie du «  progrès  », note déjà, dans son Salon de 1846, «  l’héroïsme de la vie moderne  » et les vertus de l’éphémère, dans lequel il voit une composante essentielle de la beauté.

L’exposition universelle de Paris, en 1855, le confortera dans son goût pour la variété de la vie moderne, porteuse d’une nouvelle conception du beau et du bizarre. C’est ce qu’on ressent au fil de la visite, où se récrée un monde qui apparaît comme la version première du nôtre, où les grands magasins cités plus haut sont – à l’exception du Louvre – toujours là.

Les innovations d’Aristide Boucicaut

Il y a quelque chose de grisant dans la profusion et l’extrême diversité de ces objets manufacturés, d’une grande qualité dans la finition, qu’il s’agisse de vêtements, de coiffures, de meubles ou de bijoux.

Aristide Boucicaut a littéralement inventé le commerce moderne à grande échelle, grâce à des innovation majeures comme la démocratisation de la mode, l’instauration des soldes, des expositions de saison, le ciblage des enfants, et jusqu’à la vente par correspondance sur catalogue. Plus tard naîtra la publicité comparative, et les répliques qu’elle entraîne. Exemple  : «  Les yeux fermés, j’achète tout aux Galeries Lafayette.  » À quoi le concurrentréplique  : «  Quand je les ouvre, j’achète au Louvre.  »

Antoine Sarrazin