Entretien -  Cadres seniors  : travailler moins, transmettre plus

Qu’ils soient satisfaits de leur poste ou en souffrance, les cadres seniors aspirent à une fin de carrière différenciée, tenant compte des acquis de leur expérience comme des éventuelles fragilités liées à l’âge. C’est ce que met en lumière une enquête de l’Agence pour l’emploi des cadres (Apec).

Édition 051 de fin mai 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 4 minutes

Interrogés par l’Apec (1) quelques mois après la promulgation de la réforme des retraites imposant de travailler deux ans de plus, deux tiers des cadres seniors disent aborder la dernière partie de leur carrière professionnelle avec sérénité (35  %) et motivation (34  %). Le tiers restant, soit une grosse minorité, fait état, pour sa part, d’un désengagement (15  %) voire d’une anxiété (16  %) dans un contexte économique ressenti comme dégradé.

L’aspiration à une charge de travail allégée

Ces deux réalités, que tout oppose a priori, se rejoignent lorsque le projecteur est mis sur les aspirations de fin de carrière. Toutes perceptions confondues, leurs réponses font apparaître des attentes fortes, spécifiques à cette étape particulière de leur parcours professionnel.

Qu’elle soit consécutive à des responsabilités pleinement assumées dans l’entreprise ou, au contraire, cause du désinvestissement, la charge de travail est souvent évoquée comme devant être allégée pour prolonger le maintien en poste.

Consacrer plus de temps à la transmission

À la question «  Davantage de jours de congé/Rtt  » et «  Une réduction de votre temps de travail  » pourraient-ils «  vous faire envisager de repousser votre départ à la retraite  », les cadres seniors répondent ainsi oui à 45  % et à 51  %. Parmi diverses propositions, 77  % aimeraient consacrer plus de temps à la transmission (formation des collaborateurs, transfert des savoirs). Une manière de se projeter en douceur vers la retraite, avec moins de pression sur les objectifs.

À noter que les femmes cadres sont les plus nombreuses à dire souffrir de «  stress intense  » ou d’un «  excès de charge de travail  ». Et 20  % des cadres, tous sexes confondus, déclarent une dégradation de leur état de santé avec des répercussions sur leur travail (13  %).

La crainte de perdre son emploi

Quant aux jeunes seniors (55-59 ans), ils sont 29  % à exprimer leur angoisse de perdre leur emploi. Car, comme le souligne l’Apec, «  les entreprises demeurent réticentes à recruter des cadres seniors. Lorsqu’elles recherchent des profils expérimentés, les cadres ayant de cinq à vingt ans d’expérience, supposés plus rapidement opérationnels, sont privilégiés. Les cadres avec vingt ans d’expérience ou plus, eux, sont toujours la catégorie la moins favorisée dans les intentions de recrutement  : ils représentent environ 5  % du total.  »

Moins concernés par cette crainte du chômage, les cadres managers sont les plus sereins et s’inscrivent dans cette majorité (deux tiers) qui exprime le souhait de continuer à contribuer au développement de leur entreprise  : en suivant les projets lancés (77  %), en proposant de nouvelles idées ou solutions (64  %), en pilotant de nouveaux projets (63  %) ou en développant de nouvelles compétences (63  %).

Pour un changement de culture dans les entreprises

Mettant en regard ce fort investissement, majoritairement observé chez les cadres seniors en poste, et les problématiques propres à leur âge, l’Apec cite le ministre du Travail Olivier Dussopt, qui appelait en janvier 2023 à un «  changement de culture dans les entreprises  ». Pour que ce contexte professionnel «  moins favorable  » que pointent certains cadres seniors – avec moins d’opportunités d’évolution professionnelle (38  %), moins de formations professionnelles (28  %), moins de reconnaissance au travail (20  %) et moins de responsabilités (14  %) – soit durablement amélioré.

Plus que jamais, réforme des retraites oblige, le caractère singulier d’une fin de carrière oblige à un traitement différencié de la part des entreprises et de leurs politiques de ressources humaines.

1. Enquête en ligne menée par l’institut Csa pour l’Apec, du 20 septembre au 5 octobre 2023 auprès d’un échantillon de 820 cadres seniors (55 ans ou plus) résidant en France métropolitaine, en emploi dans une entreprise du secteur privé.


Entretien – Agathe Le Berder  : «  C’est la porte ouverte aux licenciements pour inaptitude  »

La secrétaire générale adjointe de l’Ugict déplore que le patronat refuse pour l’instant tout accord sur les aménagements de fin de carrière et la prévention des risques psychosociaux, qui croissent avec l’âge.

– Options  : L’étude de l’Apec met en lumière la diversité des situations des cadres seniors au travail. Qu’en retenez-vous  ?

– J’observe qu’un gros tiers de ces cadres seniors se disent anxieux pour leur fin de parcours et aspirent à partir à la retraite le plus vite possible. C’est une part très importante de l’effectif, et cela pose la question des conditions de travail en fin de carrière et de l’usure professionnelle. Ces points étaient au cœur des négociations sur le «  Pacte de la vie au travail  » voulues par le gouvernement à la suite de la réforme reculant à 64 ans le départ à la retraite.

– Ces négociations se sont soldées par un échec en avril…

– Aucun accord n’a en effet pu être trouvé avec le patronat, notamment sur les aménagements nécessaires de fin de carrière et la prise en compte de la pénibilité induite pour partie par les risques psychosociaux qui touchent particulièrement les cadres et les professions intermédiaires. C’est la porte ouverte aux licenciements pour inaptitude, et au chômage, dans un contexte où les seniors souffrent encore largement de discrimination à l’embauche.

– Quelles sont alors les perspectives pour ces cadres parfois en difficulté, voire en souffrance  ?

– Tout reste ouvert, car il y a des droits à gagner dans les négociations de branche et d’entreprise. Par ailleurs, si le gouvernement souhaite parvenir au plein-emploi des seniors, il faudra qu’il s’en donne les moyens  : à défaut d’accord entre les partenaires sociaux, il lui faudra contraindre les entreprises, par la loi, aux aménagements refusés dans le cadre de nos négociations. À la Cgt, nous continuerons à pousser nos revendications en faveur d’un temps partiel aidé et d’un jour de télétravail de droit. Et nous nous battrons pour que les horaires longs – qui concernent particulièrement les cadres au forfait-jours – soient considérés comme un critère de pénibilité.