Crise dans les opéras : le modèle culturel en question
Annulations de spectacles, fermetures de salles… confronté à la hausse des coûts de l’énergie, le secteur culturel affronte une nouvelle crise. Et s’interroge sur les enjeux environnementaux dans un contexte d’instabilité économique.
À la Philharmonie de Paris, l’année a été rude. Les surcoûts liés à l’inflation des prix de l’énergie atteindraient les 5 millions d’euros selon Sophie Bollich, violoniste dans l’Orchestre des Pays de la Loire et présidente du Syndicat national des artistes musiciens (Snam-Cgt). Comme d’autres institutions, la Philharmonie doit réduire ses coûts de production pour absorber ces hausses.
« La crise actuelle est bien pire que la crise Covid », alerte la responsable syndicale. Durant la pandémie, l’État a compensé les pertes financières. C’est moins le cas des collectivités locales, aujourd’hui en première ligne face à l’inflation, ce qui met les opéras régionaux sous pression. « Ce sont des passoires thermiques. Durant l’hiver à Nantes, nous avons dû jouer avec seulement 16 degrés dans l’opéra », témoigne la violoniste.
Pris à la gorge, l’opéra de Rouen a annoncé une fermeture de six semaines et l’annulation de six spectacles. Même situation à Lyon, avec la fermeture de l’opéra durant tout un mois cet été.
Cependant, pour la direction lyonnaise, la hausse des coûts de l’énergie n’est pas seule en cause. La contestation de la réforme des retraites aurait également pesé dans l’annulation de 17 spectacles. « C’est presque un record, concède Antoine Gavalni, secrétaire général du Snam-Cgt de la région Rhône-Alpes, mais plusieurs fois, c’est la direction qui a fait le choix d’annuler. » Sophie Bollich balaie : « Rejeter la faute sur les grévistes c’est détourner le problème. »
L’opéra de Lyon est aussi confronté à une baisse des subventions des collectivités locales. Après que la Ville de Lyon a opéré une première coupe en 2021, la Région a diminué à son tour sa subvention de 500 000 euros.
Revoir les ambitions à la baisse pour diminuer les dépenses
Les lieux culturels vivent pourtant en bonne partie grâce à l’argent public. Un opéra coûte cher, et la seule billetterie ne permet pas de le financer. Avec les baisses de subventions, les institutions doivent faire des économies. Partout en France, le mot d’ordre a été de faire une saison allégée par rapport aux ambitions initiales, et de puiser dans les réserves. Certains spectacles prévus la saison prochaine ne verront pas le jour. Malgré tout, pour Antoine Gavalni, il est difficile de comprendre le sens de la fermeture cet été : « Les programmations étaient déjà faites, avec des promesses d’embauches. Et en théorie, même si le spectacle est annulé, les travailleurs doivent être payés. La fermeture coûte donc de l’argent. Il y a des frais fixes et on ne peut plus compter sur les recettes de la billetterie et du bar… »
Pour la direction, l’objectif affiché est de préserver la saison 2023-2024. Mais, selon Sophie Bollich, c’est plutôt la saison suivante que l’opéra de Lyon a en vue. Une manière de repousser le problème d’un an. Les directions vont aussi chercher à programmer davantage de compositeurs populaires pour attirer le public et remplir plus sûrement les salles, quitte à standardiser l’offre.
« Moins de levées de rideaux c’est moins d’emplois », s’inquiète la présidente du Snam-Cgt. Dans de nombreux ensembles musicaux, les départs ne sont plus systématiquement remplacés. Résultat : de 10 à 15 % des postes sont vacants dans les orchestres en France. Parfois, ils sont pourvus par des intermittents, mais ce n’est plus toujours le cas. Et cela a des conséquences. À Rennes, la partie des grosses caisses a récemment été supprimée, faute de moyens pour rémunérer un musicien quelques minutes. « Ils se sont même demandé si un technicien ne pouvait pas venir faire le coup de grosse caisse… » témoigne la violoniste.
« La solution n’est pas de réduire l’offre »
C’est dans ce contexte d’instabilité économique qu’émerge un débat sur l’avenir de la profession. Allons-nous vers un monde où la culture est rationalisée par l’économie ? Un monde où les opéras n’ouvrent que quelques mois par an ? Face à ce défi, un autre enjeu questionne le monde culturel : celui de la transition écologique. Un rapport du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) appelle ainsi à « ralentir » le rythme des productions.
Pour la présidente du Snam, cette publication est « surprenante ». Les opéras optent déjà presque tous pour des coproductions. L’opéra de Bretagne coproduit actuellement un spectacle avec celui de Nancy. Cette création sera jouée à Rennes, Nantes, Angers, et Nancy. Les décors seront donc utilisés dans quatre villes, mutualisant ainsi les coûts de cette production. Le spectacle sera joué environ 40 fois. « Nous ne pouvons pas faire mieux », assure Sophie Bollich.
Elle réfute donc le « ralentissement » prôné par le Syndeac : « La solution n’est pas de réduire l’offre. Ce serait placer la question écologique au mauvais endroit. Mais il faut mieux utiliser les ressources, estime-t-elle. Lorsqu’un compositeur créé une œuvre et qu’elle n’est jouée qu’une seule fois par un orchestre avant d’être mise au placard, il y a un souci. »
Sophie Bollich critique aussi le déplacement d’orchestres dans des territoires dotés d’un ensemble musical similaire. L’Orchestre national de France partira par exemple en tournée la saison prochaine pour se produire dans de nombreuses villes, comme Toulouse ou Bordeaux. « Quel intérêt de faire venir un orchestre parisien dans une ville où un orchestre de renommée internationale est capable de produire le même spectacle ? » interroge la présidente du Snam.
Face à cette crise inédite, les opéras sont contraints de se réinventer. En attendant, pour la Cgt-Spectacle, la balle est dans le camp de la ministre de la Culture : « Elle ne peut pas laisser se déliter le service public ainsi », proteste la fédération. Si le secteur culturel connaît une crise encore plus aiguë que celle du Covid-19, il est aussi à l’aube de grands chantiers avec pour ambition de préserver l’exception culturelle française.
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