Assurance-chômage : « Cette réforme va créer de la précarité »
Pour la CGT, la réforme, qui doit entrer en vigueur le 1er février 2023., se traduira pas une baisse drastique de l’indemnisation chômage. Denis Gravouil, en charge de la question de l’emploi et du chômage, explique pourquoi.
Pour la CGT, la réforme qui doit entrer en vigueur le 1er février 2023 se traduira pas une baisse drastique de l’indemnisation chômage. Denis Gravouil, en charge de la question de l’emploi et du chômage, explique pourquoi.
– Options : Comment cette réforme va-t-elle diminuer les droits des demandeurs d’emplois ?
– Denis Gravouil : Le gouvernement a repris une vieille idée que le patronat cherchait à nous imposer depuis longtemps. Le principe, c’est de moduler la durée de l’indemnisation du chômage en fonction du taux de chômage. Si ce taux est en dessous de 9 %, la durée d’indemnisation sera réduite de 25 %. Par exemple, après douze mois de travail, une personne qui se retrouvera au chômage ne percevra plus que neuf mois maximum, au lieu de douze actuellement. Au contraire, si le taux de chômage dépasse le seuil de 9 %, la durée d’indemnisation sera maintenue à douze mois. Sur le principe, c’est scandaleux, car les perdants sont ceux qui sont au chômage le plus longtemps. Dans les faits, ça représente, sur les dépenses de l’assurance-chômage, une économie de 11 %, concentrée sur les personnes en fin de droits. Cela peut concerner aussi bien un jeune qui se débat avec des contrats d’intérim ou des Cdd, qu’un senior de plus de 55 ans. Ce dernier a actuellement droit à trente-six mois d’indemnisation. Réduire cette durée de 25 % revient à lui faire perdre neuf mois de revenu, mais aussi trois trimestres de cotisations pour la retraite.
– Pourquoi est-ce un problème en soi d’indexer la durée de l’indemnisation sur le taux de chômage ?
– C’est un problème, en premier lieu parce que c’est une baisse violente des droits. Ensuite parce que cela revient à faire peser sur la personne privée d’emploi une variation du taux de chômage… à laquelle elle ne peut rien ! De surcroît, la définition du taux de chômage utilisée par le gouvernement est très restrictive : elle exclut des statistiques toute personne ayant travaillé ne serait-ce qu’une heure dans le mois, c’est-à-dire l’ensemble des précaires. L’État ne fondera donc son calcul que sur les chômeurs de catégorie A – c’est-à-dire 3 millions de personnes environ, alors qu’en réalité plus de 6 millions sont inscrites à Pôle emploi. Il faut une vision plus globale de la structure de l’emploi, comprenant le nombre d’emplois en Cdi, en Cdi à temps partiel, en Cdd. Là, ce seraient de vrais chiffres. Mais leur évolution ne doit en aucun cas impacter les droits : la Cgt revendique un revenu de remplacement pour toutes celles et ceux qui sont privés de leur droit au travail.
– Comment interpréter le palier à 9 % fixé par la réforme ?
– Il faut revenir à 2017 pour trouver un taux de chômage aussi haut. Même durant la crise de la Covid-19 il n’a pas été atteint. Le gouvernement impose donc une baisse de revenu à une bonne partie de ceux qui calculeront leurs droits au chômage à partir du 1er février 2023. C’est une économie structurelle sur le dos des chômeurs, et le retour à « meilleure fortune » est plus qu’improbable. Si le taux de 9 % de chômage était de nouveau atteint, par exemple à l’occasion d’un krach boursier ou d’une crise énergétique, le discours changerait, le gouvernement dirait que les finances ne sont plus assez bonnes pour financer le chômage. Il y aurait le retour du chantage à la dette. Donc le principe est scandaleux, mais en plus sa mise en œuvre est hypocrite. C’est un pur habillage d’une violente baisse de l’indemnisation chômage, au nom de la fin du « quoi qu’il en coûte » réclamée par le Fmi et l’Union européenne.
– Cette réforme est présentée comme une aide aux entreprises qui peinent à recruter. Est-ce le rôle de l’assurance-chômage ?
– La création d’emplois n’est corrélée à aucune règle de l’assurance-chômage ; elle dépend des carnets de commandes des entreprises et de la politique de recrutement de l’État et des collectivités. Le raisonnement du gouvernement ne repose donc sur rien. Il confond les constats et les causes. Il constate que les gens retrouvent du travail soit peu de temps après la perte de leur emploi, soit peu de temps avant la fin de leurs droits. Ils en déduisent que réduire la durée d’indemnisation réduira le nombre de chômeurs. Sauf que ce n’est pas la même nature d’emploi. Juste après la perte d’un poste, un travailleur retrouve en général un poste au même niveau de qualification. Mais après vingt-quatre mois au chômage, quand on est en fin de droits, les exigences ne sont plus les mêmes, on se retrouve à accepter n’importe quel emploi, même dégradé, pour survivre. Ce dernier n’a pas été créé, il existait déjà : il s’agit d’un emploi en Cdd, à temps partiel… Prétendre créer 100 000 emplois sur trois ans, comme le fait le ministre du Travail, c’est donc ridicule… Cette réforme va faire 1 million de perdants qui arriveront en fin de droits plus tôt, tout cela pour « créer » 30 000 emplois par an, selon un pseudo-raisonnement qui fait rigoler les économistes sérieux…
– Dans le système actuel, 400 000 emplois sont non pourvus pour 6 millions de privés d’emplois, le problème n’est-il finalement pas là ?
