Chronique juridique -  L’absence de programme «  social  » de l’extrême droite

Les résultats des élections législatives anticipées auront des conséquences pour l’ensemble des salariés. Alors qu’un parti d’extrême droite risque d’arriver au pouvoir, ce qui n’était pas arrivé en France depuis la Seconde Guerre mondiale avec le régime Pétain, quelques précisions juridiques sont nécessaires.

Édition 053 de [Sommaire]

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Le Rn a demandé au conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 16 août 2023 du ministre de l’Intérieur et des outre-mer relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections politiques, signée par Gérald Darmanin, en tant qu’elle classe les nuances «  Rn  » et «  Lrn  » dans le bloc de clivage «  extrême droite  » (avec la couleur brune), et d’enjoindre le ministre de modifier la grille de nuances figurant aux annexes 1 et 2 de la circulaire du 16 août 2023 afin d’exclure les candidatures du Rassemblement national du bloc de clivage «  extrême droite  ».

Qui est «  extrême  »  ?

Le Rn ne veut pas être classé dans le bloc « extrême droite » lors de la publication des résultats des élections. Cependant, selon le Rapporteur public au conseil d’État, « il existe de raisons objectives de maintenir le Rassemblement national dans ce bloc, tenant notamment à la constance de ses prises de positions, y compris de la part des candidats aux sénatoriales, notamment sur l’immigration et la préférence nationale, et aux liens idéologiques et aux relations qui l’unissent avec des mouvements d’extrême droite dans d’autres pays européens et au Parlement européen ».

Pour le juge administratif, le Rassemblement national est bien à rattacher au bloc de clivages «  extrême droite  », au regard du droit applicable (Constitution, notamment ses articles 3 et 4, Décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus », etc.).

Le Conseil d’État a donc rejeté la demande du Rn (Conseil d’État, Rassemblement national, 11 mars 2024, n° 488378).

Le conseil d’État, saisi en référé, avait déjà rejeté une demande comparable du Rn (arrêt du 21 septembre 2023, N° 488379).

En revanche, pour le juge administratif, le Parti communiste français et La France insoumise se rattachent au bloc de clivages «  Gauche  » (Conseil d’État, 11 mars 2024, n° 488378, précité). Ainsi, ces organisations ne peuvent être qualifiées d’« extrême gauche  ».

Quel programme ?

Le Rn n’a pas de véritable programme. Il annonce dans la confusion des mesures imprécises puis se rétracte, les modifie, etc. Dans son projet «  pro-business  » et xénophobe, les mesures en faveur du travail sont rarissimes.

Augmentation des salaires ? Aucune proposition pertinente pour l’augmentation des salaires. Aucune proposition sur l’augmentation du Smic (Mme Le Pen a affirmé à plusieurs reprises y être opposée). Une seule proposition très particulière  : «  Permettre aux entreprises une hausse des salaires de 10  % (jusqu’à 3 smic) en exonérant cette augmentation de cotisations patronales.  » Dans les entreprises, des augmentations de salaire de 10 % sont tout à fait exceptionnelles. L’impact de cette mesure serait très limité.

Cette mesure :

  • en sapant les cotisations des salariés, donc la solidarité interne au monde du travail, serait défavorable à la Sécurité sociale ;
  • dépendrait, pour ces hausses de salaire, du bon vouloir des entreprises, la nécessité pour certains de préserver le profit s’opposant au rééquilibrage de la répartition de la création de valeur.

Meilleure santé au travail ? Aucune proposition. Exemple : pas de rétablissement des Chsct dans les entreprises. Exemple : pas de prise en charge de la réparation de pathologies d’origine professionnelle par la Sécurité sociale (épuisement professionnel/burn-out, etc.).

Suppression des lois de régression sociale ? (Loi Fillon, 2003-2004 ; loi Sapin 2013 ; loi Rebsamen 2015 ; loi Valls-El Khomri 2016 ; ordonnances Macron 2017 ; etc.). Aucune proposition. Exemple : pas de suppression du «  plafond Macron  » limitant l’indemnisation en cas de licenciement injustifié. Autre exemple  : pas de rétablissement du «  principe de faveur  ». Un accord d’entreprise pourra encore être moins favorable que l’accord de branche, sauf rares exceptions ; un accord d’entreprise pourra encore sur le Code du travail dans un certain nombre de cas.

Retraite à 60 ans ? Aucune proposition, sauf «  pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans et qui ont cotisé 40 annuités  ».M. Bardella a affirmé récemment que revenir sur la réforme – recul de l’âge légal du départ à la retraite à 64 ans – ne serait pas prioritaire s’il accédait au pouvoir.

En revanche, l’extrême-droite a un programme liberticide

L’objectif du Rn est de réduire drastiquement les libertés démocratiques.

Avec le Rn majoritaire à l’Assemblée nationale et formant un gouvernement, les libertés syndicales, les droits de représentation du personnel, le droit de grève seraient fortement réduits. Des lois seraient votées en ce sens.

Il en serait de même concernant la liberté d’expression, la liberté de communication et notamment la liberté de la presse. L’audiovisuel public pourrait alors être privatisé et racheté par des groupes capitalistes favorables aux idées d’extrême droite. 

Des nominations de fonctionnaires favorables aux idées d’extrême droite seraient possibles au ministère du Travail (auteur des décisions sur le licenciement des représentants des travailleurs, sur l’extension ou non des accords collectifs, etc.), au ministère de l’Intérieur (nomination des préfets, autorité sur les force de police, etc.), au ministère de la Justice, etc.

Tous les contre-pouvoirs existants dans une démocratie (justice, médias, syndicats, associations, etc.) seraient menacés pour être muselés avant l’élection présidentielle prévue en 2027.

L’extrême droite peut arriver au pouvoir par les urnes ; ensuite, elle peut refuser de rendre le pouvoir aux citoyennes et aux citoyens.