par Sophie Binet, Secrétaire générale de l’Ugict-Cgt
Emmanuel Macron avait pris la décision au cœur de l’été : passer sa réforme des retraites via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. L’intérêt ? La rapidité, la possibilité de noyer le sujet en le présentant comme une mesure technique et enfin un recours facilité au 49-3. La publication du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) avait été opportunément décalée en septembre et immédiatement instrumentalisée par le gouvernement. Las, face à l’opposition unanime des syndicats et de la population, face à la faiblesse de sa majorité, le président de la République a été contraint à un premier recul. La réforme des retraites fera l’objet d’un texte dédié, présenté en décembre ou janvier. Nous avons donc gagné trois mois pour construire la mobilisation et la journée du 29 septembre constitue un excellent point d’appui.
Comme en 2019, Emmanuel Macron mettra toutes ses forces pour faire aboutir cette réforme. Mais le rapport de forces est clairement du côté du mouvement social. La seule justification de la réforme tient dans le maigre déficit que fait apparaître le rapport du COR. De quoi s’agit-il ? Dans le pire des scénarios, avec 0,7 % de croissance (soit moins que ce que le gouvernement retient dans ses hypothèses économiques), notre système de retraite serait en déficit de 0,8 % de PIB. La belle affaire ! Rappelons que les aides publiques dont bénéficient chaque année les entreprises représentent 6 % du PIB, dont des exonérations de cotisations retraite à hauteur de… 0,8 % du PIB. Y mettre fin suffirait donc à résoudre ce déficit. Mais si les prévisions du rapport du COR sont inquiétantes, c’est sur un tout autre sujet. Le COR confirme que, si rien n’est fait, le niveau de vie des retraité.e.s va s’effondrer du fait des réformes précédentes. Par exemple, pour un cadre, la pension totale représentait 72 % de son salaire de fin de carrière en 1990, elle n’est plus aujourd’hui que de 67 % et ne représentera plus que 50 % autour de 2060 (1). Ces prévisions seraient bien sûr considérablement dégradées par un nouveau report de l’âge de départ en retraite. Et c’est exactement ce qui intéresse les banquiers et les assureurs. Dans un récent sondage réalisé par Altaprofits, une société de conseil en gestion de patrimoine (2), 72 % des Français déclarent que le report de l’âge légal de départ à la retraite est de nature à inciter les actifs à épargner par eux-mêmes. Dans
ce contexte, leur intérêt pour le plan épargne retraite (PER) est en forte hausse : ils sont 35 % à déclarer avoir l’intention de souscrire un PER, contre 28 % en 2021. L’objectif de la réforme est ici de baisser les dépenses publiques et de libérer de l’espace pour la spéculation et l’épargne retraite. Notre objectif est donc de mettre la question de l’augmentation des ressources de notre système de retraite au cœur du débat, et les solutions de financement pour rétablir la retraite à 60 ans avec 75 % de son dernier salaire sont nombreuses : élargissement de l’assiette de cotisation, taxation des dividendes, ou encore augmentation du taux de cotisation…
La défense de notre système de retraite a toujours été un sujet fédérateur : 42 % des cadres disent d’ailleurs être prêts à faire grève pour ce motif ! Alors que les prix de l’énergie explosent, les luttes pour les salaires constituent des points d’appui pour construire la mobilisation sur les retraites et gagner une unité large. Le match commence et nous avons déjà marqué un premier point !
(1) Source : Agirc-Arrco.
(2) 4e édition du « Baromètre 2022 de l’épargne en France et en régions », réalisé par l’Ifop pour Altaprofits.
Chronique initialement publiée dans l’Humanité Magazine du 1er octobre 2022
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