Rencontres d’Options -
Rencontres d’Options 1/3 – À travers le monde du travail, le fil rouge des violences sexistes et sexuelles
Selon qu’on est étudiante ou salariée, les Vss prennent des formes différentes, mais ont un même but : contrôler les femmes. Le 16 mai à Paris, la 1re table ronde des Rencontres d’Options a voulu les cerner, en particulier dans les secteurs scientifiques.
Les violences sexistes et sexuelles (Vss) ne commencent pas à la signature du premier contrat de travail. Une étudiante sur dix a été victime de Vss. « L’université est un milieu particulièrement sexiste où se jouent d’importants rapports de domination », observe Maëva Ballon, du collectif Jeunes diplômés de l’Ugict-Cgt. Beaucoup de filières restent genrées. Il y a moins de femmes en physique-chimie ou dans les écoles d’ingénieurs et, pour celles qui s’y orientent malgré tout, « les pratiques d’enseignement sont inégalitaires : on entend encore dire que les filles sont moins bonnes en maths ou qu’elles n’ont pas de vision dans l’espace. Ces affirmations ont forcément un impact sur leur insertion professionnelle », continue Maëva Ballon. Ponctuée de soirées festives, voyages scolaires ou week-ends d’intégration où sont nombreuses les « injonctions à se dévêtir et à boire », la vie étudiante est « profondément sexiste ».
« Toutes les filières sont concernées », confirme Margot Civeit, membre de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche, une association qui enquête pour établir un état des lieux de ces violences. Universités, grandes écoles, public ou privé, « entre l’enquête qu’on a réalisée en 2020 et celle de 2023, on a constaté peu d’évolution », déplore-t-elle. Bref… Tous ces facteurs combinés font que, même si « les étudiantes réussissent mieux, leurs conditions d’insertion dans le monde professionnel sont moins bonnes », observe Maëva Ballon. Un plan ministériel de 2021 a certes permis des avancées, mais « elles restent insuffisantes ».
41 % des sondé·es ont été témoins de propos ou de comportements sexistes
Quels que soient les milieux professionnels, les expressions du sexisme sont « plurielles » décrit Pierre Lamblin, directeur des études à l’Apec. Environ 41 % des sondé·es déclarent avoir été témoins de propos ou de comportements sexistes au moins de temps en temps dans le cadre de leur entreprise, affirme une étude réalisée par l’Apec en 2022. Ce sexisme peut prendre la forme de moqueries sur le look, l’apparence, la façon de parler, l’origine, la religion, la couleur de peau, le handicap…
Maëva Ballon souligne également le fait que les frontières entre études supérieures et milieu professionnel sont poreuses. En effet, « une étudiante sur deux travaille, pour financer ses études, parce qu’elle fait un stage dans le cadre de son cursus ou parce qu’elle est en service civique ». Par ailleurs, certaines doctorantes sont à la fois étudiantes et déjà salariées comme chercheuses. De même, parmi les personnes qui ont subi des Vss dans le cadre de l’hôpital, se trouvaient de nombreuses étudiantes.
Le télétravail peut aggraver la situation
Ces situations peuvent être propices à des situations de violences, surtout si les étudiantes et étudiants connaissent mal le rôle d’un Drh, ou celui des instances représentatives du personnel. Les cadres peuvent agir sur ce type de situation : « Ils peuvent se former, faire respecter les droits. Ils peuvent aussi éviter de demander à leur stagiaire de faire le café, et créer de bonnes conditions de travail », explique Maëva Ballon.
Si les frontières entre études et travail ne sont pas étanches, c’est aussi le cas entre vie professionnelle et vie privée. Séverine Lemière, spécialiste de l’impact des violences conjugales et intrafamiliales sur l’emploi des femmes, alerte sur les facteurs qui peuvent permettre à des encadrants de déceler le fait qu’une salariée est victime de violences conjugales : baisse de productivité, absences, retards. Le télétravail peut aggraver la situation en augmentant l’emprise de l’agresseur si la victime, au lieu de quitter son domicile trois jours par semaine, se retrouve contrainte de rester chez elle.
De multiples violences, un même but : contrôler les femmes
Pour faire le lien entre études et travail, Séverine Lemière, maîtresse de conférences à l’Iut de Paris-Rives de Seine, insiste sur la notion de « continuum » : « Il existe une multiplicité d’expérience de violences dans le travail, à l’université, dans la rue, dans les milieux militants. Elles ont cependant un point commun : ces violences sont structurelles car elles ont pour objet le contrôle des femmes. Elles visent à exclure ou à restreindre la présence, la vie des femmes, à les contraindre à certains comportements. » Face à ces violences systémiques, « il faut nous aussi faire système, entre la recherche, le monde militant et syndical ».
Lenaïg Bredoux, codirectrice éditoriale de Mediapart, observe que si les révélations de Vss dans des milieux professionnels aussi différents que le cinéma ou la santé n’arrêtent pas depuis sept ans, c’est justement « parce qu’on a minimisé le caractère structurel de ces violences ». En effet, « qui témoigne ? Il ne s’agit pas de femmes qui ont croisé un agresseur une fois par hasard. Elles ont travaillé avec lui. Dans le cinéma, on entend beaucoup la parole des actrices, mais il y a aussi beaucoup de témoignages de techniciennes ». Quand un agresseur est dénoncé, on entend souvent dire qu’il s’agit d’« un fou », d’une exception. De telles affirmations nient le caractère systémique de ces violences et viennent minimiser le fait qu’elles se produisent dans la banalité du quotidien.
Fresques sexistes en salle de garde
Pour Lenaïg Bredoux, il importe au contraire d’insister sur « la responsabilité des institutions, qui contribuent à ce que les conditions de pouvoir et de domination sexistes perdurent. Il ne s’agit pas juste de personnes qui commettent des bêtises, mais du fait qu’elles sont autorisées à les commettre ». Dans le cas des violences récemment révélées dans le milieu hospitalier, les fresques sexistes peintes sur les murs des salles de garde sont officiellement interdites. Pourtant elles existent encore dans de nombreux hôpitaux. « Si on appliquait le droit, les choses seraient différentes. »
Des groupes tels que le Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (Clasches) ont réalisé un travail de fond à l’université, mais « le manque de moyens humains et financiers » freine de nouvelles avancées, dénonce Margot Civeit. Elle liste ainsi différents obstacles : seul le privé a une obligation de lutte contre les Vss ; les procédures disciplinaires, créées pour les cas de triche, ne sont pas adaptées ; en cas de procédure disciplinaire, la plaignante n’a pas accès au dossier et il lui est impossible de faire un recours, tandis que l’agresseur a accès au dossier et peut déposer une demande de recours. S’ils et elles veulent signaler des Vss, les stagiaires, alternants et alternantes ne doivent pas suivre les mêmes protocoles. Les stagiaires doivent se tourner vers l’établissement dans lequel ils étudient, tandis que les alternants et alternantes peuvent s’adresser soit à l’entreprise, soit à leur établissement, qui se renvoient souvent la balle.
Pour conclure, Séverine Lemière, qui est également présidente de l’association Fit Une femme un toit, qui aide de jeunes victimes de violences, insiste sur la nécessaire formation des accompagnants. « On demande à des personnes de plus en plus nombreuses d’accompagner. Mais on ne devient pas écoutante du jour au lendemain. Cette écoute est difficile et nécessite de la formation. Il y a des risques psycho-sociaux spécifiques. Le minimiser, c’est nier les compétences des personnes qui font ces métiers. »
Les Rencontres d’Options — Violences sexistes et sexuelles : la face cachée du travail
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