Rencontres d’Options -
Retraites, la bataille sociale
Sécuriser la retraite et financer l’économie productive : les deux arguments en faveur de la capitalisation sont balayés par les faits. Le recul de l’âge de départ à la retraite, en ouvrant un nouvel espace pour l’épargne retraite, ne ferait qu’aggraver la situation.
Sécuriser la retraite des individus et financer l’économie productive : les deux arguments des défenseurs de la capitalisation sont balayés par les faits. Le recul de l’âge de départ de la retraite, en ouvrant un nouvel espace pour l’épargne retraite, ne ferait qu’aggraver la situation. Au profit des seuls marchés financiers.
« En réalité, souligne Sabine Montagne, directrice de recherche au Cnrs, sociologue à l’université Paris-Dauphine, l’épargne retraite dépasse la seule question du financement des régimes de retraite pour être un élément d’une transformation beaucoup plus vaste des institutions de l’économie. » Tenues simultanément à la parution du nouveau trimestriel de l’Ugict-Cgt, ces Rencontres en ont fait la démonstration.
« Un peu de capitalisation, ça ne peut pas faire de mal. » C’est en substance, le discours politique porté lors du projet de réforme universelle. Dans son intervention, Sabine Montagne se saisit de cette affirmation pour examiner si la capitalisation, « effective », celle qui existe bien « dans la réalité » assure bien deux des objectifs mis en avant par ses promoteurs : assurer la sécurité de la retraite des individus et financer le développement de l’économie productive, avec la mise en circulation des sommes de l’épargne retraite.
Sur la sécurité des retraites, Sabine Montagne plante un décor à rebours du discours théorique, portant notamment sur la mutualisation des risques : « Dans la réalité, les épargnants versent une cotisation et c’est la seule dimension connue du processus. Si les placements tournent mal, ils sont les seuls à subir les risques : c’est l’illustration d’un système à cotisations et non à prestations définies. » Dans tous les cas, les gestionnaires d’actifs ne sont pas individuellement tenus pour responsables dès lors qu’ils ont respecté les règles de leur profession.
L’évaporation de l’épargne retraite ne peut donc être imputée aux comportements collectifs qui en sont pourtant la cause : c’est, souligne-t-elle, « la structure fondamentale du système de capitalisation, quelles que soient les différences institutionnelles entre les pays ».
Une situation d’incertitude institutionnalisée
Dans ce système, les crises financières, dont le Fmi a montré qu’elles augmentent en intensité et en fréquence, sont considérées comme « normales », le prix à payer pour l’innovation en quelque sorte. Inutile de chercher qui en supporte le coût… Ou plutôt les coûts, avec une succession de conséquences qui s’accumulent dans le temps.
D’abord, comme en 2008 : un sauvetage public des banques au nom de la stabilité financière et une dévalorisation brutale des portefeuilles des individus. Avec des inégalités, observées aux États-Unis : la perte est accentuée pour les classes sociales défavorisées ; les plus aisés sont davantage en capacité de temporiser pour attendre une remontée des cours.
À moyen terme, l’impact porte sur le travail et l’emploi, les personnes licenciées retrouvant certes du travail mais sur des emplois dégradés en qualité, en termes de salaire ou de conditions de travail. À plus long terme enfin, une étude a montré la nécessité pour un tiers des retraités américains de reprendre le travail. Parmi les actifs, ils sont aussi un tiers à ne pas pouvoir prévoir le moment de leur départ en retraite. À l’évaporation de l’épargne s’ajoute donc un autre phénomène : « Face à l’avenir, une incertitude institutionnalisée et généralisée qui est en train d’être instillée en France », souligne Sabine Montagne.
