Rémunération au mérite, remise en cause des catégories… dans la fonction publique, une réforme qui ne doit pas passer

Au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, la CGT demande au gouvernement de renoncer, dès à présent, à un projet soumis à la concertation depuis avril. Mobilisation le 20 juin.

Édition 052 de mi-juin 2024 [Sommaire]

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«  Nous ne sommes pas demandeurs d’une réforme de la fonction publique  », assène Sylviane Brousse, secrétaire de la fédération Cgt des Services publics, alors que le ministre chargé de la Fonction publique, Stanislas Guérini, a lancé, début avril, un cycle de «  concertation  » autour d’un projet de loi «  pour l’efficacité de la fonction publique  ». À l’occasion d’une première réunion multilatérale, le 9 avril, les syndicats ont fait une déclaration (celle de la Cgt est consultable en ligne), assisté à une présentation en diaporama et appris que le gouvernement se donnait jusqu’au 20 juin – à peine trois mois – pour boucler l’affaire. «  Des intentions, rien de concret. De la “concertation”, aucune négociation  », affirme Sylviane Brousse.

Alors que la loi de transformation de la fonction publique, dite loi Dussopt, est entrée en vigueur en 2019, Emmanuel Macron avait annoncé la couleur dès la campagne électorale de 2022  : «  rebattre les cartes de l’organisation de la rémunération  » dans la fonction publique, jugeant trop rigide le système des trois catégories A, B et C (1) et promouvant la rémunération au mérite – des propositions supposées rendre attractive la fonction publique. Il y a deux ans, le président-candidat promettait une réforme «  concertée et négociée  ». Désormais son ministre préfère une courte concertation de trois mois et des annonces médiatiques. Annonces qui ne manquent pas d’irriter les organisations syndicales, surtout quand, quelques heures après la première convocation au ministère, lors d’interviews accordées au Parisien et à France Inter, Stanislas Guérini promeut le licenciement ou qualifie la fonction publique de «  système qui est parfois bloqué dans les années 1980  ».

La pénurie de candidats va crescendo

Les difficultés de recrutement sont connues. En 2022, 15  % des postes offerts aux recrutements externes de la fonction publique de l’État n’ont pas été pourvus, contre 7  % en 2021. La réponse de la Cgt, c’est la nécessité de rendre les salaires plus attractifs, avec la revalorisation du point d’indice, l’indexation sur le coût de la vie et la mise en œuvre de l’égalité femmes-hommes. Le gouvernement, lui se préoccupe essentiellement de faciliter les licenciements, de rémunérer «  au mérite  » et de remettre en cause les catégories.

«  En vérité, ce projet de réforme ne date pas d’Emmanuel Macron ni de Stanislas Guérini, commente Jésus de Carlos, co-secrétaire général de l’Ufict-Cgt des services publics, mais de Nicolas Sarkozy et aussi un peu de François Hollande. Le statut de la fonction publique, c’est justement ce qui permet l’égalité de traitement des usagers. Si on n’a plus de catégories, le risque, c’est le clientélisme. Un maire pourra nommer un technicien, donc un agent de catégorie B, sur une mission d’ingénieur, qui correspond à une catégorie A.  »

Baisse du pouvoir d’achat et déclassement social

En effet, dans le secteur public, les personnes sont «  propriétaires  » de leur grade, et leur rémunération en dépend. Au contraire, dans le secteur privé, c’est l’employeur qui décide de la rémunération en fonction de l’emploi. Autre différence entre les deux systèmes  : la transparence des rémunérations des agents, puisque les grilles indiciaires sont publiques, n’a rien à avoir avec l’opacité des salaires dans le privé. Quant aux primes à la performance, Jésus de Carlos rappelle que «  la fonction publique n’a pas la même finalité que l’entreprise  », et qu’il est délétère de verser des primes à des fonctionnaires de police en fonction du nombre d’amendes émises ou à des assistants sociaux qui réduiraient la durée des entretiens pour recevoir davantage d’usagers.

«  Les fonctionnaires ont le sentiment d’un déclassement social, en raison de la baisse de leur pouvoir d’achat et de conditions de travail souvent dégradées, ce qui entraîne une perte d’attractivité de leurs emplois  », appuie Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique en 1981-1983, sur son blog et en préface du Rapport sur l’état des services publics publié en 2023 par le collectif Nos services publics. C’est aux lois qui portent son nom qu’on doit la structuration de la fonction publique en trois «  versants  » selon que les agents travaillent pour l’État, pour l’hôpital ou pour les collectivités territoriales. «  Depuis 2010, il n’y a pas de revalorisation salariale, fustige Jésus de Carlos. Autrefois, un attaché (catégorie A) diplômé à bac + 3 touchait 125  % du salaire minimum, maintenant, c’est seulement 75  %  !  »

Refus d’une remise en cause des garanties statutaires

L’intersyndicale a écrit au ministre, quelques jours avant la seconde réunion multilatérale – boycottée par la Cgt –, qu’aucune organisation n’accepterait la «  remise en cause des garanties statutaires qui permettent la reconnaissance des qualifications et le droit à la carrière  : catégories, grade, échelon. Ce projet législatif, pour ce que nous en connaissons, ne répond pas aux besoins de la fonction publique, de ses personnels, et emprunte des directions, qui, au contraire, sont porteuses de recul  ». Le décalage entre les déclarations publiques du ministre et son affabilité avec les syndicats inquiète au plus haut point sur la sincérité de cette «  concertation  ».

Dans son courrier daté du 16 mai, Stanislas Guérini répond qu’il n’esquive  «  nullement la question essentielle du niveau et de la progression des rémunérations, ou bien encore celle des conditions de travail  ». Mais il répète sa conviction que les catégories A, B et C sont des «  freins  » aux déroulés de carrière, à la promotion sociale et à la valorisation de l’expérience professionnelle. Aux catégories, il préfère sans ambages «  l’approche par filières professionnelles  ». Côté calendrier, il laisse entrevoir un desserrement en écrivant que la date du «  20 juin n’est pas un butoir  » mais «  un nouveau point d’étape  » et promet des rencontres «  d’ici l’été  », dans une logique de «  négociations salariales annuelles  ». La publication du projet de loi, elle, serait repoussée à l’automne.

Pour l’abandon de la réforme

«  Les syndicats aimeraient pouvoir décrypter les enjeux, mais avec un diaporama et sans texte de loi, c’est compliqué, explique Sylviane Brousse. Quand on rencontre la Direction générale de la fonction publique (Dgfp), elle ne peut pas répondre à nos questions.  »

Également préoccupée par le projet de loi de finances (Plf) et par le projet de loi de finances de la sécurité sociale (Plfss) pour 2025, qui seront publiés au début de l’automne, la Cgt a de nouveau pris la plume, le 3 juin, pour demander à Stanislas Guérini «  l’abandon  » de sa réforme «  ou d’en rediscuter les finalités et les fondements en disposant du temps nécessaire  ». Elle a aussi annoncé «  l’élévation du rapport de forces  » avec une mobilisation le 20 juin.

Au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, nul ne sait s’il faut encore parier sur le calendrier annoncé. Mais pour la Cgt, le gouvernement doit, dès à présent, renoncer à la mise en œuvre des réformes en cours, dont celle de la fonction publique.

Stéphanie Stoll

  1. Chaque catégorie correspond à un niveau de qualification et de mission  : C pour les missions d’exécution et les diplômes en dessous du bac  ; B pour les missions d’application et les diplômes bac à bac + 2  ; A pour les missions de conception et d’aide à la décision, et les diplômes bac + 3 à bac + 8.