Pour l’Éducation nationale, la sortie de crise n’est toujours pas au programme
Les annonces du ministre, brouillées par celles du président, ne répondent pas aux difficultés sur le terrain. Le manque de dialogue avec les personnels persiste, la défiance aussi.
Changement de méthode ? Le 28 août, lors de sa conférence de presse de rentrée, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, a confirmé que les épreuves anticipées de spécialités, pilier de la réforme du bac, auront désormais lieu en juin. Dès la présentation de cette réforme, en 2018, les enseignants et leurs organisations avaient prévenu qu’il serait impossible de parcourir l’ensemble du programme pour le mois de mars, et difficile de garder ensuite les élèves mobilisés jusqu’en juin, puisque 80 % de leurs notes au bac seraient déjà attribuées, et leur sort sur Parcoursup quasi scellé. À l’époque, Jean-Michel Blanquer était resté droit dans ses bottes, son objectif était justement d’intégrer les notes des spécialités à la plateforme Parcoursup. Tant pis si le bac, vidé de sa dimension d’examen national et anonyme, s’en trouvait réduit à une formalité administrative validant la sortie du lycée.
Mais ce recul de Gabriel Attal n’a été présenté ni comme une réponse avisée aux alertes des enseignants, ni comme un désaveu de la brutalité de Jean-Michel Blanquer. Non, Gabriel Attal n’avait tout simplement pas d’autre choix : au printemps 2023, pleinement mise en œuvre pour la première fois, la réforme s’est soldée par un absentéisme massif en terminale dès le mois de mars ! Restent quatre générations de bacheliers qui n’oublieront ni le Covid et le chaos de leur entrée dans le supérieur, ni les mobilisations – violemment réprimées – contre cette réforme.
Interventionnisme présidentiel
Rattrapé par le réel, mais pas trop, Gabriel Attal vante ce retour ponctuel au pragmatisme sans pour autant résoudre les nombreux problèmes liés au bac en contrôle continu ou à Parcoursup. Certes, il a rencontré les syndicats, et prétend restaurer le dialogue avec tous les acteurs de la communauté éducative. Il pourrait cependant, à l’image de son prédécesseur Pap Ndiaye, être invisibilisé par l’interventionnisme du président de la République. Emmanuel Macron répète en effet que l’Éducation est son « domaine réservé » et multiplie les prises de paroles, annonces et injonctions sur les mesures à impulser dans ce domaine, rendant parfois le cap difficile à suivre.
La méthode resterait alors la même : afficher activisme et volontarisme, au moins en paroles, et décider seuls de ce qui sera réellement mis en œuvre, sans écouter les personnels. Ainsi du décret passé cet été, qui permettra de changer d’établissement un élève harceleur. Reste à connaître les moyens et modalités d’un tel protocole, qui ne semblent pas avoir été discutés avec ceux qui en seront chargés.
Agiter l’abaya pour faire oublier le reste
Le ministre a également annoncé l’interdiction de l’abaya, une tunique longue et large recouvrant les habits, portée par des adolescentes de culture musulmane. Le phénomène reste limité à quelque 150 établissements secondaires sur 10 000, mais prend de l’ampleur. Gabriel Attal a estimé nécessaire de « clarifier la situation » au nom du respect de la laïcité. La conformité de cette décision au droit fait débat, et on ne sait pas encore comment vont s’y prendre les équipes pédagogiques et les encadrants pour dialoguer avec les élèves et leurs familles. Au point de se demander si la polémique causée par cette décision n’était pas le but recherché. Cette mesure a en effet le « mérite » de satisfaire la droite, tout en divisant la gauche… Par ailleurs, elle polarise les esprits et les énergies, éludant de nombreux autres problèmes structurels – coût de la rentrée pour les familles, inégalités persistantes, pénurie de profs et classes surchargées dans certaines académies.
Sujet tabou par excellence, la question des postes vacants et des absences non remplacées est balayée par l’assurance que le problème est réglé. Le ministère estime notamment que la moitié des 15 millions d’heures d’enseignement qui seraient non effectuées chaque année scolaire sont imputables au fonctionnement de l’institution (réunions ou formation des enseignants). Et il compte y remédier ! Gabriel Attal assure par ailleurs que des recrutements de contractuels ont été anticipés dans les académies en pénurie d’enseignants, banalisant la pratique et confirmant la possibilité d’un retour des concours à bac + 3 pour élargir le vivier. Cela acterait l’échec de la requalification des métiers enseignants à bac + 5, qui ne s’est accompagnée ni de meilleurs salaires ni de reconnaissance sociale, contribuant au manque d’attractivité pour le métier.
