Les territoriaux défendent leur conception de la fonction publique
Après deux ans de pandémie, sur fond de réforme à marche forcée de la fonction publique, les cadres de la territoriale dénoncent la dégradation des conditions de travail et du dialogue social dans les services.
Après deux ans de pandémie, sur fond de réforme à marche forcée de la fonction publique, les cadres de la territoriale dénoncent la dégradation des conditions de travail et du dialogue social dans les services.
Toujours en première ligne, les agents des trois fonctions publiques restent mobilisés après la journée nationale interprofessionnelle du 27 janvier pour les salaires et l’emploi. Depuis le début de la pandémie, ils ont assuré la continuité des services et tenu les fils de la solidarité nationale… quoi qu’il leur en coûte et sans en tirer une juste reconnaissance, en particulier en matière de salaire. Pour rappel, le point d’indice dans la fonction publique est gelé depuis 2010, et les réformes se poursuivent, certains des candidats à la présidentielle ne cachant pas leur intention de les mener plus loin, notamment en ce qui concerne les suppressions de postes de fonctionnaires.
Une étude publiée en janvier par l’Observatoire syndical de la fonction publique territoriale, observatoire créé avec le concours de l’Ufict-Cgt des services publics du Grand Reims,témoigne par exemple du vécu des fonctionnaires territoriaux pendant les premiers mois de la crise sanitaire. Courant 2020, près de 2 200 agents territoriaux ont été interrogés sur les modalités d’organisation ou de réorganisation de leur travail pendant cette période. Ils estiment avoir fait de leur mieux malgré une organisation du travail en mode dégradé. Quand il y a eu passage au télétravail, il s’est comme souvent traduit par des charges supplémentaires, en particulier pour les femmes. Quant aux encadrants, éloignés de leurs équipes, ils se sont sentis particulièrement dépossédés de leur travail. Les agents territoriaux sont également nombreux à souligner que la pandémie a permis d’accélérer la mise en place de réorganisations sans consultation ni des agents concernés, ni des organisations et instances de représentation du personnel. D’où un sentiment général d’amertume, voire de perte de sens et de souffrance au travail, auquel s’ajoute le fait qu’un tiers seulement d’entre eux auraient touché une « prime Covid », d’une valeur moyenne de 488 euros.
Une priorité, imposer les méthodes de gestion du privé
La réforme en cours des instances représentatives du personnel a en effet généré un certain flottement dans l’exercice du dialogue social. Parfois, les Chsct – qui doivent être remplacés en 2023 par les comités sociaux territoriaux (équivalents des Cse dans le privé) – ne se sont pas réunis, et les plans de continuité d’activité (Pca) se sont mis en place dans l’urgence et sans réelle concertation, et souvent au détriment des conditions de travail des agents. Quant aux contractuels, qui sont nombreux à ne pas avoir vu leurs contrats renouvelés quand ceux-ci venaient à échéance pendant la pandémie (43 %), ils ont encore moins eu leur mot à dire. L’étude constate une fragilisation inquiétante du statut et de la culture de service public. La loi de transformation de la fonction publique d’août 2019 (dite loi Dussopt) et ses décrets d’application vont en effet élargir la possibilité (dans les collectivités de plus de 40 000 habitants) de recourir à des contrats de projet pour embaucher des « experts de haut niveau », autrement dit des cadres supérieurs, d’ores et déjà considérés comme des sortes de technocrates parachutés là pour imposer des méthodes de gestion du privé, et dont le seul objectif serait de faire des économies. Jusqu’à présent, la tendance à la contractualisation (qui représenterait 20 % des effectifs) concernait plutôt la catégorie C. Désormais, la possibilité d’externaliser de nombreux services, l’arrivée de cadres contractuels et la possibilité de recourir à la rupture conventionnelle fragilisent l’ensemble des fonctionnaires et des collectifs quant à leur avenir et à leur droit de s’exprimer sur leur travail.
« Ce bouleversement culturel et organisationnel est inédit, confirme Jésus De Carlos, cosecrétaire général de l’Ufict de la Fédération des services publics. L’encadrement se trouve particulièrement exposé aux tensions qui se manifestent, et la fracture risque de s’élargir avec le haut encadrement. Pour notre part, nous nous battons pour préserver une autre conception de notre travail et pour que tous les cadres soient formés dans le respect du rôle des organisations syndicales et du dialogue social. Cela signifie d’être au service des populations et que, dans leur travail, ils aient le souci de respecter l’expérience de terrain, les savoir-faire et la parole des équipes sous leur responsabilité. Pour eux-mêmes, nous exigeons qu’ils soient mieux associés aux prises de décision et aux réflexions sur les orientations et transformations qu’ils sont censés mettre en œuvre. » L’Ufict doit également mettre en place dans les mois à venir un observatoire de l’évolution du travail des cadres, avec le soutien d’une équipe d’universitaires, qui sera chargé de mesurer les incidences des réformes en cours mais également de détailler les alternatives possibles aux solutions imposées par le « new public management ». (1)
Redonner de l’attractivité à l’action publique
Dans le cadre des Entretiens territoriaux de Strasbourg, organisés par le Cnfpt (Centre national de la Fonction publique territoriale) et consacrés début décembre 2021 au thème « Les territoires face au défi démocratique », l’Ufict-Cgt des territoriaux organisait un débat sur les risques que fait peser la réforme de la fonction publique sur le travail des cadres territoriaux et sur la qualité du dialogue social. Les intervenants ont insisté sur le fait que le respect des organisations représentatives du personnel et des structures où elles peuvent porter une parole collective permettait dans bien des situations d’apaiser les tensions, de réorganiser le travail dans le sens d’un meilleur service aux usagers et d’une amélioration de la qualité de vie au travail. Les groupes de travail, sondages, référendums ou autres tentatives de court-circuiter la légitimité du dialogue social en partant des initiatives des directions ont souvent montré leurs limites dès lors qu’elles généraient plus de méfiance que d’adhésion des personnels aux solutions suggérées par le haut management ou les directions. Pourtant, la loi Dussopt va limiter les prérogatives et les moyens des organisations syndicales, en termes de temps et de détachement, et il sera encore plus difficile, en particulier dans les catégories A et B, de prendre un mandat syndical sans s’exposer à des formes de discrimination.
De nombreux encadrants et syndiqués ont également témoigné que les relations interpersonnelles et hiérarchiques étaient plus faciles et le travail plus satisfaisant et efficace quand les structures collectives de dialogue et de représentation syndicale fonctionnaient. Les agents de la fonction publique, forts de ces deux années où ils se sont bien souvent passés de consignes « hors sol », ont d’ailleurs prouvé qu’ils n’étaient pas de simples exécutants, mais des acteurs à part entière des services rendus à la population, capables et désireux de libérer leur capacité d’initiative pour redonner du sens à leurs missions. Reste à savoir si les collectivités territoriales et l’État sont en mesure de comprendre à quel point l’action publique est irremplaçable. Et de mettre en œuvre des moyens pour développer et revaloriser l’emploi public afin de lui redonner toute son attractivité.
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