– Si 400 000 offres sont non pourvues pour 6 millions de chômeurs, cela fait entre 5 et 6 % de l’offre. Donc même si 400 000 chômeurs pourvoyaient tous ces postes vacants, la situation ne serait pas réglée pour les 94 % restants. Parmi ces postes non pourvus, une partie sont des postes très qualifiés – médecins ou ingénieurs – et le problème est le manque d’investissement public dans la formation à ces métiers. L’autre partie sont des offres aberrantes, et retirées par les employeurs eux-mêmes quand ils comprennent qu’il est difficile de recruter des ingénieurs surperformants payés au Smic. Cette réforme s’inscrit dans un plan pour le plein emploi. Mais c’est le plein emploi précaire, car il incite à accepter n’importe quel emploi.
– Dans ce contexte, comment envisager l’avenir de l’assurance-chômage ?
– Pour la Cgt, il y a une perspective : la sécurité sociale professionnelle. Mais pour cela, il faut une assurance-chômage de haut niveau. Nous préconisons d’abaisser le seuil d’ouverture de droits à deux mois de travail pour les primo-entrants, et d’indemniser jusqu’à soixante mois pour couvrir toutes les périodes de chômage. On nous répond que nous sommes utopistes et que cela coûterait trop d’argent. Or c’est faux. L’assurance-chômage dépense 39 milliards d’euros par an. Dans le même temps, les dépenses pour que le patronat « maintienne » l’emploi – avec des exonérations de cotisations exorbitantes et inefficaces – sont de l’ordre de 151 milliards d’euros. Sur lesquels 60 à 70 milliards partent directement en dividendes reversés aux actionnaires… Notre proposition est donc accessible, et cela créerait de la richesse en élevant le niveau de qualification. On en a un exemple concret avec le contrat de sécurisation professionnelle gagné lors des vagues de licenciements dans le textile ou la sidérurgie. Faisant exception aux règles de l’assurance-chômage, il prévoit que les victimes d’un plan de licenciements dans une entreprise de moins de 1 000 salariés soient indemnisées à hauteur de 95 % de leur salaire durant un an. Elles bénéficient aussi d’un accompagnement renforcé avec un conseiller Pôle emploi au « portefeuille » réduit, et d’une formation diplômante. Dans ce cas-là, le retour à l’emploi est deux fois meilleur. C’est cela qu’il faut faire, plutôt que d’instaurer le royaume de la précarité voulu par le patronat.
– D’autres éléments de cette réforme vous inquiètent-ils ?
– Dans la loi telle qu’elle a été voté par Les Républicains et Renaissance, les conditions d’accès à l’assurance-chômage ont été durcies pour deux catégories : les salariés en abandon de poste qui sont licenciés pour faute – ils seront privés des indemnités chômage, comme les démissionnaires – et les intérimaires ou précaires qui refuseraient deux fois des propositions de Cdi au terme d’un Cdd. Le patronat vante depuis des années la flexibilité… mais à son seul profit : désormais un salarié qui refuse un mauvais Cdi ou un salarié en abandon de poste parce qu’il est victime de harcèlement sera puni par la perte son allocation chômage.
– La création de France Travail est-elle aussi problématique ?
– Cette création fait partie du plan Plein emploi et nous inquiète. Elle vise à transformer Pôle emploi en France Travail. Le choix des mots n’est pas neutre. L’objectif est de mettre les gens au travail… tel que le conçoit le patronat. Nous qui sommes la Confédération générale du travail, nous avons une autre conception du travail. Nous voulons que tous les gens travaillent, mais dans de bonnes conditions. Dans le cadre de France Travail, il faudra s’inscrire sur une plateforme numérique, dans un grand ensemble sans moyens, chargé de pister y compris les allocataires du Rsa. Cela met en danger des organismes qui ont des résultats positifs, comme les missions locales pour l’emploi des jeunes ou l’Apec, pour les cadres, qui risquent d’être absorbés par Pôle emploi sans moyens supplémentaires.
– Olivier Véran a dit que « dix-huit mois pour trouver un travail était suffisant » que lui répondez-vous ?
– Dix-huit mois c’est suffisant pour une bonne moitié des gens. Mais les économies ambitionnées par la réforme à venir seront faites sur la deuxième moitié, qui vont voir la fin de leurs droits arriver plus rapidement. Ce seront eux les perdants. Le discours sous-jacent est de dire qu’ils n’ont pas assez cherché. C’est scandaleux.
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