Reportage -
À Limoges, « un petit mélange de plein de révoltes » mobilise contre la réforme des retraites
Dans la préfecture de la Haute-Vienne, la réforme des retraites vient attiser une colère grandissante provoquée par la dégradation des conditions de travail, la détérioration des services publics et la perte de sens au travail.
Amélie, 20 ans, a deux messages à faire passer. Sur sa pancarte, elle a écrit côté pile « jeunesse révoltée et dans la rue » et côté face « retraite à 64 ans, moins d’élus locaux et de bénévoles ». Étudiante en 3e année de licence en design, elle manifeste ce samedi 11 février dans les rues de Limoges parce que la retraite, même si c’est loin, c’est « important ». Elle observe que « les recruteurs demandent aux jeunes d’avoir fait des études de plus en plus longues. » En conséquence, « on rentre plus tard sur le marché du travail. Et les jeunes sont de moins en moins motivés pour travailler super tard. »
Inquiète de l’état des services publics, Amélie a participé à des manifestations locales pour dénoncer le manque de personnel et de moyens affectés à l’éducation, se soucie de « l’état de l’hôpital » et du manque de médecins, qui peuvent de moins en moins prendre en charge les jeunes lorsqu’ils s’installent dans une nouvelle ville pour faire leurs études. Élus locaux et bénévoles, souvent retraités, tiennent encore à bout de bras ce tissu social qui se délite. Bref… C’est « un petit mélange de plein de révoltes » qui conduit Amélie à manifester contre le projet de réforme des retraites. « Vu l’ampleur de la mobilisation, ce n’est pas uniquement la réforme des retraites qui fait sortir les gens dans la rue. En 2019-2020, il n’y avait pas autant de monde. Depuis il y a eu l’augmentation du coût de l’énergie. » explique Benoît Lematelot, secrétaire de l’UFCM Cheminots. À Limoges, la manifestation du 31 janvier 2023 avait réuni 38 000 personnes selon la CGT, 9 500 selon la police. Ce jour-là, un cortège intersyndical de 500 salariés de l’entreprise Legrand, seule entreprise du CAC 40 de la région, avait rejoint le départ de la manifestation. Le mardi 7 février, il y avait 20 000 manifestants pour la CGT, 5 500 pour la police. Le samedi 11 février, la CGT en dénombrait 27 000.
Plus loin dans le cortège deux infirmières en blouse blanche peuvent enfin manifester car c’est leur jour de repos. Elles n’avaient pas pu participer aux manifestations précédentes car elles étaient réquisitionnées. Armelle, 51 ans travaille en psychiatrie depuis l’âge de 19 ans. Parmi ses collègues, les arrêts de travail sont « déjà nombreux à partir de 40 ans » alors elle n’imagine pas continuer « jusqu’à 67 ans pour avoir le dernier échelon ». Elles doivent remplacer leurs collègues parties en retraites ou en longue maladie, parfois du jour pour le lendemain, le week-end après une semaine de travail. « Aujourd’hui, on peut travailler sept jours d’affilée, explique Armelle. Alors que ce serait possible d’embaucher des jeunes. Mais les jeunes ne restent pas : quand ils voient les conditions de travail, ils s’en vont. Si les jeunes s’en vont, comment on va faire, nous ? » Ses propos font écho à ceux d’Estelle, 23 ans, venue manifester avec sa mère. Elle travaille aux trois huit comme agente de sécurité : « c’est déjà assez dur. Je ne me vois pas travailler jusqu’à 70 ans comme c’est parti. »
Les vacances scolaires ont commencé depuis une semaine et des enfants accompagnent leurs parents. Les manifestants marchent en famille et sont nombreux à dire leur attachement à « la solidarité entre les générations ». À quelques dizaines de mètres de la banderole intersyndicale retraités « Bien vivre sa retraite : une exigence ! + de pensions ! + de sécurité sociale ! + de services publics ! », un enfant d’une dizaine d’années porte une pancarte sur laquelle il a écrit les propos de la députée Rachel Kéké « Vous n’avez pas le droit de mettre à genoux ceux qui tiennent la France debout ! ».
Au micro de l’utilitaire de l’Ufict Energie, Jacques, ancien secrétaire général, parle de l’actualité de son secteur d’activité et des retraites. Il explique la loi qui contraint EDF à vendre à bas prix l’électricité qu’elle produit à ses concurrents qui enregistrent ensuite des profits historiques en la revendant bien plus cher. Il informe ensuite les manifestants qui l’entourent du récent vote par l’Assemblée nationale de l’article 1 de la réforme des retraites, qui entend supprimer les régimes spéciaux créés pour prendre en compte la pénibilité des emplois. La sono diffuse « Les oubliés », la chanson de Gauvain Sers qui raconte une fermeture d’école dans un village : « On est les oubliés, la campagne, les paumés, les trop loin de Paris, le cadet de leurs soucis. »
Veste jaune et drapeau Ufict, Sébastien Salé, secrétaire de l’Ufict Energie de la Haute-Vienne, explique que, même si l’Ufict fait un travail d’information des agents sur le contenu de la réforme, il est « facile de mobiliser »parce que « l’intérêt pour le travail a changé depuis le COVID, et l’inflation asphyxie les gens ». Chez Enedis, les deux premières journées de mobilisation ont enregistré des taux de 79 % et 76,5 % de grévistes.
Benoît Lematelot et Laëtitia Larquier, de l’UFCM Cheminots, le confirment : « côté cheminots, ça va tout seul ». Dans une « période sociale compliquée » marquée par les « réorganisations », « les collègues de la SNCF ont des prédispositions à faire grève. » Si l’UFCM a réalisé une vidéo disponible sur sa chaîne Youtubequi détaille « l’approche politique globale » de la réforme, « les collègues qui se mobilisent aujourd’hui n’ont pas attendu qu’on vienne les voir, ils savent que cette réforme c’est un mal. Ils parlent de sujets politiques entre eux au café, ils sont mobilisés. Ils en ont marre de se faire avoir. »
Adhérente de l’association Attac, Laëtitia Larquier a mis en place avec d’autres militantes un groupe de Rosies. Habillées d’un bleu de travail et coiffée d’un bandeau rouge comme Rosie la riveteuse, ouvrière américaine des années 1940 devenue une icône féministe, elles dansent dans les manifestations contre les retraites en chantant des chansons connues dont elles ont réécrit les paroles. Cette présence festive permet d’attirer l’attention sur l’impact que cette réforme va avoir pour les femmes. Laëtitia Larquier résume ainsi les réactions de nombreuses femmes qui viennent discuter avec les Rosies : « Déjà qu’il n’y a aucune volonté de remédier à l’inégalité de salaire entre les hommes et les femmes, en plus on nous fait cette réforme ! »
Tout en photographiant toutes les pancartes faites maison, une ancienne Gilet Jaune signale qu’elle est prête à reprendre du service. Elle a accroché deux pancartes autour de son cou. De face : « Un peu de décence ou on bloque l’essence ». De dos : « Si tu fais le fou Manu, le 7/03 c’est bloqué bloqué. »
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