Le « Pacte enseignant », la solution miracle ?
La promesse d’augmenter de 10 % le salaire des enseignants n’a été tenue que pour une minorité – environ 40 % – d’entre eux. Les enseignants français restent les plus mal rémunérés au niveau européen, mais ils sont aussi les moins bien payés des fonctionnaires de catégorie A. La concession d’une hausse de 1,5 % du point d’indice et la promesse d’une nouvelle augmentation de 125 à 250 euros pour tous, sans précision sur la date de référence ni le moment de son application, n’y changent rien. Plusieurs études témoignent que les enseignants – et même une part croissante des chefs d’établissements et des inspecteurs – s’estiment méprisés par leur hiérarchie et lessivés par les réformes incessantes qu’ils doivent appliquer au pas de charge, sans avoir été consultés sur leur bien-fondé.
Les candidats ne s’y trompent pas : ce printemps, au concours, 2 700 postes n’ont pas été pourvus, dont 19 % dans le second degré. Là encore, Emmanuel Macron a sorti de son chapeau le « pacte enseignant ». Il sera en priorité proposé à ceux qui acceptent d’effectuer des remplacements de courte durée (moins de quinze jours). Or il faudrait qu’au moins un tiers des enseignants se portent volontaires pour couvrir ces seuls besoins. Les syndicats se font le porte-voix unanime d’un rejet massif du dispositif, qui sous-tend une fois de plus que les enseignants ne travaillent pas assez, et qu’ils devraient « travailler plus pour gagner plus ».
Au placard le « choc d’attractivité » du métier
À l’instar de la Cgt Éduc’Action, la communauté éducative réaffirme que pour accompagner les élèves vers de meilleurs parcours scolaires, l’école publique a besoin de plus d’enseignants, d’encadrants, d’Aesh pour les élèves en situation de handicap, de médecins et d’infirmières scolaires pour les soutenir dans les moments difficiles. Des moyens qui ne peuvent être conditionnés à la validation de « projets innovants », comme le souhaite le président, qui veut transformer les éducateurs en parfaits manageurs, sans prendre en compte les difficultés et les besoins objectifs de chaque élève, et ceux des établissements moins pourvus ou marqués par les inégalités sociales.
À défaut du « choc d’attractivité » voulu par Pap Ndiaye pour attirer des personnels motivés et compétents, Gabriel Attal se contente donc d’une nouvelle punchline : le « choc des savoirs fondamentaux ». Il annonce que ce qui est déjà pratiqué – le renforcement des acquis fondamentaux en lecture et en écriture – va l’être encore plus… Un écho au brouillage présidentiel opéré dans Le Point du 23 août, où Emmanuel Macron exigeait un retour à l’histoire chronologique, afin de mieux expliciter le récit national. Les enseignants d’histoire ont été aussi exaspérés que stupéfaits de constater l’ignorance du chef de l’État en la matière.
Un des systèmes les plus inégalitaires
Dans un grand élan réactionnaire, le président veut restaurer le respect du savoir et de l’autorité, et laisse entendre une fois de plus que les enseignants ont trop de vacances, tout comme les élèves, surtout ceux qui ont des lacunes… Comme si les difficultés scolaires n’avaient aucun lien avec la situation sociale, comme si les dispositifs d’aide n’existaient pas, il stigmatise les plus fragiles qui, de toute façon, ne peuvent pas partir en vacances. Il demande que, comme certains enseignants, ils reprennent l’école dès le 20 août – ignorant par ailleurs que 80 % des établissements scolaires ne sont pas adaptés aux chaleurs estivales.
Pendant ce temps le système scolaire français se « distingue » toujours, parmi les pays de l’Ocde, comme un des plus inégalitaires, notamment au regard de l’écart qui se creuse entre les meilleurs élèves et les plus faibles. Les timides annonces du précédent ministre sur la mixité sociale ne sont plus d’actualité et les Français, inquiets, se tournent de plus en plus vers l’enseignement privé. Une « fatalité » encouragée par le désinvestissement de l’État dans l’école publique et l’absence de soutien à ses enseignants.
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