Sa démonstration sur le financement supposé de l’économie productive est, de la même manière, implacable. Non, la finance ne transforme pas l’épargne des ménages en capital productif ; non encore, l’épargne retraite ne permet pas structurellement de projeter les choix d’investissements sur un horizon long. Elle explique : « Ce que nous pouvons observer, c’est une circulation monétaire et boursière effrénée, au profit des seuls actionnaires, servis avant tous les autres, ce qui induit une pression sur les entreprises et un sous-investissement chronique de la recherche et développement. Les gestionnaires d’actifs eux-mêmes s’alignent sur les pratiques les plus axées sur le court terme. »
La capitalisation ? Développée au seul profit des gestionnaires et des actionnaires, l’auditoire est déjà convaincu de ses impasses. Mais les ingénieurs, cadres et techniciens ? Guillaume Royer, militant Cgt chez Mbda (secteur de l’armement) souligne l’impact de l’épargne retraite sur les négociations salariales et la structure même la rémunération.
Au fond, que peut-on attendre de la capitalisation ? Tout dépend de quel point de vue on se place, répond en substance Sylvie Durand, secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt. Si vous être une société d’assurance, la réponse est : « le salut ».
Pour ces acteurs dont le modèle le modèle économique est remis en cause, en particulier par le réchauffement climatique, l’épargne retraite constitue une aubaine pour conquérir de nouveaux marchés, une formidable rente « juteuse, garantie », via les frais de gestion qui ne sont pas rigoureusement évalués. Pour les futurs retraités : l’incertitude, avec le risque de sérieuses désillusions.
Quelques faits : un individu voulant percevoir une rente de 1 000 euros par mois à partir de 60 ans devra avoir constitué un capital de 300 000 euros. Pour compenser une baisse de 10 points du taux de remplacement, il faut épargner un mois de salaire, chaque année et ce pendant trente ans.
« Sauf que les taux de remplacement se sont effondrés de 20 points, singulièrement pour les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise. C’est 16 % du salaire annuel, ce qui représente deux mois de salaire. Qui peut le faire ? Bloquée pendant plus de quatre décennies, avec une sortie en rente ou en capital, c’est en outre une épargne, précise Sylvie Durand, qui ne donne droit à rien car elle est à cotisations définies »(art. 89 du Code général des impôts). Banques et assurances n’ont donc aucun engagement à tenir. C’est le contraire des « retraites chapeaux » des patrons des grandes firmes internationales qui restent, elles, à prestations définies…
Épargne retraite : les risques pèsent sur les seuls épargnants
« Ceux qui vivent seulement de leur salaire n’ont donc rien à attendre de la capitalisation », affirme Sylvie Durand, qui alerte : « Tous les systèmes d’épargne retraite sont susceptibles de faire faillite ou de perdre leurs avoirs à l’occasion des crises et des aléas boursiers. » Pour autant, la capitalisation ne fait pas recette en France, en dépit de la baisse programmée du niveau des pensions depuis trente ans : en 2020, 9,2 milliards d’euros de cotisations individuelles ; 5,5 milliards d’euros de cotisations collectives.
C’est ce qui motive le projet de la rendre obligatoire, avec des encours qui recouvrent des sommes considérables : 250 milliards d’euros, toujours en 2020. La secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt interroge : « Pourquoi ne pas réaffecter ces sommes, appelées à se volatiliser sur les marchés financiers, au financement de la répartition ? Pourquoi confier l’épargne d’une vie à des organismes qui ne s’engagent pas à la rendre ? Nous avons donc un choix à faire entre capitalisation et répartition, un choix aujourd’hui confisqué. »
À l’heure où Emmanuel Macron souhaite mettre en place un pilier obligatoire en matière de capitalisation, les Rencontres d’Options veulent ainsi répondre à la nécessité d’en clarifier les enjeux auprès des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise comme auprès de l’ensemble du monde du travail.
Sabine Montagne prévient : « Le projet de réforme de 2019 a certes ciblé les cadres à hauts revenus mais avec l’idée, à terme, de forcer l’ensemble de la population à se porter vers les dispositifs de capitalisation. C’est le projet de BlackRock de captation par les organismes financiers de l’épargne de toute la population, y compris des plus pauvres. »
Christine Labbe
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