Quatre-vingts ans de « Présences arabes » au Musée d’art moderne de Paris

Grâce à plus de 200 œuvres, pour la plupart jamais montrées en France, on découvre la relation entretenue avec la capitale française par des artistes venus de Moyen-Orient et du Maghreb, de 1908 à 1988.

Édition 052 de mi-juin 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Abdelaziz Gorgi, Prière au soleil (1940), gouache sur papier, 50 × 65 cm. Collection particulière, France. Abdelaziz Gorgi Estate.

On peut sans conteste parler de révélation au vu de chacune des œuvres exposées, au Musée d’art moderne de Paris, sous l’intitulé «  Présences arabes, art moderne et décolonisation, Paris 1908-1988  ». Les organisateurs de cette manifestation parlent d’une «  réhabilitation historique  », ainsi que d’une «  réconciliation de la France avec l’histoire de l’art (post)coloniale, soit sa propre histoire.  »

Il s’agit de mettre en lumière le rôle de Paris dans le développement de l’art moderne arabe. En effet, tous les artistes montrés (ils sont plus de cent-trente  !) ont au moins exposé, étudié, vécu ou milité à Paris, pour une courte durée ou de manière prolongée. On peut ainsi retrouver de grands noms et en découvrir d’autres marginalisés, par choix ou par contrainte.

La popularité New Age de Gibran Khalil Gibran

La visite s’ouvre avec la venue dans la capitale française, en 1908, du libanais Gibran Khalil Gibran (1883-1931). En 1923, il publia Le Prophète, recueil d’aphorismes poétiques et philosophiques qui lui valut, dans les années 1960, d’être très populaire aux États-Unis au sein du mouvement contre-culturel du New Age. Il était aussi peintre et sculpteur. Le parcours s’achève sur la fin des années 1980, autour du thème de l’immigration arabe en France.

Goulder Triki, Ô Jérusalem (1974), Acrylique sur gravure, 64 × 49 cm. Collection de l’artiste. Goulder Triki/Courtesy Galerie Elmarsa).

L’exposition révèle de la sorte un Paris à la fois colonial et anticolonial, «  refuge solidaire et point de contact stratégique, plateforme d’accueil et d’exclusion  », ainsi qu’il est dit en préambule. Est alors retracée «  une histoire partagée entre la France et les pays arabes, une histoire fondamentalement cosmopolite, souvent laissée en sommeil dans les réserves des musées français  ». 

Le parcours, chronologique et transnational, réunit l’Afrique du Nord et «  l’Asie de l’Ouest  » – cette appellation devant désormais remplacer, paraît-il, le terme «  Moyen-Orient  ». On traverse la période impliquée par le truchement des écoles artistiques, des événements marquants, des revues politiques ou poétiques et des manifestes anticoloniaux.

Renaissance culturelle arabe, de 1908 à 1937

C’est en quatre chapitres que s’organise une pertinente démonstration. Le premier s’articule autour de la Nahda (renaissance culturelle arabe) qui, de 1908 à 1937, a contesté l’influence occidentale. Cela a notamment lieu en Égypte, au Liban, en Algérie, sous l’influence des écoles d’art et de la presse. À Paris, les grandes expositions dites universelles – la plus importante étant celle de 1931 – incluent des artistes des pays colonisés.

De 1937 à 1956, suite aux premières indépendances (Liban, Syrie, Égypte, Irak), des artistes tournent le dos à l’orientalisme importé, pour retrouver une inspiration locale ou se connecter aux avant-gardes européennes. À Paris, où règne l’abstraction, on accueille des artistes arabes.

De 1967 à 1988, c’est l’irruption de la cause palestinienne au milieu des luttes anti-impérialistes internationales, avec au premier plan la guerre du Vietnam. La grande artiste et poétesse libanaise Etel Adnan (1925-2021) publie à Paris, en 1980, un magnifique manifeste poétique et politique illustré par ses soins, L’Apocalypse arabe. L’exposition s’arrête sur le sujet de l’immigration arabe en France, traité par les musées parisiens dans les années 1980.